Le Maroc vécu par Maria ter Meetelen.

Par: Arrame nabil
La littérature de voyage n'a commencée à connaitre un réel développement qu'au XIXe siècle, et à partir de cette époque, ce genre de récit est devenu apparenté au journal et au roman. Dès lors, un nouveau genre autobiographique s'affirme et qui oscille entre «le discours de soi, la confession, l'observation et la fiction de la réalité». Aussi, Une nouvelle esthétique voit-elle le jour à travers le récit de voyage, celle de l'écriture exotique. L'orient est devenu à cet égard, du point de vue d'un voyageur européen, la source première d'un exotisme intarissable et très apprécié par les lecteurs des récits de voyages. Dans ce sens, le Maroc était devenu l'une des nombreuses destinations orientales d'écrivains-voyageurs, et même d'écrivains par occasion. De nombreux récits alors, furent rédigés d'après des voyages au Maroc, et qui vont du rapport politique et militaire, jusqu'au simples guides touristiques. A cet égard, on notera que parmi ces différents types de récits faits sur le Maroc, il existe ce qu'on a appelé: les récits d'esclavage et de rédemption. Grâce à la piraterie marocaine, qui connaissait un essor considérable aux alentours du XVIIe et XVIIIe siècle, entreprise par les maures chassés d'Andalousie cherchant la vengeance, beaucoup d'européens furent réduis à l'esclavage durant le règne de «Moulay Ismaël» et sa descendance. Cette situation subsista jusqu'à l'abolition de l'esclavage au Maroc, et la mise en action des lois promulguées contre la piraterie vers la fin du XVIIIe siècle. Ainsi, les récits d'esclavage rédigés à cette époque, étaient l'oeuvre d'anciens captifs rachetés par les rédempteurs, ou tout simplement libérés, et qui une fois rentrés dans leurs patries, entreprirent de rédiger les événements qu'ils ont connu durant leur période de captivité. Ce genre de récit véhiculait trois missions essentielles. Premièrement, puisqu'il était adressé à un lecteur européen, il s'appliquait à mettre en garde leurs navires, ainsi que d'éventuels voyageurs qui s'aventureraient au Maroc, afin de les préserver du même sort. Pour réussir cela, le récit de captivité agençait des informations précieuses sur la piraterie, les lois, les coutumes et la mentalité marocaines. Ceci permit au lecteur d'avoir une vision globale de la situation, ainsi qu'un savoir minimum des différentes manières de transactionner avec les marocains. Néanmoins, il ne faut point écarter de l'esprit que la mission première de ces écrits, était de susciter la pitié de potentiels mécènes, qui se transformaient en rédempteurs afin de racheter leurs confrères chrétiens. En effet, le récit rapportait les événements et les épreuves subites par les captifs, avec une très grande tendance à l'exagération de la réalité, peignant des situations hautement déplorables qui ne manquaient pas d'émouvoir le lecteur. Au sein de ce genre d'écrit, dominé souvent par des hommes, on retrouve parmi l'une des rares figures féminines qui furent esclaves au Maroc et qui rédigèrent leur captivité, la voyageuse Hollandaise Maria ter Meetelen. On ne se référent qu'à ses déclarations, dès l'âge de treize ans elle entreprit une série de voyages à travers l'Europe. A vingt ans elle se décida d'effectuer un voyage en France qui la guida en Espagne. Enfin, et par des circonstances citées au début de son récit, ses voyages l'amenèrent à sa captivité dans la ville de Meknès au Maroc. On pourrait croire que parmi tous ses périples, le plus marquant de son existence fut ses douze années d'esclavage qu'elle passa au Maroc, et qu'elle prit la peine de confectionner en un récit de captivité intitulé «l'annotation ponctuelle». Etant une écrivaine d'occasion, et selon une expression de l'éditeur à l'avis du traducteur, l'annotation ponctuelle est rédigée dans «un style effroyable». Cet ouvrage présente aussi un nombre considérable d'inconvenances, dans la mesure où la captive exagérait effrontément les faits, centrait la quasi-totalité des événements uniquement sur elle-même, et s'efforçait toujours d'embellir son moi omniprésent, aux dépends de la présence des autres personnages qui restent toujours dans son ombre. Cependant, et même à cause de ces innombrables défauts, le récit de Ter Meetelen ne manque pas d'une certaine originalité. D'une part, la rareté des récits de captivité produits par des femmes expose une nouvelle vision des choses, sous une perspective féminine. Cela lui permet aussi de jouir de l'avantage de pouvoir explorer certain aspects de la société marocaine jusque là interdits aux yeux des Hommes. Ainsi grâce au privilège d'être une femme, la captive avait plein accès à une particularité orientale, qui faisait fantasmer l'imaginaire européen et qui est le «Harem». Certes sa description du Harem royale fut brève et rébarbative, mais cela ne l'empêche pas de figurer parmi les points les plus dignes