jean-marie gustave le clézio, le chercheur d'or:

des moments de bonheur plutôt que le bonheur

par aziz bouachma

c.p.g.e de meknès

introduction

i- bonheur et plenitude temporelle

1- le bonheur est dans la duree

2- le bonheur est dans la nostalgie

ii- le paradoxe du bonheur

«les trésors sont inaccessibles, impossibles.»

bonheur et irréalité

iii- des moments de véritable bonheur

le bonheur est dans la nature

le bonheur est dans la solitude

le bonheur est dans l'amour

conclusion

bibliographie

introduction

au commencement était le vent, souffle de l'esprit créateur, annonciateur du verbe. le bonheur, permanente jeunesse de l'être dans et par le verbe; le bonheur, chant et structure de l'éveil, tel me paraît le «bonheur hyperboréen»1, l'évidence vivifiante que me délivre la lecture du roman de jean-marie gustave le clézio le chercheur d'or, roman du bonheur sans parole, du bonheur non dit, interdit. tu – le mot bonheur est expressément rayé par le personnage principal: alexis –, il s'exprime dans les en-deçà de la parole.

placée sous le signe de la chronologie puisque tous les chapitres sont rythmés par des dates précises qui renvoient au temps linéaire, ce roman relate l'histoire d'un personnage qui vit dans un présent fugitif. plusieurs années de son existence s'égarent dans une dimension ontologique inconsistante, celle d'une probable appropriation d'un trésor, de l'acquisition et de la conquête de la richesse, l'empêchant ainsi d'atteindre le bonheur. la recherche de l'or est une menace de la dispersion de la conscience, de la fragmentation du moi, voire une sclérose de la vie dans des répétitions sans fin.

car le narrateur, alexis, est cet alchimiste qui rêve d'opérer la transmutation du plomb en or, du vil quotidien en éternelle lumière qui défie le temps. néanmoins son paradoxe est d'être trop petit pour un univers immense qui lui est assigné, confiné dans son île, incapable de se résigner parce qu'il nourrit en permanence les rêves d'un bonheur idéal lié à la découverte d'un trésor et délivré des sujétions vulgaires de la vie quotidienne. ses aspirations ne pouvaient s'accommoder de l'état d'hibernation étouffante de son univers. après la mort de son père, ruiné par sa folie puisqu'il n'a pas su être réaliste, alexis part à la recherche du trésor, contaminé lui aussi par ce rêve qui a marqué toute l'existence de son père que l'on aperçoit à peine. le chercheur d'or se métamorphose en chercheur d'un bonheur incertain. or un bonheur ne fait pas le bonheur car selon le clézio «le bonheur n'existe pas; c'est la première évidence. mais c'est un autre bonheur qu'il faut peut-être savoir chercher, un bonheur de l'exactitude et de la conscience.»2.

par conséquent si le concept de bonheur ne possède aucune universalité, et, partant, aucune nécessité puisque il varie selon les individus, car c'est quelque chose de purement privé, est-il possible d'en savoir un peu plus sur ce «bonheur de l'exactitude et de la conscience», cette sensation délicieuse qui sourd des choses, ce resserrement de la gorge, du coeur, de la poitrine, de l'être? l'idée de bonheur est-elle donc une idée chimérique, un idéal lointain, un souvenir nostalgique ou bien une expérience possible dans le temps pour un être humain tel alexis ? peut-on réduire la recherche du bonheur à la conquête des «trésors inaccessibles, impossibles» (c.o3 p. 359) ? le bonheur maritime, sidéral et amoureux du narrateur est-il accessible à l'homme ? si le bonheur désigne un état de plénitude lié à la satisfaction complète des désirs et des besoins, le transformer en récit, en objet de langage saisissable ne s'avère-t-il pas enfin une insaisissable lueur ou fuyante clarté?

