la narration theatrale de l'histoire:

la mort de danton de buchner et le marat/sade de p.weiss

zohra makach (fac. des lettres. agadir)

en s'interrogeant sur le rapport entre drame et histoire, on peut avancer que l'époque de la révolution française offre un exemple assez remarquable, elle représente une vraie dimension théâtrale, tout favorise le drame: la convention, les différentes perspectives des partis, les clubs, les grands espaces de représentation où la nation donne en spectacle ses conflits et passion, la place de la révolution où s'accomplit un dénouement dont les péripéties se nouent aux jacobins ou dans les assemblées. a l'instar du héros tragique, l'homme politique est écrasé non pas par ce témoin et irrécusable, dieu ou la fatalité mais par l'histoire.

l'histoire se donne l'apparence des formes théâtrales. elle peut être comprise comme une tragédie, comme un véritable drame, ou simplement comme une pure farce ridicule (1). c'est l'histoire, souligne m. corvin, qui est théâtrale et non pas le théâtre qui est historique (2). l'histoire possède en elle même une perfection et une beauté dramatiques objectives. elle représente à l'homme son vrai destin. nous pensons aux travaux de michelet qui représente la révolution comme un drame dont le peuple est l'acteur essentiel. nul mieux que lui n'a souligné l'élan patriotique de 1792 et le caractère dramatique des luttes de 1793.

donc, si la tragédie emprunte ses sujets à l'univers des mythes, le drame historique tire les siens de l'histoire politique des peuples et met en scène la lutte des protagonistes pour la conquête du pouvoir. certes, le drame historique a un statut particulier. il s'appuie sur un matériau emprunté à des sources historiographiques qui ne sont pas les mêmes que ceux de l'historien. rares sont les drames qui représentent avec fidélité l'époque historique choisie, les détails sont, en général, inventés. autrement dit la réalité (histoire) propose et l'imaginaire (dramaturge et metteur en scène) dispose. cela veut dire que la réalité historique, elle même, a une forme dramatique loin d'être innocente et à des situations différentes de l'histoire correspondent des structures différentes du drame historique.

il ne s'agira pas ici de chercher à se faire une idée du vrai ou du faux, mais plutôt de prendre plaisir à constater la complexité des noeuds qui les tressent ensemble, la difficulté de les séparer, de les définir, de les distinguer.

nous commencerons notre étude par une analyse de la structure des drames (la mort de danton, marat/ sade et 1789); ensuite nous soulignerons les signes qui se réfèrent à l'histoire et qui, par là, attribuent au drame le caractère historique. enfin, nous parlerons de l'organisation de la fiction, du travail poétique des dramaturges. que fabriquent-ils avec la matière historique? et comment est présenté le rapport entre l'histoire et le théâtre?

i.1.structure des textes.

le texte dramatique peut, au premier abord, être saisi dans sa matérialité, dans la manière dont son organisation de surface se présente sous forme de pièce de théâtre. nous tenons, ici, à nous intéresser aux titres, aux systèmes de structuration, de coupures, d'enchaînement, d'ouverture et de clôture, etc. toutes ces marques concrètes, pour superficielles qu'elles paraissent, soulignent les divergences entre le récit historique et la narration théâtrale. elles correspondent à un projet dramatique et annoncent les possibilités de sens qu'on peut attribuer au texte. il est donc difficile d'en rester à la surface. quand nous cherchons à expliquer la particularité des titres, quand nous regardons de plus près comment les différentes parties s'enchaînent ou au contraire pourquoi elles ne s'enchaînent pas, nous touchons plus précisément à l'organisation de la fiction. autrement dit, les relations entre les différentes structures, entre fable, intrigue et discours sont savamment entremêlées.

i.1.1. le titre.

la mort de danton , la persécution et l'assassinat de jean paul marat représentés par le groupe théâtral de l'hospice de charenton sous la direction de monsieur de sade et 1789 'la révolution doit s'arrêter à la perfection du bonheur' sont des titres très révélateurs. ils se présentent comme des signes résumant toute la pièce. ils sont très riches d'informations.