d'intérêt dans son récit. D'un autre coté, on notera une omniprésence d'un conflit entre les religions, et le triomphe de la catholique sur la protestante et la musulmane aux yeux de maria ter Meetelen. Finalement, l'annotation ponctuelle ne manque pas aussi d'apporter de précieuses informations concernant la situation politique au Maroc, durant la période de trouble postérieure au règne de «Moulay Ismaël», et la mainmise de l'armée des «Bokhari» sur tous les aspects de la gouvernance. La première observation pouvant être faite sur le récit, est l'utilisation de l'appellation «Turquie» par ter Meetelen pour désigner le Maroc. Sur ce point, il est impératif de prendre en considération sa date de rédaction. En effet, Adressé à un public non avertie au XVIIIe siècle, la présence du substantif «turquie» pourrait causer une confusion géographique en ce qui concerne le pays en question, surtout que cette appellation ne changera pas, remplaçant définitivement le nom du Maroc tout au long du récit. La raison de ceci reste pour le moins qu'on puisse dire ambiguë, puisque l'écrivaine ne l'explique point. Par ailleurs, on serait tenter de croire à un stéréotype, d'appeler «turc» tout ce qui est d'ethnie musulmane, vu que l'empire Ottoman à cette époque était connu grâce à ses régences au nord de l'Afrique, et qui s'étendaient jusqu'en Algérie. On remarquera aussi que dès le début de la narration, la captive s'active pour réussir à installer une idée constante, qui s'acheminera tout au long de son annotation ponctuelle. Elle consiste à présenter à son lecteur les maures (ou les turcs), comme des monstres sanguinaires, barbares, et sans la moindre pitié représentant la part du mal dans l'histoire. Dès lors, on comprendra que ce récit ne sera aucunement intéressé par la peinture de la différence et les aspects de vie de la communauté marocaine, d'où l'absence quasi-totale de toute référence exotique.
I)- absence de l'exotisme. Un récit de captivité, comme il a été rapporté plus avant, a surtout pour mission de procurer le plus d'informations possibles sur l'état de l'esclavage et de susciter la pitié des lecteurs. Donc, il ne s'agit nullement d'un récit qui cherche à raconter un simple voyage, en décrivant le pays visité tout en s'émerveillant devant sa différence pour aider le lecteur à accomplir un voyage par procuration. Dans ce sens, Maria ter Meetelen ôta presque tout caractère exotique à son récit, et limita ainsi son objectif à conter plus-ou-moins en détail le déroulement de sa captivité. Le périple de la captive, débuta dans le port de salé, port connu jadis avec celui de Tétouan comme le repère des pirates maures. Après son débarquement dans les côtes marocaines, elle essaya de présenter son récit sous la forme d'un journal, par l'insertion d'indicateurs temporels notamment les dates précises de l'encrage et la durée du séjour à salé. Cela étant, elle se hasarda à plusieurs reprises à décrire le comportement des maures d'après ses premières impressions, cependant la description ne tarda pas à se perdre dans le retour du «je» omniprésent de l'écrivaine qui recentre la narration entièrement sur sa personne. D'autre part, elle dirige sa description dans un tout autre sens, dans la mesure où elle néglige de décrire le pays étranger dans lequel elle vient tout juste de débarquer, pour consacrer d'interminables paragraphes, contenant des inventaires de ses biens, surtout la bijouterie. Après la fin de son séjour à salé, qui dura une dizaine de jours, le lecteur se retrouve soudainement «téléporté» à la ville de Meknès (mequenis; meknasis…) sans la moindre transition. En effet, il n'y a eu aucune description de la ville où des habitants de salé, ni du trajet entre les deux villes, ni à l'arrivé de Meknès. Néanmoins, on notera que la captive insère des mots arabes sans pour autant les expliquer, ce qui nous pousse encore une fois à prendre en considération le fait que ce récit est adressé à un lecteur européen par excellence. En effet, à cause de la présence de termes étrangers sans la moindre explication, le lecteur se retrouve devant la difficulté de se construire une image claire et nette de ce qui est rapporté. Ajoutant à cela le fait que Maria ter Meetelen insère souvent les mots arabes dans une fausse et confuse transcription, à un tel point que le même mot qui se répète connait plusieurs transcriptions comme l'exemple du mot «bacha» transcrit tantôt «Bassi», tantôt «bassha»et tantôt «bashis». Ceci présuppose que l'écrivaine ne s'était aucunement familiarisée avec la langue arabe, et qu'elle essayait juste de rapporter ce qu'elle parvenait à distinguer par l'ouïe sans plus. Dans une autre mesure, l'élément exotique n'est pas totalement absent dans l'annotation ponctuelle, même si en se manifestant presque une seule fois dans la description du Harem royale, d'après un témoignage visuelle directe de Ter Meetelen.
