Du jeu de comédie au regard sur le monde : le statut de la ruse dans la comédie de Corneille à Molière

Par Véronique Sternberg (professeur, université de Reims)


Du jeu de comédie au regard sur le monde
Le statut de la ruse dans la comédie de Corneille à Molière

Véronique STERNBERG (Professeur, Université de Reims)
Corneille écrit dans l'épître dédicatoire de La Suivante : «Les tourbes
et les ruses sont principalement du jeu de la comédie, les passions
n'y entrent que par accident». La tradition antique, la farce puis
l'ensemble de la comédie dite classique confirment le lien essentiel entre
le genre «bas» et les multiples avantages dramatiques des tromperies et
stratagèmes les plus divers. Mais il y a loin de la farce à la comédie
moliéresque, de l'aimable «réalisme» cornélien à la truculence burlesque
de Scarron, en passant par les multiples déclinaisons d'un genre
protéiforme que nous offrent Boisrobert, d'Ouville, Thomas Corneille,
Brosse ou Gillet de la Tessonnerie. Dans cette période de création
foisonnante que délimitent donc les premières comédies de Corneille dans
les années 1630, et l'oeuvre moliéresque entre 1659 et 1673, la comédie
a trouvé les voies de sa renaissance, et construit son identité esthétique par
de constantes mutations.
D'abord liée à l'intrigue, dont elle constitue un rouage essentiel et un
moteur, la ruse va suivre et refléter les évolutions du genre vers une
esthétique du portrait, et de la peinture la plus juste du réel. Ce qui fera la
modernité du genre dans les années 1650, et marquera une inflexion
décisive vers la grande comédie, amènera les dramaturges à modifier
profondément le recours à ce qui apparaissait jusqu'alors comme le coeur
d'un système éminemment ludique.
La ruse et le jeu des ombres
La ruse est essentiellement, dans la comédie du début du XVIIe
siècle, un procédé d'intrigue, facteur déclenchant ou résolvant, mais
toujours dynamisant, dans l'enchaînement des faits et la conduite de
l'histoire. Elle est profondément liée à la virtuosité qui caractérise les
intrigues comiques de cette période. Les jeux complexes d'une
«dramaturgie du change» fondent chez Corneille le plaisir du spectateur,
qui suit le ballet virevoltant des trahisons amoureuses et des ruses les
moins avouables pour conquérir une insensible. Or cette virtuosité
détermine une réception du spectacle fondée sur l'«anesthésie du coeur»,
pour reprendre l'expression de Bergson, et plus précisément sur un
sentiment d'innocuité. Le nombre de personnages et la fréquence des
changements de situation interdisent en effet au dramaturge de consacrer
trop de temps à chaque personnage, de trop fouiller les détails de sa
psychologie et de ses états d'âme; de ce fait, le spectateur ne peut être
porté, de manière significative du moins, par un mouvement d'adhésion aux
heurs et malheurs d'un protagoniste. Or ce mouvement fonderait, comme
on sait, la création d'un effet pathétique, entraînerait un attachement au
sens et à la portée des événements qui affectent le personnage. C'est au
contraire, dans une dramaturgie du mouvement, l'irréalité de ses événe-
ments et leur caractère profondément ludique, qui sont mis en évidence.
L'exploitation virtuose de la ruse est donc le fondement d'un théâtre
jubilatoire et virevoltant, dont l'essence lient sans doute à ce qu'il a de plus
impalpable : le sentiment d'une irrépressible gaîté. Loin de répartir les
personnages entre fourbes et victimes, les dramaturges insistent au
contraire sur le caractère interchangeable des trompeurs et sur l'innocuité
de leurs actes, tout finissant par des mariages. Célidan affirme ainsi, dans
La Veuve :
Qu Alcidon maintenant soit de feu pour Clarice,
Qu'il ait de son parti sa traîtresse nourrice,
Que d'un ami trop simple il fasse un ravisseur,
Qu'il querelle Philiste et néglige sa soeur,
Enfin qu'il aime, dupe, enlève, feigne, abuse,
Je trouve mieux que lui mon compte dans sa ruse.
(1)
Corollaire de ce goût du mouvement et de l'instabilité, l'exploitation de
la ruse comme un motif baroque, déclinant à l'envi les thèmes obsédants
d'un imaginaire collectif, apparaît fréquemment dans le théâtre comique du
premier XVIIe siècle. Les ruses en cascades ouvrent au spectateur la
perspective vertigineuse d'un univers où les mensonges et les ruses se
heurtent à ce qu'un personnage de Scarron appelle les «contre-fourberies»,
où la vérité se dérobe derrière les jeux incessants de l'illusion. L'Aveugle
clairvoyant de Brosse offre un exemple de ces surimpressions de ruses et
de contre-attaques, à l'issue desquelles le vrai passe pour faux et inverse-
ment. Le jeu des masques y est complexe et cruel à souhait : Olimpe s'est
détournée de Cléanthe, son amant, qui prétend être devenu aveugle à la
suite d'une blessure de guerre; désormais amoureuse de Lidamas, le fils du
même Cléanthe, elle feint d'aimer le père infirme pour être près du fils. Mais
l'aveuglement de Cléanthe est lui-môme une ruse destinée à éprouver la
loyauté des jeunes gens. Découvrant la supercherie, le valet Sylvestre,
trahissant son maître, engage Lidamas à faire croire qu'il avait découvert la
ruse :
Cependant vous & moy prenons la hardiesse
De faire à cet aveugle entre nous quelque pièce,
Si vous donnez croyance aux avis d'un valet,
Vous aurez un plaisir qui ne sera pas laid;
Joint qu'il est à propos que par quelque industrie
Tout vostre procedé passe en galanterie,
Il faut que vostre père entre en un sentiment
Que vous n'ignoriez pas son feint aveuglement,
Et que les libertez prises en sa présence
N'estoient que des essayes d'user de patience
(2).
À ce goût des ruses en cascades s'ajoute une fascination pour les
paradoxes de l'illusion, qui parfois dit vrai dans le mensonge. Ainsi, Alidor,
qui, dans La Place Royale de Corneille, a décidé de se libérer du senti-
ment qui le lie à Angélique, ment sur ses intentions lorsqu'il continue de lui
jurer un amour éternel; mais le fait qu'il se soit péniblement contraint à la
froideur l'empêche d'adhérer pleinement au mensonge de son indifférence,
et sa parole trompeuse, qui vise à donner Angélique à son ami Doraste, est
sans doute l'expression la plus sincère de ses sentiments (3). On trouve
également, dans toute la comédie du premier XVIIe siècle, des erreurs
d'interprétation amenant les personnages à prendre pour fausses les
attitudes les plus sincères (parfois les seules !). Toujours dans La Place
Royale, Clarice répond ainsi aux aimables propos de Philiste :
O la subtile ruse ! ô l'excellent détour,
Sans doute une des deux te donne de l'amour ?
Mais tu le veux cacher.
PHILISTE
De l'amour! moi, madame,
Que pour une des deux l'amour m'entrât dans l'âme ?
Croyez-moi s'il vous plait que mon affection
Voudrait pour s'enflammer plus de perfection.
CLARICE
On ne m'éblouit pas à force de flatter,
Revenons aux propos que tu veux éviter,
Je veux savoir des deux laquelle est ta maîtresse,
Ne dissimule plus, Philiste, et me confesse... (4)

