Subjectivité, énonciation et didactique du texte
Mohamed FARAJI, E.N.S. Meknès
Introduction :
Cet article n'est en fait qu'un espace restreint qui nous permet d'évoquer sommairement la notion de subjectivité et son importance dans l'approche du texte littéraire en particulier. Enseigner celui-ci à nos élèves exige de la part de l'enseignant de prendre en considération quatre notions fondamentales et étroitement liées à tout acte de discours; il est question de communication, de signification, de dénotation et de connotation.
Dans le cas contraire, toute tentative d'explication ne serait qu'une série de phrases bien balancées qui prouvent qu'on n'a jamais vraiment réfléchi au texte.
1- La signification :
La signification d'un texte est une totalité qui dépend de plusieurs filtres de savoir qui la conduisent aussi bien du côté de l'émetteur que de celui du récepteur.
Corrélativement, il ressort que le signe linguistique est une unité autonome de sens; car il est aussi chargé d'un savoir qui est tributaire de l'enjeu particulier de chaque énoncé et, de ce fait, des filtres construits et posés aussi bien par l'auteur que par le lecteur.
La signification d'un texte (récit ou poème) est à chercher en profondeur. Travailler la signification c'est se placer dans la sémantique et non dans la sémiotique. L'unité de celle-ci est le signe. En effet, en sémiotique, il s'agit d'identifier les unités et de décrire leurs marques distinctives; exemple (les marques qui distinguent les uns des autres des signes linguistiques tels que : fauteuil, banc, tabouret, chaises... ; ou bien : navire, chaland, yacht...).
D'un point de vue sémiotique, le sens est renfermé sur lui- même alors que dans le domaine de la sémantique il est ouvert car il est approprié aux conditions de production du texte dont la dimension est globale d'une part et supérieure au mot et la phrase d'autre part.
Il est également important de noter que le sens n'est pas une addition de mots; en effet même si ce dernier se réalis t se divise en signes linguistiques il est toujours conçu globalement.
En un mot la dimension sémantique de la langue est une dimension textuelle, elle ne se limite ni au mot ni à la phrase. Quant à la signification, c'est l'expression d'une situation concrète, ici le texte.
2- dénotation / connotation :
Dans une situation de production, il y a un premier sens dans le système de la langue, c'est le sens littéral. Celui-ci ne constitue qu'une potentialité, un degré infini de la capacité de signifier; par conséquent sa valeur est différentielle ou sémantique.
En plus de ce sens dans la langue, il y a une orientation appréciative; c'est ce que nous appelons communément une connotation. En effet, le connotatif se dit de ce qui sert à indiquer une idée secondaire en même temps que l'idée principale. Il renvoie aussi à un sens confus que comporte un terme abstrait outre le sens absolu.
La compréhension d'un texte est le fruit des rapports inter- individuels : encodeur/décodeur (ici auteur/lecteur). Le décodage n'est pas comme on pourrait le croire, homogène à l'encodage, il ne lui est pas similaire non plus. La connotation atteste, dans un texte, de l'aspect pluridimensionnel du message. Elle remet surtout en cause le caractère simpliste du rapport encodage/ décodage. Par ailleurs, les connotations ne sont pas les mêmes car elles ne relèvent pas de la compétence linguistique du .sujet, elles sont plutôt d'ordre socio-culturel et c'est la raison pour laquelle elles altèrent la compréhension et rendent difficile l'interprétation. Elles sont même une source d'ambiguïté; celle-ci, notons-le, est un élément constitutif de tout acte de discours.
Ainsi nous pourrions dire que si la dénotation renvoie à la langue et par là même au système, la connotation se place dans une conception bipartite de la signification composée d'une partie stable, générale et commune à tous les locuteurs à laquelle s'ajoutent des « sursignifications » et des valeurs supplémentaires.
