Etude des concepts (civilisation, barbare, préjugé, stéréotype et ethnocentrisme)


Hazmi Brahim (?) [9 msg envoyés ]
Publié le:2014-11-24 20:41:19 Lu :2157 fois
Rubrique :Cours de philosophie  
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Etude des concepts (civilisation, barbare, préjugé, stéréotype et ethnocentrisme)
L'histoire du mot «civilisation» montre que son rôle a été d'abord de souligner la différence entre les peuples les plus «évolués» et les autres. La civilisation représente donc les caractéristiques des peuples qui emploient ce mot.
En effet, si «civilisé» s'oppose à «sauvage», le terme s'oppose aussi à «barbare». De ce mot une interprétation suggestive a été formulée par Harald
Weinrich :
«Le mot barbare a un profil phonétique qui se caractérise par la rencontre de la consonne b et de la voyelle a, en liaison avec une liquide, en l'occurrence r. Il existe un contraste maximal entre la fermeture de l'occlusive bilabiale b et la voyelle la plus ouverte. C'est le même contraste que l'on trouve dans les langues du monde les plus diverses au stade de la petite enfance pour dénommer «maman» et «papa». Pour résumer notre petite interprétation du mot barbare, nous pouvons conclure que dans le monde hellénique, l'individu étranger est perçu, et par la suite classé, comme quelqu'un de comparable à un enfant encore presque entièrement privé de parole (lat. : infans) et qui babille assez vite et de façon incompréhensible. De ce point de vue, il paraît évident que l'on ne peut attendre de la part de tels barbares aucune grande œuvre culturelle et que, par conséquent, il n'y a pas de raison d'apprendre leurs langues.»
Le mot barbare recèle une connotation péjorative. Il est pour les grecs une nomination qui résume leur «vision» qui va à l'encontre de l'égalité des autres peuples. D'ailleurs, le sens de supériorité n'est pas seulement une caractéristique purement grecque. Il est omniprésent chez divers peuples et imprègne plusieurs mentalités. En effet, les hébreux prétendent qu'ils sont «le peuple élu par Dieu», les musulmans considèrent leur «religion» comme la plus saine et qu'elle est dépourvue de toute «falsification» par rapport aux autres religions. L'Allemagne nazie a bti sa politique colonialiste sur l'idée de la perfection de la race «blanche» qui doit dominer le monde.
L'idée qui se dégage dans ce qu'on a évoqué est que la pensée humaine dans son long cheminement est parsemée de préjugés qui altèrent la relation avec «l'Autre» et légitime son exploitation.
L'autre, le différent ou le «barbare» est toujours perçu comme le suppôt du mal. Le dénigrement de l'autre est une chose aussi vieille que l'existence de l'humanité. Pour cette raison, des philosophes et des penseurs ont combattu avec effervescence les préjugés et l'arrogance qui en découle, car ils sont considérés comme la source de ravages néfastes qui enfantent la haine et la destruction.
Concernant l'ethnocentrisme, il est la contestation absolue de toutes les valeurs différentes. Il s'appuie sur une idée aberrante, à savoir la suprématie d'une civilisation ou des valeurs culturelles sur toutes les autres distinctes. Cette attitude est liée intimement avec le repliement sur soi. Le XVIIIe siècle français où l'éclosion des lettres persanes a vu le jour était caractérisé par un préjugé manifeste «éclairer le monde». Cette attitude est contestée par Montesquieu d'une manière implicite dans ses écrits. Même si les valeurs du XVIIIe siècle sont universelles, il est pour autant inconvenable de nier la richesse des autres cultures (indienne, chinoise, le bon sauvage..) dont il faut s'inspirer. L'esprit relatif sera pour les philosophes du XVIIIe siècle la pierre angulaire de toute pensée éclairée. L'absolutisme dans toutes ses formes ne trouve pas grce à leurs yeux.
En effet, la conviction que la civilisation française est en mesure de représenter un optimum à atteindre de la part de tous les hommes remonte aux dernières décennies du XVIIIe siècle. Cette certitude constituera un leitmotiv de toute la pensée politique du XIXe siècle jusqu'à devenir un soutien idéologique et une légitimation à la conquête coloniale.