Sur le plan dramaturgique, la ruse recouvre dans ce type de
comédies les formes diverses de l'échange ou de la dissimulation
d'identité, des stratagèmes conduits au moyen de fausses lettres ou de
faux avis, des mauvaises interprétations, et autres techniques reprises
notamment de la dramaturgie espagnole de la comedia. Mais cet
éclatement tend à éloigner la ruse de sa nature première, et marque en fait
une altération profonde du procédé originel de la comédie antique. Source
d'imbroglio chez Plaute ou Térence, la ruse tend en effet vers une fin, qui
est clairement déterminée; c'est pourquoi elle intervient généralement
assez tôt dans l'intrigue, et en fournit par son développement plus ou moins
fructueux les diverses péripéties (5). Par ailleurs, le meneur du stratagème
se distingue des autres personnages par ce statut, et la répartition se fait
aisément, dans la réception du spectacle, entre trompeurs et victimes. Or
cette structure fondatrice tend à éclater dans une utilisation baroque de la
ruse. D'abord, parce que le procédé tend à s'effriter, à devenir, de
stratagème souvent complexe qu'il était, une simple attitude trompeuse,
une parole fausse, un réflexe de dissimulation nécessité par les aléas de
l'intrigue. En un mot, la ruse se dilue dans ce que nous appellerons le motif
du masque. Réduite à des formes minimales, parfois improvisées, de la
tromperie, elle peut même perdre son statut dynamique, et une partie de
son emprise sur l'intrigue. Autre modification importante : la ruse en vient à
contaminer tous les types de personnages, du valet industrieux «à
l'italienne» ou même grossier comme un «gracioso», au maître
soupçonneux et à la jeune fille éplorée ou au contraire volontaire. Le
recours au masque est rarement, dans la comédie de l'avant-Molière, le fait
d'un individu, d'un caractère porté au mensonge, ce qui limite considéra-
blement sa portée signifiante sur le plan psychologique, voire moral (6).
Les dramaturges se plaisent en revanche à multiplier les sources d'erreurs
et de retournements de situation, faisant de la scène un espace régi par
l'instabilité et le doute. Ainsi, il arrive fréquemment qu'une ruse aboutisse,
par erreur ou en raison d'une autre tromperie menée par un tiers, à une
situation dans laquelle le trompeur se trouve lui-même pris au piège de ses
manigances : citons Tirsis dans Mélite , Alidor dans La Place Royale ,
Climante dans Le Déniaisé de Gillet de la Tessonnerie, Olimpe et Cléanthe
dans L'Aveugle clairvoyant de Brosse, ou encore Dom Félix dans Jodelet
duelliste de Scarron. Le schéma n'est pas ici aussi simple que celui du
trompeur trompé de la farce. En effet, les conséquences d'un retournement
de situation atteignent en général plusieurs personnages, les intérêts étant
partagés dans les stratagèmes. Par ailleurs, l'intrigue connaît de multiples
rebondissements qui, en taisant évoluer les situations, font successivement
d'un trompeur un trompé, et inversement. C'est donc la confusion et le
mouvement qui priment sur le sens, et entraînent le spectateur dans un jeu
d'illusions complexe, jeu dans lequel victimes et trompeurs sont parfois bien
difficiles à distinguer. Angélique déclare d'ailleurs, à la fin de La Place
Royale :
Si Ïaime on me trahit, je trahis si l'on m'aime.
Qu'accuserai-je ici d'Alidor, ou de moi ?
Nous manquons l'un et l'autre également de foi,
Si j'ose l'appeler lâche, traître, parjure
Ma rougeur aussitôt prendra part à l'injure,
Et les mêmes couleurs qui peindront ses forfaits,
Des miens en même temps exprimeront les traits (7).

La ruse tend donc à se dépersonnaliser, à contaminer des
personnages bien loin d'être prédisposés à l'emploi de trompeurs. La
fascination pour la puissance de l'illusion prime de toute évidence, dans un
tel système dramatique, sur la volonté de peindre les caractères. La
tromperie échappe aux personnages —ce qu'elle ne faisait pas dans la
comédie latine—, et semble se jouer de leurs volontés tout en leur laissant
croire à la liberté de leurs actes. La dernière réplique de Mélite est à cet
égard révélatrice :
Voyez comme le ciel a de secrets ressorts
Pour se faire obéir malgré nos vains efforts
Votre fourbe inventée à dessein de nous nuire
Avance nos amours au lieu de les détruire,
De son fâcheux succès dont nous devions périr
Le sort tire un remède afin de nous guérir (8).

La réflexion de Mélite montre combien il serait erroné de croire que le
jeu baroque des ruses enchevêtrées est dénué de sens. On connaît la
signification philosophique et religieuse que revêtent, dans toute la
littérature baroque, les motifs du changement, de la vanité et de l'illusion.
Mais il s'agit moins pour les dramaturges de représenter le monde selon les
lois de la vraisemblance, que de l'évoquer en hypertrophiant le thème
privilégié de l'instabilité. La ruse, clé de voûte de ce théâtre du change, est
donc à la fois ludique et symbolique.
On ne s'étonnera pas que dans un tel contexte, la légitimation du
masque soit souvent absente ou désinvolte. Tout au plus concède-t-on que
le procédé n'est pas très honnête, mais une justification aussi brève que
désinvolte vient bientôt clore le débat. Mélite, qui aurait pu pâtir des ruses
d'Eraste, déclare ainsi, au dénouement de la comédie :
Outre qu'en fait d'amour la fraude est légitime,
Mais puisque vous voulez la prendre pour un crime,
Regardez acceptant le pardon ou l'oubli,
Par où votre repos sera mieux établi (9).

«Tout confus, et honteux de tant de courtoisie» (10), Eraste tentera
bien de trouver les mots pour dire sa gratitude, mais la nourrice l'interrompt
aussitôt, considérant «ces compliments qu'ils (Tirsis et Mélite) n'ont pas
mérités» (11) comme inutiles, les amoureux tenant «le passé dedans
l'indifférence». De môme Alidor, lorsqu'il donne à Angélique une promesse
de mariage «truquée» —puisqu'elle émane, à l'insu de la jeune fille, de
Cléandre— balaye assez facilement ses remords, par un artifice de
casuistique amoureuse :
Ce trait est un peu lâche, et sent sa trahison,
Mais cette lâcheté m'ouvrira ma prison,
Je veux bien à ce prix avoir l'âme traîtresse,
Et que ma liberté me coûte une maîtresse.
Que lui fais-je après tout qu'elle n'ait mérité
Pour avoir malgré moi fait ma captivité? (12)
[...]
Lorsque de son honneur je lui rends l'assurance
C'est quand je trompe mieux sa crédule espérance,
Mais puisqu'au lieu de moi je lui donne un ami,
À tout prendre, ce n'est la tromper qu'à demi (13).