le titre du drame büchnerien, la mort de danton, annonce et le sujet et le dénouement. il anticipe deux idées sur le drame: c'est une réflexion sur la mort et en même temps une représentation des derniers jours d'un homme historique qui a existé. indication qui révèle l'époque historique choisie: 1794. le signe théâtral 'danton' renvoie au personnage historique, à son époque, à ce que nous en savons. le lecteur est curieux de savoir comment büchner va travailler ce signe qui fait appel à tout un système de connotations. peut-on toujours voir dans ce genre de signe un reflet plus ou moins mécanique de la chose désignée?

la persécution et l'assassinat de jean paul marat représentés par le groupe théâtral de l'hospice charenton sous la direction de monsieur de sade est un titre trop long. il apparaît comme une mise en exergue. d'emblée, tout est exposé. le sujet (la persécution et l'assassinat de j. p. marat), les acteurs (le groupe théâtral de charenton) et le metteur en scène (sade). qui dit représentation dit spectateur. tout contribue à avancer qu'on est devant une affiche de spectacle, une pièce de metteur en scène. donc, on aura affaire a un texte dans un autre texte, une sorte de mise en abyme, une fiction en train de se faire. le titre souligne la présence de deux protagonistes marat (malade-acteur) / sade (interné-metteur en scène). autrement dit, le conflit entre l'individualisme poussé jusqu'à l'extrême et l'idée de bouleversement politique et social. cette confrontation totalement imaginaire illustre que le texte sera une approche distanciée de l'histoire. l'assassinat de marat est représenté par le groupe de charenton, c'est-à-dire dans un asile de fous et par des déments. la folie s'avère la forme de théâtralité la plus sûre, la plus chargée de signification et de plaisir esthétique. aussi bien dans marat/sade que dans la mort de danton, l'histoire bascule dans la folie et dans la mort.

d'autre part, les titres contiennent, en microcosme, tout le phénomène textuel que nous proposons d'examiner. dans les deux titres, on remarque la présence du nom propre: danton, marat, sade. or, lorsqu'un titre comporte un nom propre, il acquiert un statut référentiel. il renvoie au personnage protagoniste du texte, au texte théâtral lui-même, et il renvoie également au personnage historique porteur de ce nom. véritable carrefour de références, le titre, dans les exemples choisis, évoque le texte qu'il nomme, le genre théâtral dont il est une manifestation, et enfin l'époque historique choisie.

des remarques qui précèdent, on peut avancer que si le titre est le texte le plus bref du discours, il peut être aussi le plus suggestif. dans les deux cas, le spectateur-lecteur n'est pas en situation de savoir partiel par rapport à un savoir total qui sera livré à la fin. la question qui se pose, maintenant, n'est pas 'par quoi s'est terminé' le texte mais 'comment cela est construit' et 'd'où cela est venu'.

i.1.2. structuration du texte.

a la lecture de marat/sade, on est frappé par l'absence d'une structure apparente. le texte est non ponctué, la division en deux actes est très déséquilibrée. le premier comporte vingt six tableaux, le second n'en a que sept. il n'y a pas de souci de cohérence et d'ordonnance. c'est l'anarchie qui l'emporte. tous les éléments présentés sont favorables pour mettre en scène un monde éclaté, incohérent et par là même démystifié, qui est à refaire.

le texte de marat/sade s'ouvre sur une pleine page d'indications scéniques. tout y prévu en détail. non seulement le nombre et la position des accessoires, mais encore leur apparence et, en quelque sorte, leur consistance. les didascalies représentent un cinquième voire même un quart du lignage. elles ne sont pas seulement une affaire de mise en espace, mais elles participent au drame, visent aussi les personnages, leur apparence physique, leur gestuelle et leurs mouvements. elles ont une fonction de méta-texte. elles ponctuent le texte, accentuent le procédé du théâtre dans le théâtre et suggèrent un exemple de représentation. ce choix d'écriture invite le lecteur-spectateur à participer à la construction du texte et sa mise en scène. rien n'est fini, tout est en répétition, la fiction est en train de prendre forme. presque tous les procédés de brecht sont présents. : une action fondée sur un débat idéologique, l'utilisation des chants, les adresses au public par l'intermédiaire d'un compère. dés le départ, tout est nourri de distanciation (cf. le prologue).

