Explication de "la ballade des pendus" de villon


Adi Lachgar (?) [331 msg envoyés ]
Publié le:2009-03-29 23:38:45 Lu :51031 fois
Rubrique :Lycée et Entraide scolaire  
  • 4.0 stars
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
1 vote    4/5

Lachgar
Cours de français
Lycée Youssef Ben Tachfine
EXPLICATION DE TEXTE
Lecture linéaire de «la Ballade des pendus» de F. Villon
TEXTE: La Balade des pendus.
Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez ci, attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéca devorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transsis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale fouldre
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ca, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
Prince Jhésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie:
A luy n'avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n'a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
François Villon
I Présentation
Comme l'indique son titre, «la Balade des pendus» est un poème qui observe le schème traditionnel de la ballade. Composé de trois dizains de décasyllabes et d'un quintil en envoi avec un refrain et des rimes en ABABBCCDCD. Le texte est une prière adressée aux humains en vue d'obtenir leur compassion et leur pardon. Villon a vraisemblablement écrit ce poème alors qu'il était condamné à mort, ayant blessé mortellement un prêtre. Le spectacle de la mort est d'une saisissante vérité dans ce poème, mais le ton n'y est pas toujours celui d'un quémandeur contrit, regrettant sincèrement ses péchés. Il serait donc intéressant de voir comment la rigueur formelle de la ballade favorise un retournement ingénieux de situation qui, d'un poète humble qui espère en l'humanité des hommes, fait un homme supérieur aux hommes.
II Mouvement du texte
- 1ère strophe : Adresse aux hommes et motivation de l'indulgence.
- 2ème strophe : Une prière mitigée.
- 3ème strophe : Spectacle burlesque du purgatoire.
- 4ème strophe : Adresse à Jésus et motivation du pardon.
III Analyse rédigée :
Le poème s'ouvre sur l'apostrophe «Frères humains» qui favorise la communication à double titre. Elle a une fonction phatique puisqu'elle sert d'abord à établir le contact avec l'allocutaire et une fonction conative puisque, par sa charge morale et sentimentale, elle le prédispose à bien recevoir le message. Le lecteur est d'emblée fixé sur la situation de communication. Les deux premiers vers
Frères humains qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis.
précisent qu'il s'agit de l'adresse d'un «nous» à un «vous» dont les humains sont le référent. La relative déterminative, en déterminant le destinataire visé renseigne sur la distance où se fait la communication. C'est l'écart entre la vie et la mort. L'appel se réalise dans un «après nous» où le «nous» peut désormais prétendre à la fraternité des hommes et à leur compassion. Le discours de Villon acquiert ainsi une double qualité de prosopopée et de testament qui le rend particulièrement efficace.
L'efficacité semble être, en effet, le souci principal du poète qui veut s'assurer la pitié des hommes. Il développe pour ce faire un argumentaire que soutiennent les mots grammaticaux à valeur logique «si», «car» «quand» et qui est explicitement empreint de religiosité, grce notamment au développement du champ lexical du pardon «frères», «pauvres», «Dieu», «mercis», « priez»-Les arguments relèvent, cependant, de deux ordres ou, pour ainsi dire, de deux stratégies de persuasion. Dans les vers 3 et 4
Car si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
l'expression de la condition, renforcée par la mise en incise de la proposition hypothétique et la dislocation emphatique de ses constituants, joue sur l'intéressement du destinataire à «l'affaire» du pardon. L'argument s'inspire de la logique de récompense multipliée, bien que différée, fondant la pratique religieuse. Au mot «pitié» , au singulier, répond, en effet, dans une forme chiasmique connotant l'échange, le mot pluriel «mercis» et au présent humain «avez» répond le futur divin «en aura». Autant dire que nul ne peut refuser son pardon au poète sans perdre au change.
Le deuxième argument, développé du vers 5 au vers8, est construit sur une représentation mentale du spectacle des pendus offert au regard des badauds :
Vous nous voyez ci attachés cinq, six :
Le poète nous implique dans un spectacle dont la tristesse et le macabre grinçant se traduisent notamment par l'allitération sifflante en [s] et l'assonance lugubre en [u]. Cependant la rime interne (ci /six) résiste à cette interprétation. Elle paraît assez légère, assez joyeuse et assez chantante pour susciter le doute.
Le vers 5 s'ouvre, grce à la ponctuation, sur le devenir des pendus.
Quand de la chair que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