Sur un plan purement didactique, tenter de se construire des comportements langagiers et produire des actes de communication c'est essayer de se mettre en position d'énonciation écrite ou orale; voilà l'un des objectifs primordiaux de l'enseignement/ apprentissage du français dans nos classes. L'expérience nous a montré que nos élèves sont constamment déchirés entre le vouloir dire et le pouvoir dire; leurs nombreuses lacunes révèlent un pouvoir dire tortueux :
* poids du mot qui manque;
* syntaxe de la formulation qui leur résiste et qu'ils n'arrivent pas à plier et à soumettre à leurs intentions communicatives;
* rappels et reprises qu'ils n'arrivent pas à mettre en mouvement pour mettre en réseau les significations qu'ils veulent produire, bref à constituer leur texte.
Si nos élèves n'arrivent pas à provoquer une sorte d'intrusion dans la langue et y inscrire leur subjectivité, c'est parce que les manuels proposent un travail énonciatif en surface qui se limite au repérage d'indices tels que :
* les pronoms personnels : je / tu / nous / vous ;
* les indiCateurs de lieu : ici, là-bas ;
* les indicateurs de temps : maintenant, hier, demain ;
Cette approche limite considérablement la portée du concept de l'énonciation; elle ne vise qu'à décrire l'intrusion de l'humain dans le système
On peut essayer d'atteindre une portée plus générale de l'activité de l'énonciation en lui attribuant une valeur psycho- sociale : dans cette perspective, lexique, syntaxe et construction sémantique jouent un rôle dans la valeur sociale de l'énonciation et permettent à la subjectivités du sujet parlant ou écrivant, en l'occurrence l'élève, de s'insérer dans les rapports qu'il établit avec autrui.
La didactique des langues, en s'appuyant sur la théorie de l'énonciation, doit amener les élèves non seulement à prendre en charge leurs propres paroles, mais à pouvoir interagir C'est donc un changement d'attitude didactique qu'il faut revendiquer face à l'écrit en tant que réception et au texte littéraire en particulier (changement de relation à entretenir avec ce dernier); et comme cette relation est multiple on peut en interroger les différentes facettes. C'est pourquoi la construction du lecteur/enseignant, à travers ses parcours et ses projets, doit prendre appui sur les lignes de force qui orientent, dans leur diversité, les problématisations théoriques, leurs principes de pertinence et leur cohérence.
La réception du texte littéraire dans un cadre scolaire dépend d'un savoir pluri-dimensionnel qu'il faudrait transformer en un savoir-faire, une sorte d'interaction entre deux subjectivités (celle du lecteur et celle du texte que seule une pragmatique de lecture permet de dévoiler son effet esthétique dans son double jeu de liberté et de contrainte). Sur le plan pédagogique, cela peut se traduire par une lecture distanciée du texte.
Comment donc favoriser cette lecture distanciée?
Deux types de situations didactiques peuvent être envisagées. D'abord des situations dans lesquelles on pourrait recourir à une lecture heuristique qui permet l'exploration du texte afin d'émettre des hypothèses de lecture; celles-ci peuvent constituer des prises de conscience essentielles au processus de la distanciation. Ensuite des situations qui prévoient le recours à différents savoirs susceptibles d'informer sur le texte, de l'interroger et de renforcer la distance du départ. Ces deux démarches sont complémentaires dans la mesure où la première aide à identifier les difficultés et à les problématiser et la seconde organise l'apprentissage pour aider l'élève à acquérir des modes de pensée tout en reconnaissant le texte comme objet à construire et comme espace symbolique.
Dans une situation d'apprentissage le texte ne prend de la valeur que par le degré de pertinence du questionnement qu'il suscite. Ce dernier lui donne vie et le contraint à dévoiler sa stratégie, ses connotations et ses implicites. Dans nos classes, le questionnement constitue une activité vidée de sa dimension heuristique due au rituel mécanique auquel s'adonnent les enseignants au cours d'une explication de texte.