Ajoutons que, même si les doutes peuvent assaillir le trompeur, ce
personnage, loin de se définir comme un \'rusé\', est d'abord un
«extravagant» (14) : or c'est dans cette folie même que gît sa déresponsa-
bilisation.
Mais c'est surtout le système dramatique de la comédie cornélienne
qui favorise, chez le spectateur, un oubli de la dimension morale de la ruse.
En effet, l'éclatement du procédé en de multiples actualisations se double
d'une contamination de la ruse à plusieurs personnages : les tromperies
des uns viennent compenser, sinon excuser, les ruses des autres, et
rendent même nécessaires les ripostes qui suivront. Un personnage ne
s'enferme donc pas dans le statut négatif du trompeur : l'habit du rusé
passe de l'un à l'autre, jusqu'à ce que tous ou presque en soient vêtus. Il y
a donc nivellement des torts, et dilution de la faute dans un mouvement de
tromperie généralisée. Une conversation de Dons avec sa mère Crysante,
dans La Veuve, éclaire les paradoxes de cette dramaturgie toute baroque,
dans laquelle le spectateur n'est jamais totalement certain de «tenir le
coupable». La jeune fille évoque d'abord Alcidon, le traître dont elle
soupçonne déjà le caractère peu fiable, en des termes clairement accusa-
teurs, comme «dissimulé» ou «conteur à gages» (15). Mais on apprend,
dans la suite de ses propos, qu'elle rend au menteur la monnaie de sa
pièce, et flatte son faux amour de serments tout aussi hypocrites. Certes, la
faute d'Alcidon surpasse celle de Doris, dans la mesure où le premier feint
dans un but précis, celui de ravir Clarice à son ami Philiste : il s'agit bien
d'une ruse, d'un stratagème conduit dans l'ombre dans le but d'asseoir ses
intérêts aux dépens d'autrui, fût-ce un ami. Mais l'impact affectif aurait été
plus fort, et aurait amené le spectateur à condamner Alcidon dans un
mouvement de réprobation plus spontané, si le trompeur n'avait été
entouré que de naïves victimes. Or il n'en est rien. Outre Doris, qui sait fort
bien démêler le vrai du faux, sa mère et Géron, veillant tous deux sur ses
amours, recourent également à la dissimulation, à ce qu'ils appellent eux-
mêmes une «supercherie» (16). La faute du fourbe se trouve ainsi noyée
dans une série de stratagèmes, innocents ou non, et l'attention du
spectateur se disperse trop pour s'attacher à l'immoralité des fourberies
d'Alcidon.
Ce qui abonde, en revanche, dans cette dramaturgie des faux-sem-
blants, c'est le recours à un discours sur la ruse ou, plus généralement, sur
toutes les tonnes de dissimulation dans lesquelles elle est réinvestie. La
fascination pour les jeux de l'apparence est ici explicite. Quelques
sondages dans les textes contemporains révèlent une propension à
commenter la ruse comme un acte plaisant, divertissant, en omettant, ou en
éludant rapidement, la question morale (17). Voici par exemple comment
Alcidon évoque, dans La Veuve, l'efficacité de sa parole trompeuse:
ALCIDON
A m'en ouir conter, l'amour de Céladon
N'eut jamais rien d'égal à celui d'Alcidon,
Tu rirais trop de voir comme je la cajole.

LA NOURRICE
Et la dupe qu'elle est croit tout sur ta parole ?
ALCIDON
Cette jeune étourdie est si folle de moi
Qu'elle prend chaque mot pour article de foi,
Et son frère pipé du fard de mon langage
Qui croit que je soupire après son mariage
Pensant bien m'obliger m'en parle tous les jours,
Mais quand il en vient là je sais bien mes détours,
Tantôt vu l'amitié qui tous deux nous assemble
J'attendrai son hymen pour être heureux ensemble,
Tantôt il faut du temps pour le consentement
D'un oncle dont j'espère un bon avancement,
Tantôt je sais trouver quelqu'autre bagatelle (18).

Mais ce qui limite la part d'amertume que pourrait comporter une telle
représentation des rapports humains est la connivence qui unit les
personnages autour de l'usage de la ruse. Dons dit ainsi à sa mère
Crysante, à propos du même Alcidon :
Je me fais comme lui souvent toute de feux,
Mais mon coeur se conserve au point où je le veux
Toujours libre, et qui garde une amitié sincère
A celui que voudra me prescrire une mère.
[...]
Vous le connaissez mal, son âme a deux visages
Et ce dissimulé n'est qu'un conteur à gages,
Il a beau m'accabler de protestations
Je démêle aisément toutes ses fictions,
ainsi qu'il me les baille, ainsi je les renvoie,
Nous nous entrepayons d'une même monnaie [...](19).