II)- Le Harem royale, vue de l'intérieur. En sa qualité de femme, la captive jouissait d'un libre accès au Harem- non pas d'un seul mais de deux roi: («Moulay abdallâh» et «Moulay weld alghariba»)-, ce qui lui permit de donnée une idée du harem marocain, que le lecteur pouvait considérée comme véridique, et constituer ainsi l'un des points forts de son récit. D'une part, les quelques bribes de description des Harems étaient presque la seule manifestation de l'écriture exotique. Et même avec le grand nombre de récits de voyage produits par des hommes, où ils s'essayaient à des descriptions de cette particularité orientale, celle comprise dans le récit de Ter Meetelen reste la seule qui pourrait inciter le lecteur de croire à son authenticité. En effet, elle parvient à préciser la hiérarchisation du harem, depuis l'évocation des «ennuques» (qu'elle nomme: Chapon), à celle des quatre femmes principales et des quarante-six concubines. Elle précise aussi le rôle hautement important de la mère du roi comme une reine dans les coulisses de la cour royale, et qui est le royaume des femmes. Toutefois, la tendance de l'écrivaine à exagérer les faits, a presque enlevée tout son intérêt à la description du Harem. Du fait que cette description diffère considérablement de son style dans le reste de l'ouvrage, On a l'impression que le passage, contenu dans la page vingt-et-un, est copié presque mot pour mot d'une scène tirée des contes des« mille et une nuits». Aussi, la fausse information qu'elle donne sur la prétendue coutume qui veut que le roi ait une vierge tous les vendredis, démontre clairement l'enjambement de l'imaginaire de la captive sur la réalité. Quelques pages plus loin, on retrouve une autre esquisse d'un autre Harem, celui du roi «Moulay weld alghariba», où Maria évoque cette fois un exemple des occupations partagées par le roi avec ses femmes (notamment les quatre principales), qui consiste dans ce cas précis dans le spectacle du combat des chiens et du sanglier. C'est aussi durant ses nombreuses entrevues dans le palace que la captive dérobe quelques aspects de la vie à la cour, presque toujours d'un point de vue péjoratif, à part son engouement exprimé pour la musique marocaine. D'un autre coté c'est aussi durant ses présences dans le palais royale que la captive sera «confrontée» plusieurs fois à la tentation de la conversion à l'«islam». Ceci nous amène à tourner notre regard vers un autre point important qu'est le conflit religieux.
III)- confrontation des religions. La religion catholique représente pour Maria Ter Meetelen la seule religion de foi qui peut être adoptée. Avant même de la confronter à l'islam (ou la religion turc selon ses termes), elle l'oppose au protestantisme, vu que ses deux maris qui étaient protestants étaient obligés de se reformer, l'un pour être enterrer convenablement, et l'autre pour pouvoir se marier avec elle. De la même manière, la religion musulmane est considérée dans l'annotation ponctuelle comme la tentation du «démon», une épreuve pour la foi de la captive. A maintes reprises elle rapporte les tentatives peu fructueuses que les servantes du Harem royale entreprenaient pour la convertir, avec violence même, devant sa ferme position de fervente chrétienne et sa foi non défaillante qui se renforce par les épreuves. Ces tentatives de conversion pourraient s'avérées être une part de la réalité, dans la mesure qu'elle transcrit (toujours dans une fausse transcription) dans la page vingt-trois, l'obligation de dire la «chahada» pour devenir musulman. À un certain niveau de la narration, on retrouve une évocation hâtive de la fête religieuse du sacrifice, où maria explique au lecteur la croyance qui veut qu'un roi sera destitué de son trône, si par le plus grand des malheurs la bête qu'il a égorgé durant cette célébration ne parvient pas encore vivante à son palais. Ce semblant de prophétie s'était accompli durant le règne de «Moulay abdallâh» qui avait dû capituler quelques jours après l'événement. Cependant la mort de la bête sacrifiée avant son arrivée au palace n'était qu'un simple prétexte à sa déposition, considérant le chaos régnant à cette époque, sur lequel Maria apporte des informations précieuses.
