Didactique : la mise en place de l'univers romanesque


Hassoun Oumaima (Prof) [46 msg envoyés ]
Publié le:2015-08-20 12:03:13 Lu :2656 fois
Rubrique :AgrĂ©gation  
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Didactique : La mise en place de l'univers romanesque

Introduction :

Parmi les significations du mot «univers», on trouve dans le dictionnaire : Du latin universum €˜tout entier' ce qui constitue le monde des personnages dans une œuvre de fiction. L'univers romanesque représente ainsi une toile de fond indispensable aux situations et pensées des personnages. Cherchant incessamment à créer un effet du réel, le romancier penche pour la plupart du temps vers un univers familier au lecteur ou d'au moins vraisemblable. Les textes du corpus proposés, mènent quant à eux une réflexion toute autre sur l'univers romanesque. Les auteurs affirment leur autorité à disposer, entièrement, des fils de leurs histoires notamment des lieux où elles se passent, des noms qu'ils donnent à leurs personnages, en gros : d'un espace romanesque foncièrement dépendant de la volonté et de l'imaginaire du narrateur. Etant donné que l'adjectif «romanesque» porte une dimension ludique, les auteurs tels Scarron dans son œuvre intitulée Le Roman comique publiée en 1651, part de cette optique dès l'incipit pour parodier les romans picaresques qui prétendent être sérieux afin de souligner la distinction entre réalité et romanesque. Dans Jacques le fataliste, Diderot propose une nouvelle définition à la réception, créant deux personnages fictifs mais dotés de traits tout à fait humains à savoir Jacques et son maître, le romancier affiche d'une part l'air plaisant de son livre et d'autre part mène une réflexion sur le texte romanesque lui-même objet de questionnement et de remise en cause comme le souligne les premières lignes de son roman. En 1969, Jean Marie Gustave Le Clézio écrit Le Livre des fuites où il présente également un univers puisant son cadre spatial de la réalité mais reste néanmoins sans histoire apparente. Le narrateur décrit la situation de son héros, en l'occurrence, un jeune garçon dans un aéroport sans pour autant évoquer son «Etat-civil». La mise en place du romanesque s'effectue ainsi en impliquant le lecteur dans la narration pour souligner justement cette dimension ludique poussant à réfléchir au-delà du formel au sens véritable du texte.

Problématique : On se demandera donc, si en optant pour un texte à caractère subversif, les auteurs parviennent à mettre en place un univers romanesque à la fois plaisant et sérieux.

L'objectif : sera en effet d'amener les élèves à dégager les caractéristiques modernes de ces textes et de s'interroger sur l'enjeu majeur que pose la création de l'univers romanesque à savoir «l'illusion du réel». Cette séquence pourrait prendre place en début d'année, pour les élèves de la deuxième année des classes préparatoires dans la mesure où elle ne nécessite pas un grand nombre de pré-acquis, seules les définitions des mots : récit, roman, description, narrateur seront mis en œuvre. Quant au pré-requis, les élèves auront l'occasion de dégager la spécificité du corpus à savoir, le statut du narrateur et l'implication du lecteur dans la trame narrative.


La séquence comprendra quatre séances pour une durée de cinq heures. La première séance : (1h) sera consacrée à une lecture analytique du texte de Scarron (qui tout en optant pour un incipit aux codes traditionnels : imparfait de la narration, présentation des personnages) affiche le côté plaisant de son univers romanesque. La deuxième séance : (2h) et sera consacrée à un plan détaillé de commentaire composé des premières pages de Jacques le fataliste pour souligner la posture autoritaire du narrateur. La troisième séance (2h) plan d'une étude littéraire du Livre des fuites pour étudier l'assistance du lecteur à la mise en place d'un univers romanesque. Le choix des textes répond particulièrement à un leur appartenance chronologique (17ème, 18ème et 20ème Siècles).

1ère séance : (1h pour découvrir l'aspect plaisant de l'univers romanesque). Lecture analytique du Roman comique

Le Roman comique de Paul Scarron est un récit qui retrace les aventures d'une troupe de comédiens (1er sens de 'comique€) dans la région du Mans. L'intrigue repose sur deux jeunes gens, le Destin et l'Etoile qui, pour échapper à des malveillants, se sont joints aux comédiens. On assiste ici à la description du premier voyage de la troupe et de la présentation du héros Destin deux procédés qui participent à la création de l'univers romanesque. Inspiré du roman picaresque, le roman comique se prête à lire comme une parodie de ce dernier. L'incipit proposé témoigne de cela.