L'argument est d'une grande subtilité. La chair, élément du corps évoquant le mal et le péché, est désigné à la troisième personne et est déterminé par l'article défini «la» marquant ainsi une certaine distance entre le locuteur et l'objet désigné. L'excès condamnable du «trop» est évacué grce au passé composé. Le présent est celui où cette «maudite» chair est punie, «dévorée et pourrie . » Ainsi, quand «pourrie» vient rimer avec «nourrie», il porte, ou transporte, l'anathème sur un objet autre, étranger au «nous.» D'ailleurs, ce «nous» s'identifie tout de suite, grce à la juxtaposition, aux «os», éléments décharnés du corps et, pour ainsi dire, blanchis. L'argument est simple : ce qui reste des pendus décharnés et tellement pitoyable que nul ne peut s'acharner sur eux sans paraître impitoyable.
Le poète semble se refuser à tout aveu humble et contrit de la faute : il compte sur les ressources de la rhétorique plus qu'il n'espère en une quelconque pitié humaine.
Ainsi quand arrive le refrain
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
présentant sur le mode de la jussion une alternative à la moquerie, le poète est quasiment sûr d'avoir eu gain de cause. C'est d'autant plus vrai que le «nous» du refrain, modalisé par le pronom «tous» ne renvoie plus désormais aux seuls pendus, mais à tous les autres humains, donnés au début comme détenteurs du pouvoir de pardonner.
La deuxième strophe confirme la tendance du poète à ne pas demeurer dans la position du pécheur pénitent et confus qui accepte avec résignation le jugement et le chtiment des autres. De manière explicite, il rejette le mépris que, par ressentiment ou par lcheté, la société des hommes pourrait concevoir à l'endroit des pendus, maintenant qu'ils sont, pour ainsi dire, à genoux :
Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain-
Fin connaisseur de l'me humaine (j'allais dire fin psychologue), Villon prévient la tentation, naturelle aux personnes sollicitées, de tirer avantage de la situation en humiliant le suppliant.
Cependant, ce qui est particulièrement saisissant dans les quatre premiers vers de la strophe, c'est leur charge ironique. Ainsi, dans la première proposition concessive «-quoique fûmes occis/ Par justice», la concession s'avère critique au regard de la grammaire, du lexique et de la versification. Sur le plan grammatical, le GP «par justice» peut être analysé comme CC de manière, signifiant ainsi, dans la logique de l'aveu, «équitablement» ou «justement.» Mais, la proposition étant passive, il peut être complément d'agent de l'action d'occire avec omission de l'article «la». La justice serait alors non l'idée, mais l'appareil judiciaire. D'ailleurs, l'emploi du verbe occire ne laisse subsister aucun doute quant à l'attitude chicaneuse de Villon. Ce verbe, qui signifie, «tuer», n'est justifié et, partant, pardonné, que par la rime. Il dénonce LA justice comme un appareil de meurtre. Ce qui favorise une telle critique, c'est la multiplication des enjambements dans les quatre vers
Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon ses rassis.
Le rythme accéléré par les enjambements favorise le caractère confidentiel et furtif du trait, chose que tend à confirmer la proposition incise «vous savez», qui semble rechercher la complicité intelligente d'un lecteur critique.
A la première concession, succède une deuxième, introduite par «Toutefois» , qui achève de discréditer la justice et remet en question la culpabilité même des pendus en remettant en cause le «bon sens» des hommes. Le vers 15, arrive alors, reprenant le discours de la supplique
Excusez-nous puisque sommes transis.
L'auteur semble y faire l'unique vraie concession du poème. D'ailleurs le verbe est faible et l'excuse un truisme. Le «nous» devient martyr et c'est peut-être là qu'il faut trouver le vrai sens du vers16
Envers le fils de la vierge Marie.
Que le pardon soit accordé au nom du Christ, pompeusement et religieusement périphrasé, ne peut être fortuit et ne peut s'expliquer par la seule facture religieuse du poème. Nous sommes en effet tenté de penser que le poète cherche, fort subtilement, à identifier le supplice injuste des pendus à la passion du Christ. Nous pensons notamment au fameux «Pardonnez-leur ; ils ne savent pas ce qu'ils font . »
Les quatre vers qui finissent la strophe paraissent jurer avec le ton persifleur des quatre premier. Là, les mots sont ceux d'une prière sincère et solennelle. Outre le lexique, la tonalité oratoire, l'hyperbole «infernale foudre» ainsi que la richesse des rimes confèrent à ces vers force et profondeur. Le simple constat «Nous sommes morts» est à même d'effacer les incartades rhétoriques du pénitent rebelle. L'allitération en [m] et en[n] participe phonétiquement à la sympathie du vers, en l'apparentant au balbutiement de l'enfant pris en faute
Nous sommes morts, me ne nous harie.
Dans la strophe suivante se déploie le spectacle quasi burlesque de la mort. Un tableau animé y peint la scène macabre des pendus, jetés en pture aux éléments «pluie», «soleil», «vent» qui, par leur acharnement, incarnent la punition divine et rendent le pardon possible.