Ce qui explique en partie l'indulgence des dramaturges, et leur peu
d'inclination à faire du trompeur la cible d'un jugement sévère, est le statut
de la ruse dans cet univers ostensiblement ludique. Elle y apparaît en effet
non comme le moyen de parvenir à un but aux dépens de la morale et
d'autrui, mais comme un divertissement. Divertissement que s'offrent
parfois les rusés, et qu'ils partagent avec ceux qu'ils mettent dans la
confidence, personnages complices et spectateurs. Ainsi, dans La Folle
Gageure de Boisrobert, les personnages décident de tromper la vigilance
d'un frère jaloux de l'honneur de sa soeur, et qui a imprudemment gagé sur
l'impossibilité de faire parvenir à une femme bien gardée des gages
d'amour. Or la seule raison d'être du stratagème que vont élaborer ses amis
est le divertissement qu'il offrira à la comtesse de Pembroc, chez qui tous
ces galants ont l'habitude de tenir salon (20). Quant aux préfaces, épîtres
dédicatoires et autres avis au lecteur que placent régulièrement les
dramaturges en tête de leurs comédies, ils confirment l'importance du
principe de plaisir dans la réception du spectacle comique, et dans le sens
et la portée qu'il peut revêtir. Voici comment Corneille et Claude de L'Estoile
justifient, en 1644, les tromperies et les mensonges de leurs héros
«[...] Si j'étais de ceux qui tiennent que la poésie a pour but de profiter aussi
bien que de plaire, je tacherais de vous persuader que celle-ci est beaucoup
meilleure que l'autre, à cause que Dorante y apparaît beaucoup plus honnête
homme, et donne des exemples de vertu à suivre, au lieu qu en l'autre il ne donne
que des imperfections à éviter. Mais pour moi qui tiens avec Aristote et Horace, que
notre art n'a pour but que le divertissement, j'avoue qu'il est bien moins à estimer
qu'en la première comédie, puisqu'avec ses mauvaises habitudes il a perdu presque
toutes ses grâces, et qu'il semble avoir quitté la meilleure part de ses agréments,
lorsqu'il a voulu se corriger de ses défauts.
[...] Vous me demandez en quoi donc consiste cette utilité de la poésie, qui
en doit être un des grands ornements, et qui relève si haut le mérite du poète quand
il en enrichit son ouvrage ? J'en trouve deux à mon sens, l'une empruntée de la
morale, l'autre qui lui est particulière. Celle-là se rencontre aux sentences et
réflexions que l'on peut adroitement semer presque partout. Celle-ci en la naïve
peinture des vices et des vertus. Pourvu qu'on les sache mettre en leur jour, et les
faire connaître par leurs véritables caractères, celles-ci se feront aimer, quoique
malheureuses, et ceux-là se feront détester, quoique triomphants.» (21)
«(...] Il est vray qu'il n'est de bruit que de leur Intrigue, et toutefois pour astre
des plus fameux, ils ne sont pas des plus coupables. Car après tout, qu'ont-ils
tait? Ils ont fait possible autant que les autres ; mais leur adresse est leur excuse
elle a comme fasciné les yeux de leurs Tesmoins, en leur faisant voir que les crimes
sont beaux quand ils les font, et qu'il y peut avoir de la gloire à faire le mestier dont
ils se meslent. Aussi, Monsieur, il y a fort peu de plaintes contr'eux. j...] et si vous
daignez vous entretenir avec eux de leurs tours de souplesse, ils vous feront
passer peut-estre quelques heures assez agréablement. Les termes dont ils
expriment leurs pensées sont grotesques; la manière dont ils attrapent les plus
Fins, l'est encore davantage et le Receleur dont ils se servent n'est pas fou, mais il
n'est gueres moins plaisant que s'il l'estoit. [...] Enfin, Monsieur, ils sont le
divertissement et des yeux, et des oreilles; et comme ils ont plus d'agrément ou de
bonheur que les autres, ils ont aussi plus de privilège. [...] Ce sont des Ennemis
descouverts, et qui, desployant leurs finesses à la voué du Peuple et de la Cour,
enseignent la Cour et le Peuple à se garder d'en astre trompez.» (22)
En pleine période de renaissance du genre, les dramaturges
avancent le principe de plaisir comme essentiel, voire premier, dans la
réception du spectacle comique, ainsi que dans le sens et la portée qu'il
peut revêtir. L'identité esthétique de la comédie se reconstruit en grande
partie, dans une période marquée par la liberté d'un genre neuf, autour
d'une atmosphère enjouée, et d'une forme d'irréalité et d'inconséquence
des actes. Le principe de plaisir devra se faire plus discret lorsque les
exigences du classicisme opposeront au divertissement le précepte
horacien de l'utilité du spectacle, mais l'euphorie comique restera un point
essentiel de la définition du genre comique.
Ruse et éthique du dévoilement
La ruse est sans doute l'un des éléments par lesquels on peut le
mieux observer la transformation du genre comique dans les années
1640-1660 et son évolution vers une esthétique mais aussi une éthique
classiques. Le procédé va ainsi se trouver de plus en plus clairement lié à
une éthique du dévoilement. En effet, les ruses cornéliennes visaient
essentiellement à ravir une belle à un autre personnage, de préférence un
ami. Le hasard, l'ingéniosité des autres personnages, ou le ciel faisant bien
les choses, le trompeur ne parvenait pas à ses fins. Si l'on prête attention
aux ruses que déploient, dans la décennie qui suit, les personnages de
Scarron, le but en apparaît tout autre. Ainsi, Dom Juan —qui n'évoque ici
en rien le «burlador» de Séville— décide d'intervertir les rôles avec son
valet Jodelet, pour épier à sa guise les agissements de sa promise,
Isabelle, qu'il soupçonne à tort d'infidélité. La ruse est loin d'être élégante,
mais elle n'en est pas moins, dans l'esprit du héros, légitimée par ce qu'il
croit être une faute d'Isabelle. C'est donc dans le but d'un dévoilement,
d'une rupture de l'illusion, que le stratagème et les mensonges vont se
déployer. Mais Scarron va plus loin en 1649, lorsqu'il écrit L'Héritier
ridicule . Cette fois, la ruse est l'instrument légitime d'un dévoilement
mérité. Il s'agit en effet de démasquer le caractère intéressé d'Hélène, qui
n'en veut qu'à l'argent de Dom Diègue. Le valet Filipin convainc alors son
maître de faire croire à sa ruine, et de prétendre que son cousin a hérité à
sa place. Ledit cousin, hobereau de campagne ridicule à souhait, ne sera
autre que Filipin. La «pièce» —pour employer la terminologie du temps—
qui sera ainsi jouée à Hélène offre tout l'agrément de la technique du
théâtre dans le théâtre (23). La «dame intéressée» qui fait le sous-titre de
la pièce recevra en effet avec une grâce toute hypocrite ce galant grossier,
dont elle connaît la prétendue fortune. Mais la ruse tend également vers un
dévoilement marquant le triomphe de la vérité et du bien. Le caractère
moralisant du dénouement est d'ailleurs très appuyé, Hélène subissant les
sarcasmes de toute la compagnie. Scarron utilise la ruse, dans cette pièce,
comme le fera Molière quinze ans plus tard. Dans la comédie classique en
effet, la ruse vise très souvent la mise à nu de ce qui était caché, le
dénouement marquant alors le triomphe de la vérité. L'hypocrisie religieuse
de Tartuffe est ainsi révélée par le stratagème d'Elmire, le caractère
intéressé de Béline par la ruse de Toinette, celui de Trissotin par l'invention
d'Ariste, qui fait croire à la ruine de toute la famille. Scarron et Molière se
distinguent des autres dramaturges par cette utilisation de la ruse à des fins
de dévoilement moralisant, traduisant un attachement à une éthique de la
vérité. On se souvient que Corneille faisait entière confiance au spectateur
pour se détourner des vices, même incarnés de façon séduisante, et aimer
la vertu, même si elle était vaincue dans la représentation. Or l'utilisation de
la ruse comme procédé de dévoilement traduit une conception radicalement
différente du spectacle comique. Le procédé n'est plus lié, comme il l'était
dans une dramaturgie pleinement baroque, au principe de plaisir, mais à
une valeur éthique qui traduit toute l'ambition de la représentation comique.
Or la prétention au sens est l'une des caractéristiques essentielles du genre
tel qu'il se recrée, et cherche à se définir, dans les années 1640-1660
d'abord, pendant la carrière de Molière ensuite.
Ce nouveau statut de la ruse modifie également sa mise en oeuvre
dramatique. On observe en effet un souci nouveau de clarté dans ses
mécanismes et ses enjeux, qui éloigne encore la comédie de l'esthétique
baroque. La cible du stratagème est à la fois unique et clairement désignée;
par ailleurs, son statut de personnage négatif légitime le procédé des autres
protagonistes. Enfin, la ruse est rarement, dans cette utilisation que nous
qualifierons de «classique», sujette à retournement de situation imprévu.
Qu'il s'agisse de L'Héritier ridicule, du Tartuffe ou des Femmes savantes,
le déroulement de la ruse est limpide et sans heurt. Autre changement
important : la ruse tend à reculer dans la progression de l'intrigue, pour
n'intervenir, dans les cas extrêmes, qu'au dénouement : c'est le cas dans
Les Femmes savantes . Ce qui apparaissait comme le coeur du système
comique peut donc n'intervenir qu'en dernier ressort, comme un avatar du
«Deus ex machina», l'intrigue de la comédie existant alors sans la ruse. Ce
simple décalage permet en fait de mesurer tout le chemin parcouru par le
genre comique entre l'oeuvre de Corneille et celle de Molière. La fonction,
ou l'ambition prioritaire de la comédie a radicalement changé : on est passé
du jeu à la <«mimàsis», du divertissement à une représentation du monde.
Cette mutation, que l'on observe aisément dans la production foisonnante
des années 1640-1660, a donné à la comédie l'un des fondements de son
identité esthétique : dire le vrai, à l'opposition de la tragédie et de sa
représentation sublimée. L'intrigue de comédie aura désormais pour point
de départ la peinture du réel, principalement des travers des hommes, et la
ruse n'intervient que comme un élément de l'intrigue servant le sens de la
représentation.
Ce qui change également dans la mise en oeuvre de la ruse, c'est la
réception d'un procédé dont la légitimité est cette fois hautement affirmée.
On observe ainsi une évolution de la dramaturgie comique, entre 1640 et
1660, qui affecte profondément le statut de la ruse, et traduit le passage
progressif et cahotique du baroque au classicisme. Les comédies de
Scarron permettent d'observer aisément cette évolution. Dans ses pièces,
les réactions des personnages à la dissimulation d'un autre donnent une
cohérence au thème, dont la portée signifiante devient alors assez
apparente. Pour mesurer l'évolution de la dramaturgie scarronienne sur ce
point, citons Jodelet ou le maître valet , représenté en 1643, puis L'Héritier
ridicule , datant de 1649. Dans le premier extrait, Dom Fernand voit
apparaître une jeune femme voilée, qui n'a pas été annoncée; voici
comment il réagit à cette curieuse entrée :
Mais une dame vient qui ne se veut montrer;
Je voudrais bien savoir qui l'aura fait entrer
Sans venir demander si nous sommes visibles;
Les bourreaux de valets sont tous incorrigibles 1
Madame, sans vous voir, et sans vous demander
Le nom que vous avez, vous pouvez commander (24).