Comment donc, en se conformant aux règles traditionnelles de l'incipit de l'œuvre picaresque, le texte de Scarron le tourne en dérision et joint à lui une dimension ludique ? Plan : I- Un cadre romanesque traditionnel ; II- L'aspect plaisant de l'incipit

On demandera aux élèves de relever de prime abord les caractéristiques du récit. Ils remarqueront l'emploi des temps verbaux à titre d'exemple (le plus que parfait : avait achevé l.1 ; l'imparfait : voulait l.2, marchait l.13 ; plus que parfait du subjonctif : eussent voulu l.2, eussent achevé l.3.). La présentation des personnages : Une troupe de comédiens (titre qui chapeaute cette première partie du chapitre) et l'évocation des noms des protagonistes : Destin, Rancune l.40 et Caverne l.41 ; Ce relevé aura pour spécificité de montrer qu'il s'agit bel et bien d'un texte narratif obéissant aux règles conformes d'un écrit classique permettant ainsi d'installer le lecteur au cœur de l'histoire. L'incipit qui est un point stratégique dans l'œuvre donne ici, comme à l'habitude, le cadre spatio-temporel de l'histoire (l'arrivée de la troupe à la ville du Mans en plein jour). Ainsi le lecteur dispose de suffisamment d'éléments pour se plonger dans l'intrigue. Et c'est l'installation même de l'univers romanesque qui doit attirer le lecteur. Les élèves constateront donc que l'incipit accomplit sa fonction programmatique mais garde toutefois un trait plaisant lui permettant de réfléchir sur son propre fonctionnement.

Le texte commence par la conjonction de deux unités différentes. A savoir, le temps «le soleil avait achevé.» Et «le char.roulait plus vite qu'il ne le voulait» cette introduction rappelle au lecteur celle des romans picaresques. Mais dès que la voix du narrateur surgit, la verve comique prend place. «Pour parler plus humainement et plus intelligemment»l.6 aussi montre-t-il qu'il s'agit en effet d'une entrée de jeu semblable à celles des romans picaresques mais pour un but différent. Les élèves, qui connaissent certainement la plupart des registres littéraires, constateront qu'on a affaire à la tonalité burlesque. L'aspect plaisant se poursuit donc à travers la description des personnages tels le (jeune homme l.12, la charrette l.8, le vieillard l.25) rendant compte de descriptions drôles et parodiques. Le portrait physique du jeune homme «aussi pauvre d'habits que riche de mine l.13» souvent assimilé à l'aspect vestimentaire d'un guerrier antique ; Je cite : «héros de l'antiquité l.23», «des brodequins à l'antique l.24» laisse entendre un ton grotesque faisant d'un simple comédien, un personnage noble. La comparaison par ailleurs du vieillard à une tortue «Quelque critique murmurera de la comparaison.l.27» vient s'ajouter pour confirmer l'aspect essentiellement plaisant du texte. Le narrateur interroge donc la vraisemblance en la tournant en dérision. Car pour lui, la création romanesque doit avant tout être assujettie à son autorité comme il le dit clairement «Et de plus, je m'en sers de ma seule autorité»l.30 ; Les élèves, qui connaissent quelques règles du récit narratif comprendront que celui-là obéit certes à ces règles mais tout en les dérangeant. C'est ce que montrent les trois commentaires du narrateur (pour parler plus humainement l.6 / Je m'en sers de ma seule autorité l.30/ l'auteur se reposa quelque temps et se mit à songer l.51). Il s'agit donc d'expliquer aux élèves la notion de «digression» dont se sert le narrateur pour divertir et marquer une pause au sein même de son conte. D'où l'aspect amusant de l'incipit.

Cette séance aura donc mis en œuvre le caractère divertissant du texte de Scarron qui réside foncièrement dans la réflexion sur le cadre traditionnel du roman et la création même d'une histoire. L'univers romanesque, en addition de l'histoire racontée, est également objet de réflexion pour le narrateur. Cette réflexion prendra plus d'ampleur dans le texte de Diderot.


2ème séance : (2h pour voir le nouveau statut du narrateur) Plan détaillé de commentaire composé Jacques le fataliste

Jacques le fataliste raconte un voyage d'une huitaine de jours accompli par deux cavaliers, Jacques, un valet et son maître. La date et le lieu exacts ne sont jamais précis et le but du voyage n'est révélé que lorsqu'il est atteint. Le texte proposé dans le corpus constitue l'incipit du roman. Son caractère discursif et subversif aussi offre une nouvelle vision sur la création de l'univers romanesque.

