Croire et savoir, chez goethe, melville et flaubert


Hassoun Oumaima (Prof) [47 msg envoyés ]
Publié le:2012-12-24 07:39:43 Lu :2108 fois
Rubrique :Agrégation  
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Croire et Savoir

Par : HASSOUN Oumaima.

Chez Goethe, Melville et Flaubert.

En pastichant Schopenhauer dans son Sur la Religion (p.101), l'on peut dire que «la fiction en tant que moyen de réflexion n'a absolument rien à faire avec ce qui doit ou peut être cru; mais seulement avec ce qu'on peut savoir». Dès lors, la disjonction entre «croire» et «savoir» s'établit. En effet, si la première notion (croire) peut être considérée comme le plus souvent un assentiment faux ou un mode incomplet du vrai, la deuxième (savoir), elle, réfère une saisie conceptuelle de celui-ci. En cela, le fait de croire devient un indispensable intermédiaire entre savoir même et ignorer, et la fiction «dont la seule morale est la connaissance» comme le pense Milan Kundera dans L'Art du roman, permet de déceler les limites des deux concepts qui prétendent chacun pour sa part détenir la vérité. Avoir alors la certitude tel que le laisse entendre le mot «croire» ou encore être conscient de celle-ci comme l'est le cas dans le sens de «savoir» disent, tous deux, en fait l'impossibilité de la prouver et offre par là même à la fiction l'occasion de suspendre tout jugement de vérité et posséder donc comme seule certitude «la sagesse de l'incertitude». Faisant du roman le lieu de cette interrogation fondamentale sur le rapport problématique entre Croire et Savoir, Goethe dans Les Affinités électives expose des psychologies qui cherchent instantanément à prouver que croire est la partie profonde du savoir, Melville dans Mardi donne à voir, à travers des discussions philosophiques, la nécessité de les séparer et Flaubert dans Bouvard et Pécuchet illustre leurs limites en mettant en scène deux sages fous qui, après tant d'expériences, abandonnent l'un et l'autre. La quête de la vérité, lieu commun entre croire et savoir, semble être la raison première de l'existence du débat des trois fictions.

Comment alors cette quête interminable de la vérité où sont représentés des personnages croyants profondément au savoir, les heurtent à la relativité de celui-ci et permet donc à la fiction de démontrer la sagesse de séparer croire et savoir sans pour autant les abandonner? Pour répondre à cette problématique

*Nous allons tout d'abord expliquer que:

I- La croyance au savoir est le premier motif du projet encyclopédique:

1) Désir du savoir absolu

2) Croyance démesurée au savoir

3) Faire de croire et savoir deux notions synonymes engendre l'échec

*Pour ensuite montrer que:

II- Croire et savoir sont deux conceptions différentes

  1. Impossibilité de tout savoir

  2. La possibilité de croire ou ne pas croire (la question religieuse)

*Enfin, nous verrons que:

III- La sagesse prônée par la fiction est de séparer croire et savoir sans les abandonner

  1. Laïcisation morale

  2. Quête incessante de la vérité

I.

Pour Michel Foucault dans L'Ordre du discours:«il existe une opposition entre un savoir lié à l'exigence de dire «vrai» et un savoir poétique» où peut se déployer la question du «croire». Ainsi, les écrivains du XIXe siècle tels que Melville, Goethe ou encore Flaubert qui, apercevant une accélération phénoménale du développement économique et scientifique, tentent de comprendre les répercussions de ce développement sur la société moderne et remettre en cause le culte de la science conduisant à la pure illusion de croire uniquement à ses vertus. Le projet encyclopédique qui consiste à revisiter un ensemble de savoirs permet effectivement de voir le rapport extrêmement dangereux entre croire te savoir selon les perceptions des personnages des trois fictions.

La croyance totale au savoir ou encore l'aspiration à un savoir absolu est le premier trait caractéristique des personnages. Ayant toujours «le pied à l'étrier» Ch. I, le narrateur, dans l'oeuvre de Melville, exprime son désir constant de prendre le large et s'aventurer sur un océan sans fin, le sentiment d'ennui qui s'empare de lui au bord de l'Arcturion laisse surgir un esprit d'aventure presque inné. Il dit, à ce propos:«Ce fut durant cette fastidieuse période que je commençais à ressentir les premiers symptômes de mon aversion pour notre monotone bâtiment, qui devait aboutir aux aventures relatées ici»p.9. L'ennui a donc pour conséquence une recherche ou une tentative d'échapper à la stagnation ou alors à un état primitif de la pensée humaine.