contrairement aux récits historiques, l'essai de sade n'a ni continuité, ni cohérence stylistique. il n'y a pas de déroulement linéaire, chaque tableau du drame se situe dans un moment différent de celui du tableau précédent. le statisme l'emporte sur la progression et c'est l'immobilité de l'attente. la pièce est une sorte de dialogue sans issue, c'est une dramaturgie du fragment. le spectateur-lecteur a affaire non pas à une image, mais à une pluralité d'images. le thème central, 'la persécution et l'assassinat de j.p. marat', n'occupe que sept tableaux. autour de ce noyau se déroule toute sorte de scènes indépendantes: hommage à marat, vision de marat, entrevue entre charlotte et duperret, dialogue entre marat et sade... d'autre part, le drame est fréquemment interrompu par le commentaire de l'annonceur et celui des quatre chanteurs. ces derniers ont pour fonction de rompre le rythme, de renforcer la distance afin d'éviter le piège de l'illusion. le mouvement du texte suit si l'on peut dire les jeux aléatoires des pensionnaires de charenton. la fiction a du mal à se fictionnaliser et l'acteur-aliéné a du mal à se constituer, à entrer dans son jeu. une pièce se répète sur scène sans que la pièce entière nous soit donnée. entre deux tableaux, les déments surexcités interviennent chacun avec ses tics particuliers, son aliénation personnelle.

en outre, l'absence de structure dans marat/sade illustre l'importance de la distanciation, l'anarchie et le désordre du lieu représenté (l'asile), la non-stabilité de l'acteur voire l'image de l'acteur qui ne rentre pas dans son jeu, il redevient sans cesse lui même.

la distribution la plus frappante, dans la mort de danton, est l'organisation des trente deux scènes en quatre actes. du premier acte au dernier, on note une progression des scènes (i.6, ii.7, iii.10, iv.9) qui atteint son point culminant dans l'acte iii. ce dernier est l'acte le plus important de la pièce aussi bien au niveau du contenu qu'au niveau de la forme. c'est là que commence les réflexions métaphysiques, le changement de situation et d'espace. la fin de l'acte souligne la préparation de la chute, les scènes (7,8,9,10) se réduisent à des brefs tableaux. l'acte iv va dans ce même sens, même s'il se compose de neuf scènes, il est, dans l'ensemble, plus court que les trois premiers, traduisant ainsi la proximité du dénouement implacable.

dans l'ensemble, on peut parler de deux moments du drame. le premier (i-ii) expose le conflit et les différentes perspectives des personnages. le deuxième (iii-iv) représente la chute de la faction opposée à robespierre. ces deux derniers moments sont différents des premiers, aussi bien sur le plan spatio-temporel que sur le plan du discours. c'est dans ces deux actes qu'apparaissent les dialogues philosophiques (iii.1,3,7- iv.3,5). il s'agit de cinq scènes interrogeant la théodicée, c'est-à-dire la justification du mal. ces dialogues prennent, dans le mouvement dramatique du texte, une place plus importante que l'action révolutionnaire.

chaque scène s'accompagne d'un changement de lieu. cette variété traduit le caractère mouvementé d'une action qui se situe tantôt dans un domaine privé, tantôt sur la place publique, tantôt dans les tribunaux, tantôt dans les prisons. les temps les plus forts de la pièce sont la confrontation entre robespierre et danton (i.6), l'arrestation de danton (ii.6), et enfin l'exécution des dantonistes (iv.7).