Loin de s'étonner d'une pratique pourtant incivile, Dom Fernand, dans
un élan de courtoisie aussi spontané qu'invraisemblable, propose son aide
à la mystérieuse inconnue. Même si celui que Lucrèce qualifie aussitôt
d'«âme civile» obéit à des règles de politesse conventionnelles, a fortiori au
théâtre, le moins que l'on puisse dire est que la dissimulation de l'identité
ne le trouble aucunement, et n'appelle pas chez lui le moindre jugement;
cette absence de réaction est d'autant plus visible que Dom Fernand saisit
en revanche l'occasion qui lui est donnée d'une petite diatribe contre les
valets, incapables d'annoncer les visiteurs qui se présentent. Voyons
maintenant la réaction de Dom Diègue, dans L'Héritier ridicule , à l'arrivée
de Léonor dans les mêmes circonstances, l'étourderie des valets en
moins :
DOM DIEGUE
Je ne vous diray den, si vous ne promettez
De lever vostre voile et montrer vos beautez (25).

Devant le refus de Léonor de découvrir, dans l'immédiat, son
identité, et surtout lorsque celle-ci lui apprend la trahison d'Hélène, la
réprobation de Dom Diègue à l'égard de l'usage du voile se fait plus nette :
DOM DIEGUE
Femme, qui n'estes pas sans doute son amie,
Qui tàchez d'esbranler ma fortune affermie,
En venant m'advenir que l'on ne m'aime pas,
Sçachez que vous perdez vostre temps et vos pas.
Helena de Torrés m'aime, je le veux croire,
Plûtost que les avis d'une Donzelle noire,
Dont peut-estre l'esprit, que l'on ne sçauroit voir,
A son voile est pareil, c'est-à-dire bien noir (26).

Celle qui parait dissimulée se révélera limpide, et le voile sert moins à
opacifier qu'à démasquer : Scarron ne s'interdit pas les variations à l'infini
sur des jeux d'apparences trompeuses et changeantes. Mais dans cette
structure et cette thématique baroques se fait jour une réflexion sur
l'immoralité du masque, qui décale l'intérêt de la pièce, de l'intrigue vers le
ou les personnages —ici celui d'Hélène essentiellement. Ce que l'on
observe, de Jodelet à L'Héritier ridicule , c'est le passage d'un traitement
esthétique du motif du masque à un traitement éthique, qui marque un
basculement de la dramaturgie scarronienne du baroque vers les
fondements du classicisme. Et c'est naturellement au dénouement, dont le
ton moralisant fait exception dans un théâtre qui affiche volontiers une
verve débridée et une gratuité souriante, que ce basculement apparaît le
plus nettement. Voici comment Dom Diégue s'adresse à Hélène,
démasquée et humiliée, à la fin de la pièce :
Vous m'avez abusé par un déguisement.
Celuy de mon laquais, entrepris justement,
Au lieu de vous fascher, doit plûtost vous instruire
Qu'il ne faut pas choisir tout ce qu'on void reluire.
Sçachez-moi donc bon gré d'un tour qui vous apprend
Qu'à tout esprit qui fourbe, à la fin on le rend.
Vous m'avez amusé de vos belles paroles,
Vous ne considériez en moy que les pistoles
La pauvreté pour moy vous donna du mépris.
Parce que tous les chats durant la nuit sont gris!
A nostre Filipin vous vous estes soûmise ;
Vous m'avez pris pour dupe, un laquais vous a prise
Le tour estoit bien lâche, et je vous l'ay rendu (27).

Par la déclinaison de plusieurs motifs ayant trait à la dialectique de
l'être et du paraître, le personnage insiste fortement sur ce qui s'affiche
comme la moralité de la pièce; celle-ci sera d'ailleurs reprise à la scène
suivante sur le mode ludique du ballet de paroles, trois personnages
infligeant à Hélène leurs sarcasmes dans des répliques presque
semblables. Le caractère très appuyé de la dimension moralisante du
dénouement atteste l'importance qu'accordait Scarron au sens de la ruse.
Le procédé garde, dans les longues scènes où Filipin contrefait le
gentilhomme campagnard, son statut de jeu, reposant sur le double
principe du plaisir et de la gratuité. Mais le fait que la pièce tende vers le
triomphe de la vérité, et engage ensuite le spectateur à un jugement traduit
toute l'ambition d'un genre qui veut se dégager de son statut de
«bagatelle» (28).
De plus, ce type de dénouement implique une autre forme de relation
au spectacle. Le dramaturge joue en effet avec insistance sur des ressorts
affectifs, entraînant le spectateur à distinguer très nettement les justes de
l'hypocrite, et à sanctionner ce dernier par le sentiment de satisfaction qu'il
éprouve devant sa punition. La ruse joue donc un rôle fondamental dans
cette attitude de recul et de jugement qui caractérise le spectateur de
comédie. La réception du spectacle comique est en partie orientée vers le
recul dans une dramaturgie classique ou préclassique, alors qu'elle
reposait essentiellement sur l'adhésion du spectateur au monde fictif de la
scène, dans une dramaturgie baroque. Lorsque la ruse permettait
d'exploiter la fascination collective qu'exerçait le jeu des illusions, elle
contribuait à la création d'une forme d'ivresse, qui emportait le spectateur
plutôt quelle ne l'amenait à juger froidement de la légitimité des choses.
Dans cette adhésion confuse à une atmosphère changeante et parfois
trouble, on peut voir une alchimie comparable à la catharsis, sur le mode
comique. Mais le mouvement de recul et de clairvoyance auquel engage au
contraire la ruse classique est une composante très différente de la
réception complexe de la comédie. Et c'est bien dans l'utilisation de la ruse
que se jouent les choix qui engageront le spectacle comique sur la voie
d'une réception ou d'une autre.
La ruse dans l'entreprise mimétique:
peindre le monde par ses tromperies