Les encyclopédistes, les philosophes et les penseurs du siècle des Lumières se croyaient chargés de répandre parmi tous les peuples «les vérités utiles à leur bonheur, de les éclairer sur leurs intérêts comme sur leurs droits».
La mission des pays civilisés est de guider les autres populations sur le chemin du progrès, du développement scientifique, de la raison, du monde moderne. Cette idée est propagée et rendue accessible aux masses par les hymnes révolutionnaires, chantés au cours des fêtes nationales. Ces manifestations gigantesques se donnaient pour but de hter le progrès de la prise de conscience républicaine.
En 1831, dans son Introduction à l'histoire universelle, Michelet manifeste sa confiance en une libération progressive de l'humanité et attribue à la France un rôle privilégié dans l'émancipation de l'espèce humaine.
Cette attitude a été dénoncée beaucoup plus tard par Edmund Leech comme le «piège de l'altruisme» :
«Ceux qui assimilent les donnés anthropologiques aux données historiques se considèrent comme étant au sommet du progrès ; nous représentons l'acmé du développement historique mondial. Par conséquent, l'altruisme implique les autres, qui sont sous un certain sens sous-développés, ne pourront que bénéficier d'une conversion à notre façon de vivre».
Le sentiment de la supériorité recelé dans l'esprit des contempteurs et qui se déferle sur les autres comme une trombe non clémente conduit ainsi à inoculer des préjugés et des stéréotypes flagrants. Par ailleurs, la relativité s'écroule en laissant place au fanatisme morbide. Avant d'analyser les Lettres Persanes, il s'avère nécessaire de définir les préjugés. Ensuite, nous verrons comment Montesquieu cultive l'esprit relatif dans les Lettres persanes.
Les préjugés et les stéréotypes :
D'un point de vue étymologique, le mot «préjugé» indiquerait simplement un jugement qui précède l'expérience ; mais vu que l'exigence d'une validation empirique est à la base de la science moderne et que tout jugement émis en absence de données objectives est considéré comme erroné, à cette signification initiale s'est ajoutée l'idée qu'il constitue un obstacle à la connaissance de la vérité.
Concernant le stéréotype, R. Amossy a retracé l'histoire du mot et du concept ; il naît en milieu typographique, vers la fin du XVIIIe siècle, pour indiquer la reproduction d'images imprimées par le biais de formes fixes. C'est un journaliste, Walter Lippman, qui en 1922 introduit le mot dans les sciences sociales, pour affirmer que la connaissance de la réalité extérieure ne se réalise pas de façon directe, mais par des représentations mentales. Le concept a ensuite été approfondi dans d'autres disciplines.
Les différents études sur les stéréotypes tendent, à les présenter comme une nécessité pour l'esprit d'organiser et de sélectionner les informations, afin de disposer d'idées simplifiées et stables sur les différentes catégories d'objets. Pour leur part les anthropologues ont souvent fait remarquer que l'ethnocentrisme est le fait de toutes les sociétés humaines, même les plus isolées : la tendance à poser son propre groupe comme mesure absolue à laquelle comparer tous les autres et à juger les diversités comme des infériorités peut être considérée comme universelle. Dans Race et histoire, Lévy-Strauss dénonce le préjugé ethnocentrique en raison duquel chaque groupe humain pense que : «l'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, même du village ; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent d'un nom qui signifie «les hommes» (ou les «bons», les «excellents», «les «complets»), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages, ne participent pas des vertus- ou même de la nature- humaines, mais sont tout au plus composés de «mauvais», de «méchants», de «singes de terre» ou d' «œufs de pou» .
Connaître le mécanisme qui anime les représentations sur l'Autre, qui se nourrit de relents emmagasinés dans l'esprit des hommes est un passage obligé pour concevoir l'autre dans toute sa complexité. Par ailleurs, Montesquieu use dans les lettres persanes une satire acerbe bariolée d'ironie tonitruante pour cultiver avec brio l'esprit relatif.
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