d'emblée, l'idée de progression est mise en cause. le schéma classique: exposition, noeud, péripéties, dénouement cède la place à une situation connue d'avance dont chaque acte apporte des variations. il n'y a pas d'intrigue. il y a plus d'idée, que d'action. au lieu d'un drame, d'une action qui se développe, évolue et s'achève, büchner propose le dernier tressaillement qui précède la mort de danton, une sorte de 'dramaturgie de stagnation' c'est pourquoi on a reproché au texte le décousu de sa structure dramatique et l'absence de toute tension. l'essentiel n'est, donc, pas dans l'action mais dans le verbe: ' suivez donc vos grandes phrases jusqu'au point où elles prennent corps.'(iii.3) il se peut que l'absence d'action reflète la situation de crise dans laquelle se trouve la révolution. comme l'a souligne p.szondi, 'la révolution qui a anéanti, au début, afin d'agir, anéantie finalement parce que elle ne peut pas agir. place! place les enfants crient, ils ont faim. il faut qu'il voient pour qu'ils se taisent!' (3)

certes, malgré son caractère d'inertie, le drame büchnerien présente certains traits de la dramaturgie classique: la structure dialogique, la présence des monologues(4), le renvoi permanent à une succession d'événements historiques... tout ceci assure encore au texte une continuité dans le fil perceptible d'une action. cependant, quelques scènes du peuple, de même de très longs débats philosophiques constituent des moments statiques qui retardent le drame. sur trente deux scènes du texte, seize n'ont pas un rapport direct aux faits historiques (i.1.2.5, ii.2.3.4.5, iii.1.7, iv..3.4.5.6.8.9). néanmoins les éléments du conflit des protagonistes sont bel et bien présents.

outre la structure des texte, le cadre d'une oeuvre artistique ou autre, est constitué par deux éléments: le début et la fin, il nous paraît indispensable de voir comment s'ouvrent et se terminent les deux drames.

i.1.3. l'ouverture et la clôture du texte.

dans les deux textes, le spectateur-lecteur est renseigné, sur le système dans lequel est codé le texte qui lui est proposé. la mort de danton, à titre d'exemples, ne présente pas d'exposition classique. le texte s'ouvre sur le cercle de danton, son ambiance, son langage, mais il souligne surtout une morale très proche d'epicure et prédétermine le mouvement dramatique. büchner présente une atmosphère traduite dans un pessimisme métaphysique, une conjoncture politique, des thèmes (le jeu, l'amour, la mort...), plutôt qu'une situation dramatique. c'est une scène d'anticipation, avant toute action, danton est promis à la mort. dés la première page, on parle déjà de tombeau:'julie, je t'aime comme le tombeau'.(i.1) tout est étrange et absurde. amour et mort sont utilisées en même temps. l'emploi de l'un fait appel à l'autre. histoire et jeu apparaissent comme des synonymes. la vie des personnages et l'histoire en général ne sont qu'un jeu (et enjeu) de carte. les jeux sont faits, danton a 'perdu' et la révolution a échoué. ce qui signifie que le déroulement de l'histoire échappe au contrôle de l'homme. tout effort est vain, car tout est prévu à l'avance. voilà des marques qui peuvent connoter la fatalité de l'histoire.

en effet, l'ouverture du texte de büchner est très révélatrice. elle donne à voir une constellation de références très éparses. la scène est une sorte de raccourci des idées philosophiques, historiques et littéraires. tous les sujets qui seront traités plus tard sont annoncés: la crise du savoir, le mensonge, la fatalité, la jouissance dionysiaque, la vertu, le vice, la liberté, la révolution , la mort et la folie. l'écriture assemble des fragments qu'elle pose savamment les uns à côté des autres. ce qui donne un caractère un peu confus voire polysémique au drame.

outre la référence au conflit danton/robespierre (5), la première scène évoque certains événements historiques qui situent le drame dans l'espace et dans le temps:

'encore vingt victimes aujourd'hui. nous étions dans l'erreur: on a envoyé les hébertistes à l'échafaud uniquement parce qu'ils ne procédaient pas de manière systématique, et peut-être aussi parce que les décemvirs se seraient crus perdus si d'autres s'étaient fait craindre plus qu'eux, ne serait-ce qu'une semaine.'(6)

cette réplique de philippeau est une allusion précise au 24 mars 1794. en effet, le titre et la première scène du drame permettent d'avancer que le temps de l'action est celui de l'histoire: du 24 mars 1794 (exécution des hébertistes) au 5 avril (exécution de danton).