Dans Bouvard et Pécuchet, les deux personnages éponymes, rageant contre la frustration de leur existence, manifestent une frénésie culturelle décrite par Flaubert en ces termes: «Chacun en écoutant l'autre retrouvait des parties de lui-même oubliées; et bien qu'ils eussent passé l'âge des émotions naïves, ils éprouvaient un plaisir nouveau, une sorte d'épanouissement, le charme des tendresses à leur début» p.50. Ce coup de foudre amical est en fait le résultat d'une nature purement intellectuelle. L'aspiration au savoir se traduit avant tout par l'émotion, et une espèce d'hybris d'ailleurs contenue dans les sèmes mêmes des mots: «parties oubliées/ émotions/ plaisir/ épanouissement/ charmes…». Comme si le flot de l'imaginaire commençait à prendre le chemin de l'hallucination et que le désir ou la boulimie d'apprendre existait déjà et ne faisait que réapparaître.

Dans Les Affinités électives, la même envie s'exprime, mais de façon interne. Car si Édouard évoquant la situation du Capitaine dit: «Son vrai supplice est d'être inoccupé… se croiser les bras, ou continuer à étudier, acquérir des talents nouveaux, quand il ne peut mettre à profit ce qu'il possède pleinement – c'est une pénible situation dont il éprouve doublement et triplement l'ennui dans la solitude» p.27, il ne fait ici que reproduire des pensées qui lui sont également propres. Édouard veut mettre en expérience son savoir et désire d'établir une atmosphère propice à ses convictions d'affinités.

Par ailleurs, ces personnages enclins à un savoir encyclopédique d'ailleurs contenu même dans les types ou métaphores de leurs aventures (le monde marin pour Melville, la campagne, lieu d'isolation et d'expérimentation pour Goethe et Flaubert) ne sont que les représentants du genre humain prétendant acquérir un savoir dont il ne disposera probablement jamais. Un savoir où doit être tranché définitivement l'opposition entre le vrai et le faux.

La fiction offre, à cet égard, l'occasion de montrer la bêtise du projet encyclopédique revendiqué par ces personnages. Aussi met-elle en scène, dans Mardi, un narrateur qui se fait passer par un demi-dieu (Taji) incarnant le savoir absolu p.150. Deux autodidactes (Bouvard et Pécuchet) qui cherchent à percer les mystères de toute la science «Ensuite, ils se glorifièrent les avantages des sciences: que de choses à connaître! Que de recherches si on avait le temps» p.50 et l'idée d'associer nature et culture, chimie et affinité dans Les Affinités électives par Édouard (heurté sans cesse à la lucidité de son ami qui «avait appris que les vues des hommes sont beaucoup trop diverses pour qu'on puisse les faire concourir même par les représentations les plus raisonnables» p.47.

La question du savoir absolu concerne en plus des protagonistes tous ceux qui les entourent ou plus exactement tous ceux qui entrent dans la spirale de l'aventure à la fois savante et fictionnelle. C'est qu'il s'agit d'un savoir qui concerne l'homme. Un savoir autant individuel que collectif.

L'exemple marin permet, à ce sujet, selon le narrateur de Mardi, une véritablement connaissance de l'homme, il affirme: «il faut dire qu'en mer, et dans la compagnie des marins, tout homme apparaît tel qu'il est (…) Pas de meilleure école qu'un bateau pour étudier la nature humaine» p.19. Cette croyance renforcée par la métaphore de la mer traduit et la nécessité d'étudier l'homme (qui est ici une nécessité de Savoir) et celle de connaître sa Vérité. Le temps du présent gnomique forme un adage que l'on retrouve presque chez tous les personnages requérant une certaine hauteur que ce soit au niveau de la croyance (Taji pour demi-dieu) ou d'une élévation spirituelle comme pour Odile dans Les Affinités électives qui atteste «Que chacun soit libre de ce qui l'attire, de ce qui lui fait plaisir, de ce qui lui semble utile; mais la vraie étude de l'humanité, c'est l'homme» p.242

Le savoir centré sur l'homme ou l'idée d'un humanisme inhérent aux différents savoirs conforte l'idée d'un besoin presqu'existentiel: celui de savoir et savoir absolument. Or la difficulté ou plutôt l'impossibilité d'un savoir absolu, d'un savoir qui englobe tout, précisément, tout ce qui se rapporte à l'homme ne peut qu'engendrer la souffrance. Voltaire témoigne, à propos, dans Dictionnaire philosophique: «il est bien plus sot de croire savoir ce qu'on ne sait pas», car «croire savoir» dans ce cas reflète effectivement le désir d'un savoir absolu, incontestable et irréfutable.

Étant des personnages types du genre humain, Édouard, Bouvard et Pécuchet ainsi que Babbalanja cherchent alors de compenser cette souffrance en proposant une forme plus abstraite du savoir, et de la science et qui est la croyance à la vérité de celle-ci. Le savoir absolu ou prétendu détenu sur et par l'homme montre, en profondeur, la croyance folle de celui-là en une vérité par la force des choses absolue. L'on parlera donc d'un croire fou ou démoniaque.

