Réponse N°11 37749 Le texte
Par Doubry Sarah(CS)le 2020-04-18 20:54:08
« Viens, il faut marcher ! »
Tenant les deux poissons par les ouïes, elle bondit déjà de roche en roche vers la plage. Dans les dunes, elle cherche une liane pour enfiler les poissons. Maintenant nous marchons ensemble vers le lit de la rivière Roseaux. À l’endroit où la rivière fait un étang profond, couleur de ciel, elle pose les poissons sur la berge et elle plonge dans l’eau douce, elle s’asperge la tête et le corps comme un animal qui se baigne. Au bord de la rivière, je ressemble à un grand oiseau mouillé, et cela la fait rire. Je me jette dans l’eau à mon tour, en soulevant de grandes gerbes, et nous passons un long moment à nous éclabousser en riant. Quand nous sortons de l’eau, je suis étonné de ne plus sentir le froid. Le soleil est déjà haut, et les dunes près de l’estuaire sont brûlantes. Nos habits mouillés collent à notre peau. À genoux dans le sable, Ouma essore sa jupe et sa chemise, du haut vers le bas, enlevant une manche puis l’autre. Sa peau couleur de cuivre brille au soleil, et les ruisseaux d’eau coulent de ses cheveux alourdis, le long de ses joues, sur sa nuque. Le vent souffle par rafales, fait frissonner l’eau de la rivière. Nous ne parlons plus. Ici, devant cette rivière, sous la lumière dure du soleil, écoutant le bruit triste du vent dans les roseaux et la rumeur de la mer, nous sommes seuls sur la terre, les derniers habitants peut-être, venus de nulle part, réunis par le hasard d’un naufrage. Jamais je n’ai imaginé que cela pourrait m’arriver, que je pourrais ressentir une chose pareille. C’est une force qui naît en moi, qui se répand dans tout mon corps, un désir, une brûlure.
Nous restons assis longtemps dans le sable, attendant que nos habits soient secs. Ouma ne bouge pas non plus, assise sur ses talons comme elle sait le faire, à la manière des manafs, ses longs bras noués autour de ses jambes, son visage tourné vers la mer. La lumière brille sur ses cheveux emmêlés, je vois son profil pur, son front droit, l’arête de son nez, ses lèvres. Ses habits flottent dans le vent. Il me semble que maintenant plus rien d’autre n’a d’importance.
Jean-Marie Le Clézio, Le Chercheur d’Or
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