Le questionnement n'est malheureusement pas considéré comme un acte fondateur de la pensée pourtant il est à l'origine du dialogue avec le texte et à la base de l'acte pédagogique.
A notre avis, si les enseignants ont du mal à poser des questions pertinentes, c'est probablement à cause de l'influence du questionnement proposé par les manuels scolaires et des grilles d'analyse qui accompagnent la plupart des textes. Celles-ci visent rarement la construction du texte; en effet au lieu d'être une aide aux élèves, elles provoquent souvent le découragement et l'ennui puisqu'elles s'en tiennent au formel (repérage des connecteurs par exemple) et aux tournures grammaticales et lexicales .
Il faudrait donc éviter d'engager les élèves dans des relevés fastidieux et parfois stériles; mais pour ce faire, l'enseignant doit disposer de plusieurs savoirs qui donnent poids et sens à ses questions. C'est le seul moyen de conférer à l'élève le statut d'interlocuteur véritable; en lui donnant des connaissances qui lui permettront des investigations fécondes et lui apprendront à problématiser.
Dégager la problématique constitue l'étape primordiale d'un travail sur le texte; et c'est à ce niveau que se joue la réussite de l'explication. Ce travail n'est possible que par la recherche de ce qui fait la cohérence dynamique du texte. C'est à dire ce qui donne sens et forme à la fois à ce dernier. En effet après plusieurs lectures, le lecteur peut construire sa problématique sur le repérage des signes textuels qui s'intègrent dans la structure du texte, en partie guidé par la nature spécifique de celui-ci. Par ailleurs si le lecteur parvient à comprendre que le texte constitue une réponse donnée par l'écrivain à une question qui le concerne en premier lieu et l'incite à donner une vision du monde, il doit prendre en considération le rapport dialectique qu'entretient ce texte avec l'histoire, la sociologie les croyances, les symboles et la culture de la société qu'il décrit et dans laquelle il s'inscrit.
Déterminer ce rapport au monde ne signifie nullement que le texte doit être lu comme un document historique et encore moins confondu avec le référent. Le texte est plutôt une fiction où les personnages et les actes qu'ils peuvent accomplir ne sont construits que par la traversée d'une écriture et dont l'analyse exige que l'on prenne en considération :
a/ des contextes historiques et sociaux historiques et sociaux; en effet la situation d'énonciation du texte est déterminée par sa localisation dans un temps, un lieu, une société, une idéologie.
b/ des thèmes culturels qui peuvent être passés dans les habitudes au point de constituer des faits de mentalité profonde et des sujets ou centres d'intérêt en vogue dans une société donnée à un moment donné.
c/ un savoir mythologique qui intègre les croyances, les sacralisations, les fétichisations le plus souvent inconscientes d'une société donnée.
d/ des implicites constitués de contenus supposés et prenant la forme du sous-entendu, de l'inasserté dont le mécanisme consiste à développer à côté d'une signification littérale une signification latente et auquel on recourt pour mettre en surface le fonds culturel et idéologique sur lequel le texte s'appuie sans le formuler et sans lequel ce dernier risque d'être irrecevable.
Il est vrai que l'intégration de tous ces éléments, ou du moins certains d'entre eux, au cours d'une explication faciliterait le dialogue entre le lecteur et le texte et rendrait le choc de la confrontation moins fort; cependant cela demeure insuffisant si l'on veut que nos élèves puissent appréhender le texte, comprendre son fonctionnement, sa visée et proposer une interprétation. Il est nécessaire que l'enseignant qui est l'agent médiateur intervienne pour aider ses élèves à construire leurs propres questions.
5. Par subjectivité, nous entendons un être ayant, mais aussi se donnant, une certaine conscience de soi, de l'autre, des circonstances
où il se trouve et de ce qu'il veut attendre de la relation qu'il veut éventuellement engager.


Pour citer cet article :
Auteur : Mohamed FARAJI (ENS de Meknès) -   - Titre : Subjectivité énonciation et didactique du texte,
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