Le poète détaille le supplice des pendus en développant un champ lexical contrasté de la torture. A l'action de l'eau «la pluie nous a débués et lavés» répond celle du feu «et le soleil desséchés et noircis. » La torture par le feu fait figure de purgatoire mais rappelle aussi le raffinement médiéval en la matière. L'intervention des oiseaux paraît vouloir rendre à la souffrance son caractère vicieusement minutieux et sadique.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Mais , paradoxalement, l'effet de l'image est assez mitigé : on ne sait si l'on doit en être horrifié ou en rire. L'idée d'oiseaux épilant les pendus paraît, en effet, assez cocasse pour évacuer le pathétique. D'ailleurs, la Lapalissade du vers 25 «Jamais nul temps nous ne sommes assis», lue comme une boutade, ne manque pas de faire sourire. En outre, le rythme des vers
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser, nous charrie
imite avec bonheur une danse qui, pour être macabre, n'en est pas moins joyeusement légère, aérienne pour ainsi dire. Les deux vers observent respectivement le rythme 2/2//6 et 4/3/3, chose pour le moins originale dans des décasyllabes du XVe siècle. La variation du rythme, musicalement renforcée par l'allitération en [v], nous fait voir les corps pendus faisant des pas de danse burlesques. La comparaison qui suit , «plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre», par son grotesque et le caractère trivial du comparant confirme l'intention facétieuse du poète. L'horizon d'attente est parfaitement déçu. Le lecteur se trouve perdu, d'autant plus que du tableau ainsi peint, le poète tire une leçon morale qui transforme les pendus en martyrs de l'exemple :
Ne soyez donc de notre confrérie.
Là encore, il n'est pas aisé de saisir la portée réelle du mot «confrérie» : est-ce de l'ironie répondant au penchant villonien à l'autodérision ou est-ce la revendication de l'appartenance à une communauté bien définie et qui s'assume en tant que telle ?
Le refrain , ainsi préparé par le vers 29, arrive pour nous ramener au solennel. Mais il faut noter que l'auteur prend plus de risque en passant d'une strophe à une autre. En effet, si le refrain est préparé dès le premier vers dans la première strophe et dès le cinquième dans la deuxième, il ne répond plus qu'au neuvième vers dans la troisième.
L'envoi de la ballade se veut péroraison. Il s'y opère un retournement de situation qui, en fait, n'est que la conclusion logique des strophes précédentes : Jésus devient l'unique destinataire de la prière. L'apostrophe «Prince Jésus» place celui-ci au-dessus de «tous», c'est-à-dire, aussi bien des pendus que des autres humains, désormais égaux devant le besoin d'absolution divine. Jésus est invoqué pour préserver le «nous» demandeur de l'Enfer. Villon, s'est-il donc assagi dans l'envoi ? Est-il sincère ?
S'il l'est, quel besoin a-t-il de dire
Hommes, ici n'a point de moquerie ?
N'est-ce pas une manière d'attirer l'attention du lecteur distrait sur toute la moquerie qu'il y a dans ce poème ?
En fait, en personnifiant l'Enfer, dans les vers
Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie
Villon en fait le rival de Jésus, qu'il implique dans une sorte de compétition pour le pouvoir. A la rime le mot «seigneurie» répond au mot «maîtrie . » Ce dernier se rapporte à Jésus et le premier à «Enfer . » Villon s'amuse-t-il encore alors que la prière se termine ? Ou pense-t-il que l'humour, même blasphématoire, est plus persuasif que les larmes ?
«La Ballade des pendus» est un exemple de rapport heureux entre contrainte formelle et génie poétique. Jamais le lecteur n'a le sentiment que telle ou telle nécessité formelle empêche la communication de l'idée. Au contraire, Villon semble jouer avec les contraintes, libre dans le moule rhétorique étroit de la ballade. Ainsi, la rime que Verlaine, bien plus tard, appellera, dans un célèbre poème , «esclave», pardonne des mots qui, cependant, ne doivent rien à l'accident de la rime : ils disent bien ce qu'ils ont à dire, même quand le vers enjambe. Le refrain, particulièrement difficile à cause de la conjonction de coordination «mais», qui nécessite une préparation vigilante, est l'occasion d'un exercice de style savant et périlleux où l'idée joue avec sa forme sans jamais en être la victime. Si Villon réussit à obtenir le pardon, c'est certainement plus par le génie de sa ballade que par la prière elle-même. Mais, a-t-il seulement besoin d'être pardonné ? Le lecteur n'a-t-il pas plutôt envie de se faire pendre avec lui ?
Moteur de recherche

Derniers articles sur le forum
Travaux encadrés  Vu 1204 fois
CPGE programme 2023-2024  Vu 13135 fois



Réponse N°11 1119

A PROPOS DE L'EXPLICATION DE LA BALLADE
Par Adi Lachgar(CS)le 2009-03-31 00:50:20

Cher Marocagreg

J'aurais aimé que cette explication soit validée comme contribution et non comme simple message.Pouvez-vous y faire quelque chose? Merci infiniment.




Réponse N°12 1369

biographie de villon
Par el yamani ilias(CS)le 2009-05-31 02:00:03

bjr

est ce que quelqu'un peut nous part de la biographie complété de l'auteur de cette belle balade?

et merci



confidentialite