Le caractère essentiel de la ruse dans le système, et plus largement,
dans l'esthétique de la comédie, est confirmé par un troisième type
d'utilisation. Suivant là encore l'évolution du genre comique, qui tend à
rendre la représentation signifiante, la tromperie devient un élément
représentatif du monde que les dramaturges entendent dépeindre. La
prétention à une peinture juste du réel est en effet le grand argument
avancé par les auteurs comiques pour faire reconnaître la dignité de leur
art. Laissant à la tragédie et à la tragi-comédie la représentation idéalisan-
te et mythifiée, la comédie fera du naturel de l'expression et de la justesse
des portraits les fers de lance d'une esthétique moderne, rencontrant des
idéaux majeurs du classicisme. Or cette ambition de peindre juste entre en
contradiction avec ce qui faisait le coeur du système comique : la dimension
ludique, gratuite de la mécanique endiablée et peu vraisemblable de l'intrigue.
Il en résulte une tension entre le jeu et le sens, très visible dans
la comédie des années 1640-1660, maîtrisée mais toujours présente dans
l'oeuvre de Molière. Là encore, la ruse subit en premier lieu les
modifications qu'imposent les mutations de l'esthétique comique.
Le premier signe de changement lient au décalage de la ruse de
l'intrigue vers les caractères. Le Menteur de Corneille est naturellement
l'illustration la plus brillante de cet intérêt pour le trompeur, plutôt que pour
la tromperie. Encore faut-il revoir le terme de tromperie ou de ruse, dans la
mesure où le but que se fixe Dorante lorsqu'il ment est soit très vague, soit
inexistant. Le recentrage de l'esthétique comique sur un caractère, plutôt
que sur les jeux complexes de l'intrigue, a conduit à une simplification du
mécanisme de la ruse. Celle-ci se réduit désormais au mensonge, à une
attitude dont le but peut même être secondaire. La complexité du
caractère de Dorante est d'ailleurs elle-même minimale, et on est loin de la
comédie de caractère : mais le décalage de la tromperie, considérée
comme l'essence de la comédie par Corneille, de l'intrigue vers le person-
nage et vers son talent de mystificateur est très représentatif de l'évolution
du genre. Mais tout l'intérêt de ce recentrage sur le trompeur va apparaître
dans la comédie scarronienne, puis naturellement, moliéresque. Les figures
de trompeurs et de menteurs vont alors devenir plus complexes, évoquant
les rouages d'une psychologie réelle. La ruse n'est donc plus un jeu
théâtral à la mécanique bien huilée, mais la manifestation d'un travers des
hommes. Scarron apporte ainsi le plus grand soin à la création d'un libertin
beau parleur, dont Molière saura se souvenir : le Dom Félix de Jodelet
duelliste. Le plaisir de tromper par une parole cajoleuse, de dominer par le
mensonge, est complaisamment exposé par ce libertin brillant, qui déclare
à son valet que «ne point mentir est la vertu des sots» (29). On sait
combien Molière s'intéressera ensuite à toutes les formes de tromperie,
dont Le Tartuffe offre la plus fascinante illustration.
Le recentrage de la dramaturgie comique sur le personnage a
également amené les auteurs à faire de la tromperie l'élément clé d'une
représentation satirique, d'un discours sur la société du temps. La ruse
apparaît alors sous la forme épurée et réduite de la dissimulation, que l'on
pourrait qualifier plus précisément de «dissimulation par prudence». Cette
attitude réservée, secrète, au besoin menteuse, et presque toujours
menteuse par omission, a de toute évidence exercé une influence
profonde sur les codes sociaux, influence souvent perçue et commentée
comme négative. Alcidon déclare dès 1632, dans La Veuve :
Je rêvais que le monde en l'âme ne vaut rien,
Au moins pour la plupart, que le siècle où nous sommes
À bien dissimuler met la vertu des hommes,
Qu'à grand-peine deux mots se peuvent échapper
Sans quelque double sens afin de nous tromper,
Et que souvent de bouche un dessein se propose
Cependant que l'esprit songe à tout autre chose (30).

On connaît les sources de cette attitude politique et sociale: le succès
du Cortegiano de Castiglione depuis la fin du XVIe siècle, relayé par
L'Honnête homme de Faret, Les Loix de la Galanterie de Sorel ou la
traduction de L'Homme de cour de Graciàn, qui tendent à ériger en code
un art de la dissimulation. «Simule et dissimule», recommande Mazarin
dans son Bréviaire des politiciens. Si la légitimation du procédé dans le
domaine politique ne semble guère préoccuper les auteurs du temps, la
diffusion de ces pratiques dans le comportement social suscite en revanche
des commentaires, y compris dans la production comique. Là encore,
l'évolution est nette de Corneille à la génération suivante. En effet, le thème
de la tromperie dans la société du temps n'a pas les mêmes résonances
d'une oeuvre à l'autre. Dans la réplique d'Alcidon que nous citions, l'ironie
tient au fait que l'auteur de ce couplet contre les vices du temps est lui-
même un maître dans cet art. De plus, Philiste écarte rapidement cette
apparente préoccupation de son ami, en des termes qui traduisent bien
l'étrangeté du problème à une analyse moralisante
Et cela t'affligeait ? Laissons courir le temps
Et malgré les abus vivons toujours contents,
Le monde est un chaos, et son désordre excède
tout ce qu'on y voudrait apporter de remède.
N'ayons l'oeil, cher ami, que sur nos actions,
Aussi bien s'offenser de ses corruptions
A des gens comme nous ce n'est qu'une folie (31).

L'œuvre de Scarron est au contraire traversée par une opposition très
nette entre deux catégories de personnages masqués. D'un côté les valets,
qui jouent parfois si mal leur rôle que le masque ne reste opaque que pour
les besoins de l'intrigue, comme c'est le cas dans Jodelet ou le maître
valet ; ou qui le jouent bien parce qu'ils ont appris à singer leurs maîtres :
pensons à Filipin dans L'Héritier ridicule (32). De l'autre côté se trouvent
les maîtres, rompus au maniement du discours comme aux moeurs courti-
sanes, et dont le talent en matière de fourberie est indéniable. Il n'en faut
pour preuve que cette remarque de D. Pedro sur ses futurs gendres :
Où diable ont-ils trouvé chacun leur Dorothée?
Est-ce un nom à la mode, ou chose concertée
Pour se moquer de moi ? mais, bons dieux, les voilà
Qui ne se tromperoit à ces visages-là? (33)

Pour éviter que ses personnages ne deviennent antipathiques,
Scarron fait certes de la recherche du bonheur la justification de leurs
ruses, conformément à la tradition comique. Cependant l'accent est mis,
dans les propos des trompeurs, sur l'absence de scrupules ou la fascina-
tion pour la puissance de l'illusion, beaucoup plus que sur un éventuel
remords. Par ailleurs, la tradition comique répartit généralement les rôles
de la manière suivante : le maître se trouve dans une situation difficile; le
valet se charge de trouver une solution au problème, par des moyens
souvent peu recommandables, mais dont il endosse seul la responsabilité.
Ainsi, les valets de Plaute ou de Térence et ceux de la <,commedia
dell'arte» ne sont pas que les exécutants des stratagèmes destinés à
tromper ceux qui font obstacle au bonheur de leur maître; ils en sont les
concepteurs, voire les instigateurs. Dans Jodelet duelliste au contraire, ce
sont les jeunes gens qui, avec ou sans l'aide de leurs valets, trompent
parents et amis : Dom Félix en payant d'anciennes maîtresses, Dom
Diègue en faisant porter de fausses lettres à son valet, Lucie en demandant
à sa suivante Béatrix de contrefaire sa voix pour donner rendez-vous à
Dom Diègue sans être identifiée des autres personnages. En outre, les
victimes de ces stratagèmes ne légitiment pas la tromperie par un
comportement tyrannique ou grotesque, ce qui était généralement le cas
dans la comédie humaniste, et le sera encore dans l'oeuvre de Molière, où
le spectateur voit avec plaisir un vieillard avare ou un extravagant dupés
pour le bonheur de jeunes premiers sympathiques. Scarron renonce
également à cette justification, puisque Dom Pedro, le père d'Hélène et
Lucie, apparaît comme un sympathique vieillard soucieux de la fidélité de
ses gendres, pour le bonheur de ses filles. Ajoutons enfin que les nobles de
Scarron, non contents d'êtres de fieffés menteurs, cultivent l'exclusivité de
leur talent. Ce sont en effet leurs valets qui les rappellent à un code de
l'honneur dont ils devraient être les dignes représentants. C'est ainsi que
Jodelet s'indigne, ou fait mine de s'indigner de la conduite de son maître
dans Jodelet duelliste :
Il faut (ce que de vous je n'aurois jamais cru)
Que vous soyez sans doute un fourbe très-insigne
Mais d'un homme d'honneur cette vie est indigne. (34)
JODELET
Vous êtes donc menteur?
DOM FELIX
Oui, ai l'honneur de l'être.
JODELET
Le grand homme de bien que monseigneur mon maître ! (35)

Ce qui frappe également dans Jodelet duelliste , c'est la contamina-
tion de la ruse à l'ensemble des personnages, comme si la dissimulation et
la tromperie constituaient le seul mode de relation possible dans leur
univers. Loin d'être attachée à un caractère singulier, la ruse n'est pas le fait
du rusé, mais celui du monde aristocratique. Les personnages de Scarron
livrent d'ailleurs, dans l'ensemble de ses comédies, un tableau peu
engageant de la noblesse parisienne, et que l'on retrouve dans quelques
pièces de la période 1640-1660, comme L'Aveugle clair-voyant (36) de
Brosse ou Le Déniaisé (37) de Gillet de la Tessonnerie. Tous ces person-
nages semblent évoluer avec aisance dans un univers où les dés sont
pipés, réagissant promptement à chaque obstacle par un nouveau
stratagème. Mais ce qui laisse supposer une vision pessimiste de la part
des dramaturges est le fait que même les personnages victimes des
tromperies des autres soient réduits à ce mode de relation sociale pour
sauver leurs intérèts. Gillet ressent d'ailleurs le besoin de réaffirmer le
statut de personnage positif d'Ariste, qui déclare à Olimpe :
Pour les contrejoiier d'une façon galante,
J'ay fait au lieu de moy déguiser Jodelet,
I...)
Par cette raillerie,
J'enchéry galamment dessus leur fourberie (38).