Nietzsche soutient qu'«il n'y a pas de science sans la croyance en la vérité et cette croyance, par définition, n'est pas de l'ordre de la vérité» c'est que la nature des idées diffère de la représentation qu'on en fait.

Dans les trois romans, la croyance (ou le croire) à la vérité des savoirs, des diverses sciences semble constituer le moteur de chaque étude et chaque aventure entamée. Dans l'oeuvre de Flaubert, les deux personnages «imbéciles de base et de sommet» tel que le pense Jules d'Aurevilly «sont essentiellement idéalistes: ils partent chaque fois avec une confiance naïve à force d'être entière, dans le pouvoir de la raison humaine et de la science», le passage d'une science à une autre après un échec cuisant, l'inspection et l'observation de ce qui les entoure (comme l'est le cas pour l'agriculture «et l'ambition les prit de cultiver leur ferme» p.71; la chimie «ils ambitionnaient de souffrir pour la science» p.110; la médecine ainsi que tous les domaines scientifiques visités participent de l'expression d'une croyance profonde et absolue à la science et au savoir. La fiction est à ce stade le parfait moyen qui opine de mettre en oeuvre sur les plans autant psychologique qu'esthétique ce croire dément et incommensurable.

Flaubert met, en effet, le dilettantisme de deux personnages absolument et totalement convaincus (et non persuadés) de la Vérité scientifique. En circulant de manière presque systématique par les étapes suivantes: réception/Lecture, application et échec de l'activité scientifique, les deux incurables, ne pouvant accepter l'inadéquation inacceptable entre le savoir et la réalité, autrement, croyant aveuglement à cette évidence, tombent désormais dans la bêtise voire dans la souffrance consciente. Le narrateur l'explicite en assurant: «En ayant plus d'idées, ils eurent plus de souffrances» p.57. Non seulement le savoir, mais surtout la croyance excessive qui cause justement cette souffrance.

Dans Mardi, c'est la croyance en une vérité unique, transcendante et inchangeable qui est mise en oeuvre. Tandis que le faux Taji affirme sa puissance dans les chapitres premiers de l'oeuvre notamment en décrivant le monde marin, les sciences: naturalisme/ spectacle des requins…etc. Ses compagnons de voyage prétendent chacun détenir la vérité. Cet entêtement ou alors opiniâtreté est le ressort même de la bêtise. Dans sa fiction à tonalité ironique, Melville parvient à laisser entendre des voix discordantes qui trahissent formellement cette croyance en un seul sens donné au monde et aux choses. Au chapitre 93, le débat sur la vérité confronte en fait des points de vue véritablement divergents, soulignant donc la bêtise de croire toujours avoir raison. L'on voit ainsi Youmi qui défend sa poésie en disant: «Mes matériaux, ce sont mes propres idées, qui ont une forme et une unité, tout insubstantielles qu'elles sont, tandis que vous Barbe-Tressée, vous travaillez sur des débris de réalités et tâtonnez toujours dans l'obscurité. Il ne faut guère chercher la vérité en toi, historien (…) c'est souvent nous, poètes, qui sommes les vrais historiens.» p.250 La comparaison qu'il établit entre l'écriture du récit et l'art de la poésie souligne en profondeur une espèce de croyance extraordinaire à la valeur et à la vérité du domaine qu'il représente au détriment des doutes soulevés par l'obscurité dans le travail du conteur. La juxtaposition de ces domaines dans la fiction permet de remettre en question la croyance en tant qu'opinion tout à fait subjective en la grandeur d'un savoir qui laisse planer le doute. En revanche, c'est l'idée de se tromper à propos de soi qui est mise en avant. Le philosophe Babbalanja intervient pour éclaircir ceci en stipulant que «comme tous ceux qui discutent de leurs prétentions respectives, chacun de vous approche de la vérité quand il parle de l'autre et s'en éloigne quand il parle de lui-même» p.250. Le croire radical à la vérité, par extension au savoir, devient une espèce de savoir même lorsqu'il est question de jugement d'autrui. En cela, la définition du savoir de Socrate dans Gorgias semble pertinente, et valable pour cette situation puisqu'il dit: «savoir est une croyance non seulement vraie, mais accompagnée d'un discours de justification.»

Ainsi savoir et croire: deux notions intrinsèquement et sémantiquement infinies (comme le prouve d'ailleurs la valeur de l'infinitif) deviennent deux faces d'une même médaille appelée vérité.