On se demandera donc, si en ayant recours à un dialogue avec le lecteur, l'instance du narrateur supprime l'illusion romanesque. Partant, nous analyserons, la présence du narrateur en tant que personnage de la fiction ensuite nous nous attarderons sur la réflexion quant à l'univers romanesque et enfin nous aborderons les caractères des personnages actants dans cette première partie de l'œuvre.


  1. Le narrateur : un personnage dans l'histoire :

  1. Détient les fils de la narration :

Dès les premières lignes, le lecteur est intrigué et emporté par un texte qui ne ressemble à aucun autre et qui échappe à toute tentative de réduction. Les élèves remarqueront cela premièrement à travers l'absence des repères (aucun cadre spatio-temporel n'est précisé) et deuxièmement par l'autorité du narrateur. Car il est le seul responsable dans l'effacement de ceux-ci. Les modalités interrogatives qui impliquent autant le lecteur que le narrateur dans l'histoire, soulignent la nouveauté du texte. (l.1 à la l.3). Le narrateur prend dors et déjà le statut d'un personnage dont le réel qu'il semble incarner est également une illusion.

  1. Actant à la fois réel et fictif :

L'auteur semble d'abord extérieur à ses personnages : il les regarde agir, ignore leur passé et le but de leur voyage. Néanmoins, il manifeste parfois son autorité de créateur : (l.10, p.2 : il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an.). Cette fonction de régie donne au narrateur la possibilité d'effacer les frontières bien définies entre un auteur démiurge, c'est-à-dire créateur tout puissant (que l'expression fataliste : tout est écrit là-haut l.5 p.1 abolit) un lecteur consommateur d'histoire (comme le souligne la question : voilà la seconde fois que vous me faites cette question l.18 p.2) et des personnages fictifs. Ce statut équivoque du narrateur n'est là que pour pousser le lecteur à réfléchir tout comme lui à la création romanesque autrement dit à ce que signifie la question : Qu'est ce qu'écrire un roman ?

  1. Réflexion sur la création romanesque:

  1. Fiction et vérité

Le narrateur pousse donc son lecteur à réfléchir sur la création romanesque. En le positionnement tantôt comme un observateur des deux héros (Jacques et son maître) tantôt invité à s'identifier à eux et précisément au maître (comme lorsqu'il dit par exemple : «à la l.14 p.3Toujours des questions. Vous ne voulez donc pas que Jacques continue le récit de ses amours ?». Par le biais de ce constat, les élèves auront l'occasion de découvrir un nouveau statut du lecteur à savoir : le narrataire qui contrairement au lecteur, est un être fictif qui correspond à l'image que se fait le narrateur de celui à qui il destine son récit. Ce narrataire connaît la langue de celui qui raconte, il possède une mémoire infaillible, mais il ne connaît pas d'avance les personnages du récit et il ne peut interpréter seul la valeur de leurs actes. Il a besoin des interventions du narrateur.


  1. La dimension ludique de la création romanesque

C'est ainsi qu'entre en jeu la dimension ludique du roman. Le narrateur s'amuse à laisser planer une incertitude quant au récit. Il se permet même d'introduire à nouveau une digression avant de laisser Jacques raconter ses amours comme le confirme (l'exemple du Paysan inconnu que les deux héros rencontrent à leur chemin l.31 p.2). Les élèves seront amenés à relever tous les composants du texte ; Ils découvriront en effet qu'il s'agit d'une narration hétérogène où s'entremêlent discours, dialogue et récit. Et c'est ce qu'on pourrait appeler une esthétique du discontinu notamment observé dans le livre de Laurence Sterne intitulé : Vie et Opinions de Tristram Shandy dont Diderot s'est largement inspiré.

  1. Importance du sens au détriment de la forme

Cette esthétique vise non pas seulement à déranger le narrataire mais à le pousser à réfléchir sur la difficulté que pose l'écriture d'un roman. Et même par ailleurs, la primauté du subconscient à la conscience supposée être logique et rationnelle. (Locke). Le narrateur cherche dés lors à mettre en place le sujet de la narration qui est la narration elle-même, ses enjeux voire sa philosophie au détriment de la forme à laquelle s'est habitué un lecteur passif. Les élèves seront ainsi amenés à tirer la conclusion suivante : L'univers romanesque, de par la tentative de sa création, est ce qui importe pour le narrateur de Jacques le fataliste. En outre, impliquer le narrataire dans l'écriture fait de lui un lecteur actif voire créateur même de l'œuvre à côté de l'auteur.