par ailleurs, la première scène montre que nous aurons affaire à des caractères 'accomplis' dont les traits seront révélés au cours du drame. il n'y a pas de trace d'une évolution. la fin du premier acte illustre la vanité de l'effort: 'qu'ils disparaissent! vite! seuls les morts ne reviennent pas.' effectivement danton et ses amis seront guillotinés. la fin n'est pas un anti-début.

certes ce qui est significatif dans ce texte c'est que la scène finale devient le point de départ d'une nouvelle histoire. d'une part danton ne meurt ni en héros, ni en victime, ni en martyr de la révolution. il meurt pour rien. par rapport à ce qu'il est convenu d'appeler (historiquement au moins) tragédie, la mort de danton ne s'inscrit pas en tant que texte dramatique dans le genre tragique. la pièce donne, ainsi, la forme d'une crise de la tragédie voire une ironie du tragique. ce qui interdit le vrai tragique à büchner, c'est sa conception de la faute. danton se demande:'qui maudira la main sur laquelle est tombée la malédiction du 'il faut'? '(ii.5) robespierre ajoute: 'des pensées, des désirs, à peine soupçonnés, confus et informe, qui se terraient craignant la lumière du jour acquièrent maintenant forme et relief (...) qui nous en blâmerait?'(i.6) il est remarquable de constater que dans la mort de danton , il n'est pas question d'une faute de l'homme ni par conséquent d'une délivrance de cette faute. continuellement, dés la première page, on insiste sur l'idée que l'homme ne peut agir que selon sa nature: 'c'est ma nature, qui peut aller contre' affirme marion.(7)

d'autre part, les derniers mots de la pièce 'vive le roi', prononcé par lucile, suggère l'image d'un retour au départ, une nouvelle histoire. cette dernière expression rassemble deux régimes opposés; elle expose en même temps deux époques: le présent 'qui vive?'(8) et le passé 'vive le roi'!

la fin du drame ne peut-être qu'équivoque. danton et ses amis sont guillotinés, julie est morte empoisonnée et lucile est devenue folle. la folie, dernière image du texte, est un refuge de l'homme face à un monde lui même insensé et absurde. face sombre de la révolution, conception pessimiste de l'histoire.

la conclusion dramatique a une fin complètement ouverte. on croit que büchner a voulu suggérer une suite, un acte v, dont le sujet pourrait être, après la mort de danton, la chute de 'l'incorruptible'. la révolution n'a pas 'mangé ses enfants comme saturne', mais elle a fini par amener, après d'autres aventures, l'empire et la monarchie de juillet. la conclusion de la pièce ne peut être que ambiguë et polysémique.

le texte de marat/sade est une autre approche des faits historiques. le drame s'ouvre sur 'une parade d'entrée en scène' qui souligne la nature du décor, la mise en place, la présence de sade sur scène. dés le départ tout est fondamentalement absurde, grotesque et fou. c'est la folie qui dit son dernier mot, c'est elle qui prédominera tout au long du spectacle.

le prologue, hors texte didascalique destiné tant au metteur en scène qu'au grand public, annonce la nature le contenu du texte dialogué. il sera question d'un 'essai', 'une expérience imaginée et mis en scène 'par le pensionnaire monsieur de sade. le drame se 'déroulera dans la salle de baignade', 'un décor tout trouvé'. le thème 'sera celui de jean paul marat et de son agonie laquelle a eu lieu dans sa baignoire (...) sous l'oeil vigilant de charlotte corday' (cf. prologue). bref, tous les éléments du cadreur sont cités. le texte est, ainsi, une fiction en train de se construire, une oeuvre d'art en pleine création, c'est la pièce elle même qui se pense, se met en cause et se juge par la réflexion constante au niveau du commentaire et de l'écriture. le discours est mis littéralement en spectacle.