Dans le monde sans science tangible des affinités électives, dans ce monde où l'observation au moins de la chimie confirme pourtant l'existence d'une chimie humaine et sentimentale; la croyance aux lois naturelles, en l'occurrence biologiques est érigée en axiome et contribue à expliquer même les affinités existantes entre les hommes ou inhérentes à leurs caractères similaires malgré leurs oppositions apparentes. Dans le Chapitre IV de la première partie et au débat autour du mot «affinité», les trois amis (Charlotte, Édouard et le capitaine) manifestent une foi indiscutable au pouvoir et à l'existence de l'attraction inévitable entre des «globules qui se ressemblent aussitôt qu'on les sépare» p.59. Le Capitaine exprime ceci en révélant que «nous remarquons dans tous les produits de la nature qui nous tombent sous le sens, une attraction intime». A ceci, s'ajoute la parabole chimique du mercure qui défend la thèse de correspondances inexorables entre les mouvements des molécules et ceux des coeurs amoureux. Goethe met donc en exergue des personnages qui, ayant une croyance favorable à ces lois, ne parviennent pas à les comprendre. Pour lui, puisqu'«il n'existe partout qu'une seule nature» c.à.d. que celle-ci est une, et indivisible, il met en échec toute tentative scientifique ou culturelle qui pourrait nuire à son unicité. Autant peut-il faire passer la culture pour une nature afin de confirmer sa conviction. Le triomphe de l'imagination «étant le siège, par ailleurs, de la croyance» sur la science en est la preuve. L'enfant Othon conçu par Édouard et Charlotte et qui porte les traits à la fois de l'ami et de la bien-aimée comme on le décrit: «On avait posé l'enfant sur les bras d'Odile, et, lorsqu'elle se pencha sur lui avec affection, elle ne fut pas peu effrayée devant ses yeux ouverts, car elle crut voir les siens» p.247 et à la même page:«Courtier, qui reçut ensuite l'enfant, s'étonna aussi en remarquant dans sa conformation une ressemblance frappante avec le capitaine; jamais il ne lui était rien arrivé de pareil» cela scelle la rupture entre la fiction et le savoir (croire et savoir également), car le fait d'avoir les traits des amants est scientifiquement invraisemblable, mais c'est arrivé.

Faire d'un savoir absolu une forme de croyance aveugle engendre non pas uniquement l'échec de celui-ci, mais une remise en question de la croyance au savoir et à ses mérites. Si alors la connaissance des personnages, dans les trois oeuvres, repose avant tout sur l'idée de croire irrémédiablement au savoir, elle ne pourrait en aucun cas constituer la vérité à laquelle ils aspirent. Croire n'est donc absolument pas synonyme de savoir et c'est cette vérité même que la fiction tente de démontrer.

II.

Il va sans dire que savoir est d'une matière plus dure que croire, si bien que, s'ils s'entrechoquent, c'est la croyance qui se brise. Incontestablement, le traitement de leur rapport quasi antinomique montre et les limites du premier (savoir) et la fragilité du deuxième (croire).

Les narrateurs de Mardi, B P et les A.E essayent de présenter des êtres en constant mouvement et par conséquent en constante recherche d'une vérité unique, laquelle vérité concilierait ses deux pôles (croire/savoir). Toutefois, l'impossibilité de tout savoir et surtout de savoir certainement semble être le premier obstacle qui empêche l'accès à cette vérité.

Dans Mardi, la visite des multiples îles qui représentent autant de métaphores de la diversité des savoirs (religieux/ politique/philosophique) donnent aux voyageurs de véritables opportunités pour appréhender le monde, mais accentue par ailleurs leur incapacité à le cerner en entier. Le philosophe Babbalanja l'avoue au Ch. 137 p.387:«Sans doute, notre voyage n'embrassera pas tout Mardi, comme le fait le récif» et Média qui réplique: «nous devons renoncer à visiter une grande partie de l'archipel, car nous ne pouvons pas rechercher Yillah partout.». A ce propos, Yillah incarne l'aspiration à atteindre cette vérité dont l'essence même échappe à Taji (le demi-dieu) qui avoue: «Tout ce qu'il y avait de secret en elle m'était de plus en plus cher et étrange» Ch.64/p.176. Néanmoins, il s'entête à la poursuivre dût-elle être une chimère. Ainsi, «la somme des folies de Mardi» devient infinie et la quête spirituelle d'une vérité inaccessible «Il n'y avait plus de Yillah» p.592 ne peut être alors qu'une pure projection du désir de savoir. Une projection fantasmatique et délirante.