Le personnage oppose habilement les termes «raillerie» et
««fourberie»», affirmant par le premier le caractère anodin de sa réponse aux
trompeurs, laquelle se veut en outre élégante. Si la morale ne peut
autoriser l'hypocrisie obligée d'Ariste, le personnage se doit du moins de
préserver une image favorable auprès du spectateur, pour que ce dernier
adhère à sa cause (39). Le dénouement moral de la comédie confirme cette
répartition claire entre bons et trompeurs, puisqu'Oronthe est arrêté et
Climante démasqué. Gillet ne va donc pas aussi loin, d'un point de vue
structurel, que Scarron dans Jodelet duelliste, où aucun personnage n'était
véritablement exempt de toute compromission, ni pleinement excusable.
Mais la vision que livre cette représentation de la société des grands est
très nettement celle d'un monde où l'art de la raillerie, de la tromperie et du
jeu aux dépens d'autrui règlent les rapports interpersonnels. De plus, le
dramaturge exhibe les ressorts truqués du monde qu'il représente : les
personnages affirment sans cesse leur intention de tromper, dans des
répliques entières, ou dans des apartés du type «feignons avec adresse»,
«feignez bien», etc. Les trompeurs de Gillet, Brosse ou Scarron ne sont
plus les sympathiques jeunes premiers de Corneille, dont la ruse est
toujours associée à une inconséquence de jeunesse, voire à une forme
d'extravagance, ce qui implique une déresponsabilisation tacite du
personnage. De plus, dans une perspective pleinement baroque, la ruse est
un mode de participation au monde, à son mouvement fuyant et complexe.
L'accord profond de ce comportement avec un mouvement qui le dépasse
occulte fortement son désaccord avec des principes moraux. Dans une
perspective préclassique au contraire, la ruse est moins participation à un
mouvement universel que comportement personnel, cultivé et donc
assumé, de gré ou de force. Chez Scarron et ses contemporains, les
personnages se caractérisent par la pleine maîtrise de leurs actes, et leur
mensonge est très souvent prémédité —alors qu'il tenait souvent, chez les
héros cornéliens, du coup de tête—, et leur art de la dissimulation consom-
mé. La ruse n'est donc plus associée à une forme d'inconséquence et à un
mouvement vital, mais à une mort de la spontanéité.
Cette utilisation de la ruse —souvent réduite à un art de la dissimula-
tion— dans une perspective satirique se distingue à la fois de la fascination
baroque pour toutes les formes de l'illusion, et de l'utopie morale du
dévoilement par tromperie légitimée. En effet, les dramaturges ne font pas
fusionner les deux évolutions subies par la ruse théâtrale. Le stratagème
n'est utilisé comme outil de dévoilement que lorsqu'il s'agit de sanctionner
un caractère, une attitude personnelle. Mais lorsque les auteurs comiques
évoquent la société du temps, c'est sur le mode de la peinture plus que sur
celui du discours. Renonçant à engager pleinement le spectateur dans un
double processus d'adhésion à la cause des uns et de sanction des
déviances des autres, ils renouent avec le système baroque de la
dramaturgie cornélienne. Mais ce qui change et qui marque une évolution
profonde du genre, c'est la réception du masque dans ces comédies du
faux-semblant. En effet, le ton de ces comédies se distingue à la fois de
l'atmosphère pleinement baroque du théâtre de Corneille, et de l'éthique
classique des quelques pièces postérieures que nous avons évoquées plus
haut. Dans l'esthétique cornélienne, l'âpreté des relations se voyait en
partie compensée par le jeu tourbillonnant des illusions; dans une perspec-
tive préclassique, l'utopie du dévoilement et de la sanction, par le biais
d'une ruse légitimée, corrigeait à son tour, selon des mécanismes différents,
la dureté de l'univers dépeint. Dans L'Aveugle clairvoyant ou Le Déniaisé
au contraire, rien ne doit affaiblir la portée signifiante de la ruse, essentiel-
lement prise comme un motif mimétique —alors qu'elle était un procédé
dramatique dans les comédies du dévoilement.
L'affirmation de Corneille, qui associe la ruse uniquement au jeu, et
qui fait de ce jeu l'essence du genre, aux dépens de la peinture des
passions humaines, ne peut donc être comprise que dans son contexte de
1637, lors de l'impression de La Suivante. En effet, le jeu des «intrigues»
pouvait satisfaire le goût de l'auteur et des spectateurs pour les paradoxes
de l'illusion, sans être pour autant dépourvu de sens et de richesse
représentative, puisqu'il évoquait le monde sous l'angle symbolique de son
instabilité. Mais dès que l'on considère le corpus comique des années
1640-1660, on constate une réduction du jeu (ou du mouvement) à son
statut de ressort dramatique, et une perte de sa valeur signifiante. En effet,
Scarron et ses contemporains ne peignent plus le réel de manière
symbolique, mais par une représentation plus directe. Dés lors, la
dimension symbolique du jeu des tromperies n'est plus évidente. La ruse,
si elle doit dire le monde, doit être liée de façon plus claire à son référent
dans le réel : d'où cette association entre art de tromper et art de cour, qui
donne à la ruse toute sa dimension mimétique. Dans un système baroque,
elle évoquait le monde par le mouvement, par un jeu de faux semblants
destiné à provoquer chez le spectateur le vertige du kaléidoscope : elle
jouait donc sur les affects. Dans une esthétique de la peinture, telle que la
développe de plus en plus la comédie, la ruse tend à se départir,
lorsqu'elle se veut signifiante, de son statut de jeu, et à s'immobiliser : on
s'attarde sur les discours d'un trompeur, sur les réactions des autres
personnages, c'est-à-dire sur une signification directe et affichée de la ruse.
Les «passions humaines» investissent donc un procédé qui ne peut plus se
limiter à une charge symbolique désormais moins évidente.
Le cheminement de la ruse reflète donc les évolutions majeures de la
dramaturgie comique au XVIIe siècle. L'éclatement symbolique qui
caractérise le procédé dans son utilisation baroque disparait au profit d'une
dramaturgie plus unifiée, visant à la clarté, dans ses mécanismes comme
dans ses enjeux. La ruse sera désormais, dans cette esthétique classique,
un acte explicable, lié à une cause justifiable ou à la personnalité de son
auteur. Une tromperie peut donc se comprendre dans sa singularité, dans
le sens qu'elle revêt comme un acte unique; la ruse baroque ne trouvait au
contraire son sens que dans sa multiplicité, qui disait l'instabilité du monde.
Or ce changement modifie profondément les réactions du spectateur à la
comédie. Chez Corneille et plusieurs auteurs de la période 1640-1660, on
l'invitait à contempler le spectacle de la vanité du monde, traduite par la