toutes les marques de la fiction sont soulignées de telle sorte que le spectateur-lecteur ne prend pas le représenté comme illusion. la fable doit être constamment comprise, dans la conscience du récepteur, par distanciation et par éloignement. la fin du premier acte est un bon exemple. l'annonceur s'adresse aux spectateurs réels, il leur dit comment passer l'entracte d'une façon agréable:

suspendons ici le cours des événements

dont le terme déjà est imminent

et jouissant d'un moment de répit

comme si tout ce que vous voyez ici

n'était qu'un jeu

et que la fin elle même

qui résout les problèmes

puisse être retardée et reprise

au gré de nos propres désirs

sur ce jouissons des bienfaits du présent

tout en pensant pendant l'entracte au sort

il désigne marat

de cet homme qu'après être allés boire

vous retrouverez ici dans sa baignoire.

rideau. (acte i, tableau 26)

l'annonceur invite le récepteur à réfléchir sur le contenu de la pièce. en même temps cette invitation signifie une distanciation. n'est-ce pas là le côté esthétique du drame. selon brecht la distance esthétique est la condition nécessaire à une attitude critique vis-à-vis des problèmes traités sur scène.

enfin la pièce se clos par un épilogue, qui a le même caractère méta-théâtral que le prologue; comme lui, il constitue une réflexion su le jeu mais cette fois a posteriori. après le meurtre, 'à l'abri du drap marat quitte la baignoire et s'éloigne (...)les malades sur les côtés prennent des attitudes de deuil. roux lève ses bras (...)' et s'adresse et aux spectateurs et aux aliénés de charenton:

'ainsi vous avez supporté

qu'on assassine votre ami

par inertie vous avez laissez faire

par ignorance

ainsi vous avez permis

que vos ennemis

assurent leur empire

d'or de fer et de sang

qu'ils dépouillent des richesses de la terre

qui sont l'égale propriété de tous

pour la dernière fois

dressez-vous

apprenez à juger

montrer-leur

qu'ils ne vous auront pas

comme ça'(epilogue)

tirant la leçon de ce qui s'est passé, roux et les déments de charenton refusent la clôture, la délégation du pouvoir, rappellent à marat mort, aux spectateurs qui ont oublié le passé, la révolution trahie. ce rappel collectif débouche sur le happening.tous les déments de charenton prennent les spectateurs à parti et les obligent ainsi à se situer par rapport au spectacle et dans le spectacle de leur quotidien. conscient du détour de la fiction, coulmier, directeur à deux visages (comme puntila), courtois même lorsqu'il donne des ordres, rassure tout le monde et par là met fin à cet 'essai de théâtralisation':

'honorable public d'un siècle de lumière

après ce regard sur les malheurs d'hier

tournant nos yeux vers le présent

où nous avons sinon l'apaisement

du moins l'espérance de lendemains

dont on dit qu'ils seront sans histoire'(epilogue)

cette intervention du directeur souligne le procédé du 'play within the play', il annonce la fin d'un spectacle qui a eu du mal à se construire et démontre à sade qu'il n'était pas maître de sa création, il reste tributaire de celui qui est le commanditaire: coulmier. or ce n'est pas fini, tout va dégénérer. les malades n'ont pas dit leur dernier mot. conscients d'avoir été manipulés, il mettent en cause leur manipulateur. ils se groupent enfin pour leur 'seul compte' et jettent au pied de coulmier le cahier de régie de sade. réaction insuffisante, mais primordiale pour affronter leur ennemi:

coulmier se réfugie sur sa tribune et agite une sonnette d'alarme.

les infirmiers tapent sur les malades à coups de gourdin. (...) coulmier hurle aux infirmiers de frapper. des malades sont assommés. (...)

sade est debout sur sa chaise et rit triomphalement.

désespéré coulmier fait signe de baisser le rideau.

rideau.'(epilogue)