C'est ce qui est perceptible chez les deux personnages de Flaubert. Parcourant un grand ensemble des arts et des sciences, Bouvard et Pécuchet font preuve d'émerveillement «Au fond d'un horizon plus lointain chaque jour, ils apercevaient des choses à la fois confuses et merveilleuses»p.56 et de désespoir «Ils arrivèrent à ne plus tolérer la moindre marque de décadence. Tout était de la décadence» p.154. Mais continent malgré leurs incessants échecs à chercher «la règle» p.90, à faire en sorte que «la cause et l'effet ne s'embrouillent jamais» p.119. C'est qu'ils croient en fait en la possibilité de tout comprendre, de tout savoir. L'obstacle du réel contredit, cependant, leur désir, celui de ne soupçonner aucun clivage entre la théorie et la pratique. De chute en chute, ils sont chaque fois étonnés de ne pas obtenir le résultat attendu, à la mesure du soin apporté dans l'application des préceptes. On les voit en conséquence passer d'un jeûne sévère à une boulimie inconcevable (p.125), d'un amour de la tragédie à sa sous-estimation radicale et comique p.193… L'impossible fidélité exacte entre la croyance par la théorie et le savoir par la pratique, entre réel et imagination est en vérité l'affirmation d'une ignorance indépassable chez l'homme et à certain degré la traduction d'un savoir qui ne peut correspondre à la croyance.

Chez Goethe, en particulier, la volonté d'embrasser le monde apparaît à travers la lecture et l'écriture des livres comme le laisse entendre cette description:«On ouvrit les livres où se voyait dessiné le plan d'une contrée et son aspect champêtre à l'état primitif de nature sauvage; sur d'autres planches était ensuite représenté le changement apporté par l'art pour utiliser et améliorer ce qu'il y avait de bon» p.79. En effet, le livre exprime exactement le désir de s'approprier le monde ou encore de le recréer. Cette croyance dépasse donc tout savoir et ne fait de lui qu'un moyen pour se réaliser. Le journal d'Odile, qui est expression de ce qu'elle voit, mais surtout de ce qu'elle désire, le montre clairement:«Il passe à travers le journal d'Odile un fil d'amour et de tendresse qui relie tout et caractérise l'ensemble. De la sorte, ces remarques, ces considérations, ces sentences d'emprunt, et tout ce qu'on y peut rencontrer d'autres deviennent spécialement propres à celle qui écrit et prennent pour elle de l'importance». p.181. Le savoir tombe en fin en disgrâce et cède place à une croyance ‘élévation d'Odile' qu'on espère salvatrice. Laquelle croyance repose avant tout sur le religieux. Parce que comme le dit le narrateur de Mardi au Ch.38 p.114: «Après la science, vient le sentiment». Mais l'inverse n'est pas aussi vrai?

La possibilité de croire qui s'oppose à l'impossibilité de tout savoir constitue pour les trois auteurs une sérieuse problématique. Donnant à voir des personnages avides de vérité, les trois romanciers débattent et redéfinissent le sens du mot «vérité» en rappelant de prime abord celle de la «religion».

Tandis que Taji est obnubilé par l'idée d'une seule Yillah (allégorie de l'amour et du savoir) Babbalanja, d'ailleurs habité par le démon Azzageddi (p.372) laisse apparaître d'ores et déjà la question religieuse. Démon qui est l'intermédiaire entre le divin et l'humain est aussi une façon de dire une certaine croyance oscillant entre folie et sagesse. Cette première, représentant l'aspect comique du personnage, ne cache pas pourtant la profondeur de ses pensées. Ce personnage parvient au final à associer savoir et croire ou plus précisément à faire montre d'un savoir intellectuel qui mène indubitablement à une forme de croyance morale (sereine). Aussi définit-il la vérité dont les deux faces sont (croire et savoir) comme suit: «La vérité se trouve dans les choses et non dans les mots: la vérité est sans voix (…) C'est l'éternelle question! Ne l'a-t-on pas posée dès le commencement du monde? Finissons-en avec elle. Comme l'a dit le vieux Bardianna, c'est là la question à laquelle nulle réponse ne saurait mettre un terme» p.p.253/254.

A l'opposé intervient Taji qui ne cesse tout au long du roman de dénoncer l'empire des croyances sur les esprits crédules: «A cette époque, les plus folles superstitieuses concernant l'intervention des dieux dans les affaires humaines avaient plus de forces qu'aujourd'hui» p.199. L'acte même d'assassiner Aléma (le prêtre) peut se lire comme une tentative d'éradiquer tout ensorcellement exercé au nom d'une tradition tournée en croyance religieuse. Le narrateur donne sciemment dans la mystification, tout en faisant sien, l'esprit critique, mais déchante lorsqu'il découvre que le monde de Mardi est plein de divinités inférieures de son genre.