IV)- dimension historique et politique. La période de captivité de Maria Ter Meetelen coïncide dans l'histoire avec une partie des règnes de la descendance de «Moulay Ismaël». Comme il est bien connu, cette période représentait la décadence de l'empire «chérifien», où le Maroc était sous le contrôle de l'armée nègre des «Bokhari», qui détenaient les rennes du vrai pouvoir, alors que le roi qui changeait constamment n'était plus qu'une marionnette. Ainsi, la captive rapporte plus au moins clairement, les noms des rois qui s'étaient succédés durant cette période de douze ans, en indiquant les durées de leur règne. Le premier roi fut «Moulay abdallâh», qui après avoir échoué à rapporter le mouton égorgé encore vivant à son palais, fut détrôné par «Moulay Ali alredj». Tous les rois connus par Maria, et notamment ce dernier, seront représenté comme des abominables tyrans assoiffés de sang, oppresseurs de leur peuple, noyés dans la luxure et les futilités. Cette grande faiblesse des rois et leur gout pour le carnage, furent plus pénibles encore pour la position des chrétiens captifs, qui se retrouvaient dans la peau d'un bouc-émissaire. En effet, afin de mieux émouvoir son lecteur elle peint les chrétiens dans les situations les plus déplorables, oppressés et persécutés par les maures selon les caprices du roi qui décide de toute chose personnellement, le tout expliqué par l'usage d'anecdotes et de petits événements rapportés par la captive. En sa qualité de témoins oculaire, elle parvint à raconter le déroulement des quelques renversements et coups d'états, en particulier celui de «Moulay Ali alredj» et sa fuite en 1736, qui permit de restituer la couronne à «Moulay abdallâh» entamant ainsi son second règne. Cependant la situation ne s'apaisa pas pour autant, puisque en peu de temps après un autre roi fera son apparition, «sidi magomet weld leghriba», et s'emparera du pouvoir. En somme, durant ses douze années de vie d'esclave, la captive a connue exactement huit règnes successifs dont quatre sont ceux du roi «Moulay abdallâh», qui revenait souvent à son trône. Les autres rois étaient, selon leur ordre d'apparition dans le texte: «moula yali lerdj, sidi magomet weld leghriba, sidi mostadi, et Moulay zin».Durant le règne de chaque roi, la captive dans sa grande audace, arrivait à toujours garder de bonnes relations avec la maison royale, notamment son Harem, ce qui lui facilita énormément sa vie d'esclave. Dans cette mesure, et pour embellir d'avantage sa personne, Maria Ter Meetelen use fréquemment du code narratif du roman d'aventure. A ce niveau, elle relate des aventures et des intrigues dignes d'une oeuvre romanesque, par exemple, sa pénétration dans le palais royal sans la moindre peur et sans y être convoquée, son habilité à s'en sortir de situations délicates par la ruse et l'intelligence, et sa clairvoyance à pouvoir déjouer les manigances fomentées contre elle, pour que enfin parvenir à obtenir le respect et la reconnaissance des Maures et même celle du Roi. L'annotation ponctuelle, ne feint pas d'expliquer clairement le déroulement de la procédure d'esclavage, en évoquant les obligations et les droits des captifs. Sur ce point, selon les dits de la captive, on comprend que les chrétien pour assurer leur vie, avaient la possibilité de tenir un «cabaret», et que les femmes n'étaient pas obligées de s'acquitter du service royale, qui reste une tâche pénible réservée seulement pour les hommes. Finalement, et grâce à la période de sécheresse et de famine qu'à connue le Maroc à cette époque, Maria et les siens, purent enfin être rachetés par un rédempteur anglais, une procédure développer longuement par l'écrivaine. Ainsi, son voyage vers la liberté débuta cette fois de la ville de Meknès vers celle de Tétouan, pour qu'enfin le départ vers l'Europe soit amorcé depuis le port de Tanger. Même à ce niveau, la captive n'abandonna nullement son habitude à raconter les événements selon son unique point de vue. A cause de cela, comme d'ailleurs au début du texte, il n'eut pas la moindre description du trajet entre Meknès et Tanger, ni aucune orientation géographique, ce qui fit perdre le lecteur dans les montagnes marocaines. C'est selon cette manière que s'acheva le récit de Maria ter Meetelen, et ses douze années de captivité au Maroc. Construit dans un style peu littéraire, et formulant des inconvenances de gout, peu surprenantes pour un écrivain d'occasion, le texte comporte malgré cela des passages fort intéressants. En effet, le récit véhicule des informations inestimables concernant la situation politique de l'époque, rapportée par un témoin oculaire, ainsi que la description fort appréciée du Harem royale, par un voyageur qui peu enfin prétendre l'avoir vu de l'intérieure. Ne prenant en considération que ces deux points majeurs, l'annotation ponctuelle, malgré tous ses défauts, reste un récit de captivité digne du plus grand intérêt.



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Auteur : Arrame nabil -   - Titre : Le Maroc vécu par Maria ter Meetelen,
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publié : 2011-03-24

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