l'épilogue constitue une destruction du théâtre, par un retour à la réalité. on est en dehors du théâtre enfermé sur lui même. on assiste plutôt à un entre deux de la fiction fictionnalisée et de la fiction réalisée. le texte s'achève par le triomphe de l'anarchie sadienne. or, le chaos final, celui qui mène sade à rire 'triomphalement' se prête à plusieurs interprétations. il ne s'agit pas seulement d'un ultime happening mettant fin à un 'essai de théâtralisation' et obligeant coulmier et ses infirmiers à mater brutalement une révolte de fous mais d'affrontement d'ordre politique. le spectacle a le mérite de révéler aux acteurs-internés où ils se situent par rapport au pouvoir qu'incarnent sade et coulmier, devenus complices au gré de la représentation. marat est le bouc émissaire de la terreur. son assassinat se situe au paroxysme de la révolution, au-delà de laquelle le citoyen redevient sujet, le dément se soumet à son infirmier, l'auteur est tout le temps censuré, la nation s'asservit à son nouveau despote, napoléon. les questions qui se posent à la fin de la pièce se présentent comme suit: pourquoi la révolution a-t-elle échoué? pourquoi napoléon est-il venu au pouvoir? cette fin reste ouverte à toute interprétation. ces mêmes préoccupations peuvent être appliquées à d'autres situations historiques voire contemporaines.

outre l'épilogue, marat/sade s'achève par une postface: 'notes sur l'arrière-plan historique de la pièce'. cet hors texte, écrit par l'auteur, consiste essentiellement à commenter le sujet de la pièce par rapport à sa fable. certes, il ne faut pas oublier que le commentaire existe même au sein du texte. la rupture de l'illusion scénique est manifeste. plus nettement que dans le choeur, le personnage devient un truchement par lequel s'exprime l'opinion de l'auteur. le point de vue de celui-ci apparaît clairement encore dans les techniques du prologue et de l'épilogue en cadrant l'action. ces procédés caractéristiques du théâtre didactique sont aussi présents chez brecht.

la structure donné à marat/sade n'a pour effet que de ramener au niveau du délire démentiel un débat passionnel sur des thèmes moraux et politiques. l'essentiel de la pièce n'est pas le chaos qui se développe jusqu'à la fin, mais l'incessant aller-retour des arguments qui incitent à mettre en valeur les mystifications sociales et à obliger le récepteur à réfléchir. est-il abusif d'y voir une image de l'écriture dramatique et de la représentation des sujets: histoire et mort, théâtre et folie.

il en découle que toute forme classique est étrangère aux deux textes choisis. chacun possède son propre mode de fonctionnement. le drame de büchner, même s'il n'y a pas d'action au sens traditionnel, présente une fiction, une fable, c'est une dramaturgie d'illusion. marat/sade, par contre, est une dramaturgie d'allusion, une dramaturgie de tableaux. on ne cesse de souligner qu'on est au théâtre et qu'il faut prendre le 'représenté' comme une fiction d'où le principe de distanciation et l'emploi du procédé du théâtre dans le théâtre. par ailleurs, dans un drame historique, à côté des exigences théâtrales (genre), il y a l'exactitude historique ou plutôt le rapport avec l'histoire (sujet).

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(1). dans la mission souvenir d'une révolution, h.müller traite surtout l'échec de la révolution. echec qui accouche finalement de la dictature napoléonnienne. la pièce est traitée par la figure de la trahison. 'liberté, égalité, fraternité sont trois putains'. ce ne sont que des masques de la trahison. on trouve presque la même image dans les textes du corpus. il semble que les dramaturges, s'ils ont à parler de la révolution, ne puissent traiter que son échec. (voir à ce propos au perroquet vert d'a.schnitzler).

(2) corvin m., 'théâtre et histoire en france depuis 1950 ou l'histoire d'un malentendu permanent'. article inédit.

(3).szondi, peter, 'la mort de danton' in, travail théâtral, n°32-33, 1979, p.14.

(4). le monologue de robespierre (i.6) et celui de danton (ii.4) peuvent se lire comme des passages lyriques. ils sont remarquablement intéressants tant dans l'écriture que dans la situation.

(5). peut-on vraiment parler de conflit? les deux personnages ne se rencontrent qu'une seule fois (i.6).

(6). la mort de danton, op. cit., i.1, p.105.

(7). voir à ce propos la scène 5 de l'acte i, scène très importante aussi bien du point de vue dramatique que du point de vue philosophique.

(8) g. büchner, la mort de danton, dantons tod, aubier, flammarion bilingue, paris, 1972.



Pour citer cet article :
Auteur : Zohra Makach -   - Titre : La narration théâtrale de Histoire (la mort de Danton- Büchner et Marat Sade de P.weiss),
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