Bouvard et Pécuchet, quant à eux, entretiennent un rapport, au début, extrêmement positiviste vis-à-vis de la croyance religieuse. C'est un rapport qui provient avant tout du pur hasard (NB: Après avoir essayé de se suicider au Ch.8 p.301, et cru que la Providence les a détournés de cette mauvaise entreprise) ils entament la lecture de l'Evangile et deviennent fidèles réguliers de la messe dans le but d'une «transformation intérieure» pour Bouvard et des «élans mystiques» pour Pécuchet. Déçus dans leurs attentes, les deux exposent au curé une série d'incohérences dogmatiques et liturgiques et comprennent enfin que «l'accord de la foi et de la raison», autrement de (croire et savoir) relève de l'impossible. Flaubert ne se moque pas exclusivement de la bêtise des deux qui cherchent une foi rationnelle, mais aussi de l'autorité ecclésiastique avare et hypocrite (incarnée par le curé qui incite à «adorer sans comprendre» p.321). La fiction devient pour cela le seul moyen d'arriver à la vérité où croire ne s'opposera pas au savoir, mais se fraiera son propre chemin. C'est pour cette raison que les deux sages fous (porte parole ici en l'occurrence de l'auteur) disent: «on pourrait prendre un sujet, épuiser les sources, en faire bien l'analyse puis le condenser dans une narration qui serait comme un raccourci des choses, reflétant la vérité tout entière» Ch. 4, p.178. La vérité fictionnelle met donc en branle toute autre vérité basée sur l'incompatibilité entre croyance et connaissance, entre réel et fictif y compris la religion ou ce qu'on pourrait appeler croyance mystique.

Le cas d'Odile est révélateur dans les A.E. Son éducation sentimentale et morale s'accomplit, mais sans véritable recours à la science. N'étant qu'amoureuse au début et vivant dans son innocence comme au paradis avant le départ d'Édouard, sort enfin de son état hypnotique pour battre en brèche un savoir qui n'a aucune emprise sur elle. L'idée de l'élévation du personnage d'Odile scelle en définitive la rupture entre croire et savoir et contrairement à toute attente, c'est le croire qui traduit cette élévation longtemps préparée. Le narrateur ne cessera de souligner les liens d'Odile avec un monde spirituel où la science va certainement céder la place au mysticisme. C'est une «céleste enfant» p.300, qui a «une vocation de sainte» p.186 et qui parvient même après sa mort à effectuer un miracle: «guérir sa servante par le contact et le regard» p.331. La sainte, transfigurée en une force positive qui tire vers le haut, connote une résonnance chrétienne et mystique reposant sur un renoncement total au monde et un refus des lois de la chimie humaine. L'on assiste par là à un passage d'une histoire chimique à une parabole biblique. Chez Goethe, la force intérieure, indéfinie chez l'homme est en réalité le seul moteur de son existence et de ses désirs d'atteindre l'au-delà.

À partir d'ici, l'on constate que le conflit existentiel entre croire et savoir, disparaît dès que le premier (pourvu que sa forme soit mystique) prend le dessus. Paradoxalement, cette importance ne lui est conférée que grâce à l'expérience d'un savoir imparfait, toujours inaccompli et le plus souvent relatif. Le passage d'un positivisme incontestable à un scepticisme fondé (B P), d'une volonté de tout appréhender par la raison à l'abandon serein de celle-ci (Babbalanja) et d'un savoir naturel à une mort divine (Odile) révèlent le désir des trois romanciers qui consiste à montrer la nécessité de traverser par une espèce de parcours pseudo-savant pour arriver enfin à une sagesse que seule la fiction peut permettre: La sagesse d'accepter le doute comme point de départ de toute entreprise savante et surtout d'avoir pour seule conviction que Croire et Savoir ne peuvent être que deux notions parallèles, constituant les rails sur lesquels avancent les trains de vérités.

III.

Dans son Savoirs et littérature, Michel Pierssens affirme que: «La portée critique de la littérature s'explique par le fait qu'elle est une oeuvre de connaissance et entreprise de déconstruction, machine à faire croire et scepticisme dévastateur». Autrement, la déconstruction que permet la fiction n'est qu'en faveur d'une construction plus solide et plus réelle de la pensée humaine: admettre ses limites et faire l'apologie de sa relativité telle est la sagesse que prône le récit de fiction.

Dans Mardi, Melville confronte ses personnages principaux, ses voyageurs certains à d'autres modèles qui doivent secouer leur certitude et assurer une sérieuse distinction entre la croyance aveugle et le savoir parfait qu'ils pensent posséder. L'exemple de Doxodox évoqué au Ch. 171 qui «a pénétré des principes situés dans les principes non situés» p.505 permet d'une part au narrateur de mettre à nue une philosophique caduque basée sur les mots qui ne réfèrent à rien si ce n'est à la bêtise de les employer, et d'autre part, au personnage de Babbalanja de mieux concevoir sa philosophie à lui (source d'interrogations et de réflexions sur le monde réel). C'est ce que souligne son indignation: «Croyait-il m'en imposer son baragouin ridicule? Quoi, ce creux phraseur, l'illustre Doxodox?». La rencontre de types différents parfois bornés dans l'esprit aide les personnages à remettre eux-mêmes en question leur propre croyance, et leur propre savoir. Si durant tout son voyage, Babbalanja «cherche l'essence des choses, le mystère qui gît au-delà, ce qui au-dessous de l'apparence, la perle précieuse dans la rugueuse coquille»p.310, il se moque au final de cette libido ciendi et conclut: «La science souvent nous leurre» p.449 pour trouver enfin repos et sérénité à l'île de Sérénia (Ch.187): «L'Amour et Alma règnent seuls à présent. Je vois avec d'autres yeux… Est-ce bien là ma main? J'ai été fou. Il y a des choses auxquelles nous ne devons pas penser» p.576. L'aspect religieux de cette croyance réside éventuellement dans le fait d'admettre l'incapacité de connaître le monde sous le seul angle de la raison, car ce monde, lui-même n'est pas qu'esprit, mais aussi une âme d'où le nom Alma.