  1. Le statut des personnages principaux:

a)Jacques et son maître

Il arrive, en effet, à partir de bribes données dans le texte, à regrouper des informations concernant les personnages. On demandera aux élèves d'établir leur relevé. A partir du champ lexical évoquant l'armée (l.4 p.1 capitaine, fusil l.7, camp l.17, régiment l.16, bataille l.16 p.1) ils découvriront évidemment que Jacques était en fait un soldat. Que selon lui, «tout est écrit là-haut l.4 p.1 et l.4 p.3» et qu'il va raconter ses amours à son maître. Ce dernier quant à lui reste dans l'anonymat et son seul souci est de questionner Jacques et l'écouter parler. Les élèves constateront donc que, certes, on assiste à une naissance du roman, autrement dit à la création d'un livre mais les ingrédients sont bel et bien présents et qu'il faut simplement savoir les rassembler.

  1. La présence du narrateur est une suppression de l'illusion romanesque

En effet, ce texte qui ne ressemble aucunement aux incipits traditionnels use des règles classiques à savoir la fonction programmatique, en l'occurrence, «le récit des amours de Jacques l.14 à l.17» pour attirer l'attention du narrataire. Ce dernier devient un personnage actant dans la fiction et supprime ainsi toute illusion romanesque. Le narrateur, par ailleurs, se moque du caractère passif du lecteur en lui disant : «Si cela vous fera plaisir.laissons-les aller et revenons à nos deux voyageurs» l.16 p.3. En effet, le narrateur n'octroie à son lecteur la liberté de décision que pour la lui retirer. C'est ce que confirme par la suite, l'inachèvement du récit des amours de Jacques.

Au terme de cette séance, les élèves pourront remarquer l'originalité du texte de Diderot. Et apprécieront l'absence de l'illusion romanesque qui se justifie par l'ancrage du narrateur lui-même dans la fiction pouvant également créer un roman. Aussi pourront-ils découvrir leur rôle en tant que lecteur dans l'univers romanesque que propose Le Livre des fuites de Gustave Le Clézio.

3ème séance : (1h pour découvrir l'assistance du lecteur à la création romanesque) Plan d'une étude littéraire Le Livre des fuites

Le titre: Le livre des fuites, le sous-titre: roman d'aventures. Etrange roman qui semble perpétuellement fuir son lecteur. Publié en 1969 ce livre des fuites est décidément un livre très étrange, roman sans histoire et dont le seul personnage, Jeune Homme Hogan, se voit réduit au rôle ténu de fil conducteur, d'un lieu à un autre, de méditation en rêverie, dans un projet romanesque que l'auteur lui-même n'arrive pas à tracer totalement. Dans l'extrait proposé, le narrateur invite le lecteur à imaginer avec lui un cadre spatial où pourrait se créer un personnage et une histoire définie. Cette implication du lecteur, semble caractéristique de l'originalité du livre et mime surtout le Destin de l'homme qui avance dans la vie sans destination connue ou préétablie.

Les élèves, et après une lecture attentive à la maison, seront appelés en classe à proposer une problématique portant sur la présence du lecteur comme aide-romancier.

Ils exploiteront donc la notion du narrataire, l'esthétique du discontinu déjà travaillée dans la séance précédente. A partir de leurs propositions, la problématique serait :

Comment, en mettant en œuvre une expérience de l'écriture, le narrateur demande l'aide dans la création de l'univers romanesque auprès de son narrataire ?

Pour répondre à cette problématique, on proposera ce plan :

I-Un texte original :

  1. Expérience de l'écriture

  2. Appel Ă  l'aide du lecteur (narrataire)

II- Une fuite à l'écriture classique

a)Absence d'une histoire bien ficelée

b) Mimesis du Destin de l'homme

III- Difficulté de la création du roman

a)Hésitation d'établir une histoire

b) Roman qui tourne en antiroman.

En somme, l'ensemble de ces séances aurait donc aidé les élèves à apprécier l'originalité des textes proposés, les enjeux que posent l'univers romanesque à savoir les éléments nécessaires à la mise en place du roman (narrateur, histoire, personnages, statut du lecteur). Auront appréhendé l'importance du sens donné à l'histoire plutôt qu'à sa forme dès l'incipit. Et comprendront particulièrement que grce même à la déconstruction du roman que ce dernier prend place comme l'ont démontré les exemples de Jacques le fataliste et le Livre des fuites.



Travail établi par : HASSOUN Oumaima


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