vanité des actes. Dans une perspective classique —que l'on observe déjà
chez Scarron, puis naturellement chez Molière—, on l'invite à juger d'un
acte dont le sens est limpide. En d'autres termes, la ruse du premier XVlle
siècle était, par sa multiplicité et sa vanité affichée, l'élément clé d'une
évocation symbolique du monde; la ruse classique sera, par la clarté du
sens dont elle se pare, le lieu d'un discours sur l'homme.
Mais cette évolution confirme également l'importance de ce procédé
dans lequel Corneille voyait l'essence du jeu comique. Tout en cherchant à
se dégager de ce statut ludique, qui lui déniait toute dignité littéraire et
limitait ses prétentions à une représentation signifiante, la comédie a
toujours conservé un système dramatique reposant sur la ruse, ou l'incluant
à un moment ou à un autre. Cette permanence s'explique peut-être par la
plasticité d'une technique qui synthétise les ambitions de la comédie.
Procédé ludique, par lequel le spectateur contemple avec plaisir les
conséquences de l'erreur et de l'illusion, la ruse peut également constituer
la voie du sens, le moyen de rétablir la vérité ou de dire le monde. Elle
autorisa donc toutes les ambitions littéraires d'un genre qui, en suivant le
mouvement du classicisme, prétendit de plus en plus nettement au sens;
parallèlement, elle lui permit de conserver ce qui constitue probablement
son essence : le sentiment d'innocuité qu'éprouve le spectateur à la
contemplation d'un jeu.
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(1) V, 2, v.v. 1631-1636.
(2) V, 2.
(3) Sa rhétorique exprime d'ailleurs complaisamment les paradoxes de son comportement:
Me feindre tout de glace, et nôtre que de flamme I
La mépriser de bouche et l'adorer dans l'âme
(4) La Veuve, I, 6, v v. 327-346.
(5) Les comédies de Corneille sont à cet égard fidèles à une utilisation traditionnelle de la ruse,
dont le spectateur voit successivement la conception, la mise en oeuvre et les développe-
ments. Dans La Place Royale par exemple, le stratagème curieux imaginé par Alidor est
connu dès la première apparition du personnage, à la scène 4 du premier acte (v.v 305-309):
Ami, soupçon à part, avant que le jour passe,
D'Angélique pour toi gagnons la bonne grâce,
Et de ce pas allons ensemble consulter
Des moyens qui pourront t'y mettre et m'en ôter,
Et quelle invention sera la plus aisée.
(6) Certaines pièces semblent pourtant faire d'un auteur de stratagème une figure centrale.
Ainsi, le sous-titre de La Place Royale, L'Amoureux extravagant, rapproche explicitement le
comportement d'Alidor d'un type très en vogue sur la scène comique entre 1630 et 1G60. Mais
le personnage apparaît rien moins qu'extravagant, ne fût-ce que dans ses résolutions
amoureuses. Le caractère d'Alidor n'est que le point de départ de l'intrigue, et Corneille ne se
préoccupe guère de fouiller la psychologie de l'extravagant, comme le tara Desmarets dans
Les Visionnaires en 1637, ou Scarron avec le célèbre Dom Japhet d'Arménie, en 1647.
(7)1V, 8, v.v. 1238-1245.
(8) Méllte V, 5, v.v. 1925-1930.
(9) V, 6, v.v. 1939-1942.
(10) Ibid., V. 1943.
(11) Ibid., V. 1946.
(12) La Place Royale , IV, 1, v.v. 943-948.
(13) IV, 3, v.v. 1033-1036.
(14) Rappelons que le litre exact de la pièce est La Place Royale ou l'amoureux extravagant.
(15)!, 3, v.v. 177-178.
(16) Ibid., I, 5, v-278.
(17) Crysante dit ainsi à sa fille, dans La Veuve (111, 4, v.v. 1011-1013) :
Je meure, mon enfant, situ n'es admirable,
Et ta dextérité me semble incomparable;
Tu mérites de vivre après un si bon tour.
De même, dans Jodelet duelliste de Scarron, Béatrix raconte à sa maîtresse comment elle a
joué son rôle dans une ruse tramée par la jeune fille (IV, 1, v.v. 974-978):
En déguisant ma voix, corrompant mon langage.
En m'acquittant enfin fort bien du personnage,
J'ai très adroitement, mals non sans quelque peur,
Accosté Dom Diègue auprès de votre soeur.
Et puis je l'ai conduit où vous devez vous rendre.
(18) La Veuve , I, 3, v.v. 135-149.
(19) Ibid., vv. 167-182.
(20)I,3: LA COMTESSE
Cet esprit défiant pourvoit astre dupé.
LI DAMANT
Si je ne le trompois, je serois tort trompé.
LA COMTESSE
Voulez-vous, Lidarrant, tenter cette aventure.
LI DAMANT
Je l'entreprends, Madame.
LA COMTESSE
Et je vous en conjure,
Vraiment il le mérite.
[...]
Enfin faites moy part du succez n'y vous prie,
Car pourveu que l'honneur n'y soit pas offensé,
Je prendray grand plaisir à le voir traversé.
(21) Epitre dédicatoire de La Suite du Menteur, 1644.
(22) Epître dédicatoire de L'Intrigue des Filous, 1648.
(23) Voir sur ce point l'étude de G. Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène
française du XVlle siècle, Droz, (1981), 1996.
(24) Jodelet ou le martre valet , Il, 2, v.v. 427-432.
(25)11, 4, vv. 551-552
(26)11, 4, V.V. 565-572.
(27) L'Héritier ridicule , V, 4, v.v. 1521-1533.
(28) Le mot est de Thomas Corneille qui, voulant faire porter aux comédiens de Molière l'échec
de la représentation d'Oreste et Pylade , de Coqueleau de la Clairière, déclare après le
succès des Précieuses ridicules , que ces comédiens n'étaient «propres qu'à soutenir de
semblables bagatelles». Voir V.G. Mongrédien, Recueil des textes et documents du XVile
siècle relatifs à Molière , Paris, 1965, tome I, p. 114.
(29) Les Trois Dorofhées ou Jodelet souffleté rebaptisée Jodelet duelliste, 1645, I,
(30) La Veuve ,III, 3, v v 910-916.
(31) Ibid., vv. 916-923.
(32) Celui-ci avance fièrement, comme gage de sa capacité à tromper une femme de haut
rang, une connaissance des rudiments du latin, mais aussi la maîtrise d'une science toute
mondaine : celle de faire des vers, dont on peut supposer qu'elle lui vient de l'observation de
modèles aristocratiques.
(33) Jodelet duelliste , IV, 3, v.v. 1116-1119. Dom Femand rappelait déjà, dans le climat plus
enjoué de Jodelet ou le maître valet, le caractère trompeur de l'apparence (II, 2, v.v. 412-414):
Vous jugez donc d'un homme en voyant son portrait?
Souvent un vilain corps loge un noble courage,
Et c'est un grand menteur, souvent, que le visage...
(34) Jadelet duelliste, I, 1, v.v. 82-84.
(35) ibid., I, 1, v.v. 163-164.
(36) Représenté en 1648.
(37) Représenté en 1647.
(38) 111, 5.
(39) Olimpe justifie également le recours à la tromperie, seul moyen de »retourner entre les
bras des (siens) et de sauver l'honneur (...) (II, 1).


Pour citer cet article :
Auteur : Véronique Sternberg, professeur, université de Reims -   - Titre : le statut de la ruse dans la comédie de Corneille à Molière,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/monographies/oualili/statut_ruse_comedie_de_Corneille_a_moliere.php]
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