Ceci est notamment palpable à travers le monologue du vieux Pani (après avoir écouté le discours du jeune garçon) qui juge que « Croire est un acte d'orgueil, que son doute même prouve son humilité» p.297, le vieux remué dans ses convictions intimes admet décidément que «celui qui doute vraiment, indubitablement, est le plus croyant» p.298. L'intrusion du doute dans toute opinion intellectuelle est la clé de la sagesse où croire et savoir seront complètement séparés.

Le doute de Bouvard et Pécuchet ne s'intensifie également qu'après les discussions et les débats avec le cercle des Villageois qui les entourent. Les deux perdent alors successivement l'admiration pour le médecin dont «le sourire accompagnant les paroles les blessa profondément»; le respect pour le curé qui «consultait secrètement son ami Pruneaux qui lui cherchait des preuves dans les auteurs» et la confiance au comte de Faverges qui affiche à la première occasion sa pensée arriviste abusiveautant de pouvoir que de préjugés. Le traitement psychologique que subissent ces personnages se fait le plus souvent devant ou par les deux protagonistes pour renvoyer dos à dos le dogmatisme de ceux-ci et l'impossible synonymie de savoir et croire formant la conclusion décisive de Bouvard et Pécuchet.

Pour Goethe, le dialogue qui s'établit entre les quatre personnages et les autres dialogues concernant: le mariage avec Courtier p.103; le jardinage avec le jardinier p.23; la relation libre avec le comte p.106; l'art, la chimie… contribuent tous à l'éducation concrète de la jeune Odile et lui permettent de renoncer au savoir en tant que notion perpétuellement changeante et à la croyance en ce qu'elle ne parvient pas à la faire sortir de son état de désespoir. Sa mort volontaire (ou son acte suicidaire) exprime la faillite et de croire au savoir. Semblable à Werther (de Les souffrances du jeune Werther), son acte insouciant devient original dans la mesure où elle tente de se défaire d'une situation qui lui pèse et du coup accéder à un bonheur infini.

C'est donc le contact avec le monde extérieur, avec les autres, qui établit la différence entre croire et savoir. Les trois auteurs accentuent ceci à travers le projet de la quête, reflété par l'objectif-même de la fiction.

Mardi propose le motif du voyage qui représente autant pour les personnages que pour le lecteur une occasion de visiter une partie du monde et alors une partie du savoir qui confinera à une forme de croyance plutôt sage et modérée pour certains. La quête de la vérité concrétisée par le déplacement spatial acquiert une importance primordiale souscrivant une ironie quant au croire à une vérité seule et unique et chantant sur un ton à la fois comique et sérieux les mérites de la fiction comme en témoigne cet exemple: «Une chose peut être incroyable et pourtant vraie; quelquefois, elle est incroyable parce qu'elle est vraie» p.264. La croyance et la vérité s'embrouillent pour donner à voir un relativisme louable, atteint grâce à un long parcours d'initiation.

Chez Flaubert, le tour des savoirs qui s'effectue par le biais de l'expérimentation sans cesse incompatible avec la lecture et les préceptes constitue le premier échelon d'une aventure cyclique et permanente. D'où le pessimisme conclusif de Pécuchet qui «voit l'avenir de l'humanité en noir» p.385 et l'optimisme stupide de Bouvard qui «voit l'avenir de l'humanité en beau» p.386. N'arrivant pas à la sagesse de relativiser, les deux extrémistes se retirent du monde et regagnent leur métier de copistes et abandonnent et savoir et croire. Maupassant illustre non sans humour ce type de fatalité en disant: «J'y revois l'antique fable de Sisyphe: ce sont deux Sisyphe modernes et bourgeois qui tentent l'escalade de cette montagne de la science, en poussant devant eux cette pierre de la compréhension qui sans cesse roule et retombe. Mais eux, à la fin, haletants, découragés, s'arrêtent, et, tournant le dos à la montagne, se font un siège de leur rocher».

La relation problématique entre Croire et Savoir s'élucide, somme toute, à la fin de chaque roman. Pour les uns tels que Babbalanja, elle n'est qu'artificiellement conflictuelle puisque les deux notions doivent être assimilées séparément. Et Pour les autres comme Bouvard et Pécuchet, c'est l'objet d'un conflit existentiel, car elles ne peuvent être dissociées dans leur essence (Savoir est une croyance profonde, et la croyance un savoir abstrait); Mais le fait que l'une invalide l'autre pousse les deux incorrigibles à les abandonner tout simplement. La leçon des auteurs n'est en fait ni d'associer les deux au point de les confondre ni de les dissocier totalement et tomber dans la bêtise de l'absolu. Il s'agit de reconnaître le lien de vérités multiples qui les attachent et d'en faire bon usage. Sans aller jusqu'au suicide comme pour Édouard et Odile.

Penser tenir un discours adéquat au monde où croire serait synonyme de savoir est donc la pire sottise que peut commettre l'homme. Car au fur et à mesure qu'il apprend, la certitude se perd et la seule vérité qui en découle est l'incertitude. Voilà pourquoi John Locke dans son Essai sur l'entendement humain dit: «Il est très utile au marin de connaître la longueur de sa sonde, bien qu'il ne puisse avec elle tester la profondeur de tous les océans (…) Notre tâche ici n'est pas de tout connaître, mais seulement ce qui intéresse notre conduite.»

HASSOUN Oumaima.


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Dictée à fautes (1) 12  réponses |  Vu 3632 fois



Réponse N°11 29006

Quel travail admirable!
Par Jaafari Ahmed(Prof)le 2012-12-24 10:01:23



Merci pour le partage!

permettez moi de me poser une question: dans quelle mesure Melville apporte-t-il des réponses, dans son chef d'oeuvre Moby Dick, aux interrogations soulevées dans Mardi? ou du moins comment le narrateur de Moby dick bat-il en brèches les certitudes soulevées par le narrateur de Mardi ?





Réponse N°12 29040

re
Par marocagreg(Admin)le 2012-12-26 17:09:33



Mon cher Jaafari, Le narrateur de Mardi ne soulève pas des certitudes. Au contraire, il remet en question ces certitudes en rappelant à l'homme sa vraie place dans cet univers, "un simple échelon de l'échelle", ni ver ni ange, éternellement déchiré entre son aspiration au savoir absolu mais complètement hors de portée, et les limites de sa nature finie et la défaillance de ses sens et de sa raison. Moby Dick raconte la même histoire et la même quête : La poursuite de la baleine par le capitaine Achab et la poursuite de Yellah / bonheur par Taji le faux demi-dieu exprime la même condition humaine, celle de la nécessité d'une quête interminable à la poursuite d'un savoir inaccessible.





Réponse N°13 29041

Oui,
Par Jaafari Ahmed(Prof)le 2012-12-26 17:55:00



cher ami, vous avez  tout à fait raison!

il me semble toutefois que Ismail, tranche dans cette quête! puisque l'homme, qui croit détenir la vérité comme tu as dit, aboutit à ce constat, qu'il est lui-même source de mal, et que cette faculté qu'il a de penser , le déroute, et lui fait croire qu'il est maître de l'univers alors qu'il n'en est qu'un élément , qui perturbe l'ordre établi, "je crois"! cette même thématique sera traitée par les héros de "hemingway",même si pour lui l'homme accepte et reconnait les forces de la nature: seulement, cette reconnaissance est aussi un suicide! d'où l'impasse!





Réponse N°14 29042

re
Par marocagreg(Admin)le 2012-12-26 19:50:59



Je ne sais pas qui est Ismail, mais dans Mardi, il y a plusieurs quêtes et aussi plusieurs itinéraires. Taji, malgré la reconnaissance de la vanité de la quête, poursuit son errance sur un océan infini. Par contre, le philosophe Babalunja est plus sage. En reconnaissant, sur un ton pascalien, les limites de la connaissances humaines et son incapacité, en tant qu'entité finie, de maîtriser une connaissance infinie (attribut exclusivement divin), il arrête sa quête sa quête géographique (connaissance du monde et des hommes), mais continue sa quête de la sagesse (connaissance de soi). Ce qui empêche le suicide après cette prise de conscience, c'est justement la nécessité de rester constamment en mouvement et d'accepter son humanité (la fracture irrémédiable entre le vouloir et le pouvoir). Certes, la béatitude reste inaccessible, car elle est le fruit du contentement, mais la sagesse, à défaut d'accorder le bonheur parfait (divin), offre la tranquillité de l'âme.





Réponse N°15 29047

Joliment dit!
Par Jaafari Ahmed(Prof)le 2012-12-27 00:22:44



et c'est la sagesse même!

Ps: Ismael est le narrateur et le seul survivant du naufrage provoqué par le cachalot , qui clot le récit par le triomphe de l'ordre naturel.



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