bonheur et plénitude temporelle

bonheur est dans la durée

a rodrigues, le «robinson crusoé»(c o p. 198) fuit dans le futur des projets; en europe, il s'épuise dans le regret languissant, il n'a jamais cherché à atteindre son bonheur dans l'étroitesse du présent, l'infini dans le fini. on saisit ici l'opposition qu'il y a entre l'actualité du bonheur et sa durée. contrairement au plaisir, le bonheur exige sa propre stabilité temporelle. et l'aventure d'alexis est une perte de temps, une frivolité stérile, une désubstantialisation et une dévalorisation de son être. loin de pouvoir plénifier l'instant présent, le chercheur d'or y rencontre l'abîme et le désespoir. l'aventure se transformerait vite en une lutte contre soi-même, et préluderait à une tragédie intime et inguérissable. tout bonheur est d'espérance; toute vie est déception. alexis veut être heureux, ne peut l'être et en souffre. toutefois il arrive que le narrateur caresse l'idée d'un bonheur conscient grâce à la présence d'éléments naturels. la mer par exemple abolit le temps et lui offre le bonheur dans une minute éternelle:

« jamais je n'oublierai cette journée si longue, cette journée pareille à des mois, à des années, où j'ai connu la mer pour la première fois. je voudrais qu'elle ne cesse pas, qu'elle dure encore. je voudrais que la pirogue ne cesse de courir sur les vagues, dans les jaillissements d'écume, jusqu'aux indes, jusqu'en océanie même, allant d'île en île, éclairée par un soleil qui ne se coucherait pas.» (c. o p. 58-59)

et «la beauté de la lune arrête le temps» (c.o p. 328) affirme-t-il de manière catégorique.

si le voyage en mer arrête la course inexorable du temps, abolit naturellement la conscience du temps, ouma, elle, lui offre la plénitude de l'instant, et le bonheur ne jaillit pas, il s'écoule, il s'étale. en son compagnie, l'amoureux écrit:

«je crois que ce jour est sans fin, comme la mer.»(c.o p. 243).

pour être heureux, alexis devient ainsi ennemi de la temporalité, se détache du temps linéaire de la société humaine, celle de l'enfer des fours à bagasse qui dévorent le «manager», celle des tranchées en europe qui emportent l'ami odillon . les repères temporels deviennent flous et le narrateur se fond complètement dans le temps cyclique de la nature:

«le soir, dans la dérive du crépuscule, assis dans le sable des dunes, je rêve à ouma, à son corps de métal. avec la pointe d'un silex, j'ai dessiné son corps sur un bloc de basalte, là où commencent les roseaux. mais quand j'ai voulu écrire la date, je me suis aperçu que je ne savais plus quel était le jour, ni le mois. j'ai pensé un instant courir jusqu'au bureau du télégraphe, comme autrefois, pour demander: quel jour sommes-nous? mais je me suis aperçu aussitôt que cela ne signifierait rien pour moi, que la date n'avait plus aucune importance.» (c.o p 327)

bonheur est dans la nostalgie

il n'est vraiment de bonheur que dans la nostalgie. tout le reste est désir, volupté, plaisir, extase, béatitude. le narrateur en est conscient lorsqu'il affirme:

«… tout d'un coup je me souviens de ce que j'ai perdu depuis tant d'années, la mer à tamarin quand avec denis nous nagions nus à travers les vagues. c'est une impression de liberté, de bonheur.» (c.o p. 229)

chez le clézio, le malheur succède à une période de bonheur idyllique qui correspond à l'enfance dont le héros est tiré par un éveil brutal à l'irrémédiable vérité: son avenir est liée à une insertion sociale toute prosaïque, une soumission aux convenances et non une fuite hors du monde qu'on abhorre. le souvenir d'une enfance heureuse lui permet de chercher et de rechercher le bonheur; c'est le souvenir nostalgique d'une enfance perdue où le bonheur se vivait sans être reconnu:

«est-ce que nous que nous jouissons d'une telle liberté? mais nous ne connaissons pas même le sens de ce mot» (c.o p. 35)

le bonheur relève ainsi de la fugacité du devenir et ne saurait perdurer sans se déliter dans l'ennui. evoquant son bonheur en compagnie d'ouma à mananava, il écrit:

«nous avons rêvé des jours de bonheur, à mananava, sans rien savoir des hommes. nous avons vécu une vie sauvage, occupés seulement des arbres, des baies, des herbes, de l'eau des sources qui jaillit de la falaise rouge. nous pêchons des écrevisses dans un bras de la rivière noire, et près de l'estuaire, les crevettes, les crabes, sous les pierres plates. je me souviens des histoires que racontait le vieux capt'n cook, du singe zako qui pêchait les crevettes avec sa queue.» (c.o p. 364)

quelle est alors la valeur existentielle de cet acte de mémoire à la fin du récit? ce bonheur rêvé peut être celui du désespoir, du remords, du regret, de la nostalgie; un bonheur impossible affecté par un vif sentiment d'impossible que l'irréversibilité du temps fait surgir en lui. a l'issue du récit, alexis se rappelle du bonheur vécu avec ouma et affirme avec amertume:

«il me semble à chaque instant que je vais entendre le bruit des pas d'ouma dans la forêt, que je vais sentir l'odeur de son corps.» (c.o p. 368)

située entre le passé et l'avenir, la conscience d'alexis vit inévitablement des tensions entre ces deux dimensions. entre le passé heureux au côté d'ouma et le futur rempli d'incertitude, il se réconcilie avec lui-même et s'abandonne à la contemplation de la mer comme un stoïcien.

le paradoxe du bonheur

«les trésors sont inaccessibles, impossibles»

l'imagination d'alexis lui fait désirer l'or; et lui livre imaginairement ce qu'il désire. en fait, chez lui, il y a un bonheur de l'imaginaire, une jouissance de l'or dans l'imagination et donc en son absence que ne viennent pas ternir les vicissitudes liées à cet objet désiré: soleil torride, soif inextinguible, solitude amère…

son bonheur est dans la possession de l'or, quelque chose qu'il imagine. un fragment du monde ou un aspect qu'il isole de façon obsessionnelle. il aura beau accumuler tous les éléments dont il croit que ce bonheur sera fait, ce bonheur lui-même fera toujours défaut. car son bonheur n'est pas dans l'or, mais dans le fait qu'il se voyait non pas riche mais possédant le rêve paternel:

«quand mon père est mort, il me semble que j'ai commencé à descendre en arrière, vers un oubli que je ne peux accepter, qui m'éloigne pour toujours de qui était ma force, ma jeunesse. les trésors sont inaccessibles, impossibles. ils sont «l'or du sot» que m'apportaient les noirs chercheurs d'or à mon arrivée à port mathurin.» (c.o p. 359)

l'illusion de la possession de l'or engendre le dégoût, non comme répugnance mais comme absence de goût, insipidité même de ce bonheur lié à un rêve paternel. pour être libre, le chercheur d'or refait le geste du corsaire qui:

«… a tout détruit, tout jeté à la mer. ainsi, un jour, après avoir vécu tant de tueries et tant de gloires, il est revenu sur ses pas et il a défait ce qu'il avait crée, pour être libre.» (c.o p. 373)

c'est bien cette liberté synonyme du bonheur serein qui fait dire au narrateur:

'sur la plage noire, je marche, dans la direction de la tourelle, et je n'ai plus rien.' (c.o p. 379).

en brûlant 'les pages du trésor' ne vient-il pas de se libérer des images de ce qui l'aliénait ? la recherche du bonheur serait-elle le bonheur lui-même?

bonheur et irréalité

la conscience tragique que le narrateur a de la fragilité de tout bonheur, de la présomption de toute affirmation de bonheur, détruit la plénitude du bonheur présent, même éphémère. ce que alexis croit être des images du bonheur ne sont finalement que des leurres; et la recherche de l'or répétitive ressemble au travail absurde des soldats comparés à des fourmis:

«pareils à des fourmis, nous marchons à travers cette plaine, au bord du grand fleuve boueux. nous suivons sans cesse les mêmes chemins, les mêmes rainures, nous labourons les mêmes champs, creusant des trous innombrables, sans avoir où nous allons.» (co p. 286)

il est légitime donc de parler d'une conscience tragique chez alexis: conscience qu'il a de la fragilité de tout bonheur, de la présomption de toute affirmation de bonheur. un bonheur présent qui n'est pas assuré du lendemain ne possède pas de stabilité. et puisque l'avenir d'alexis a toujours été menacé, incertain, son bonheur n'est pas assuré à partir du moment où un cyclone particulièrement violent et dévastateur détruit la maison familial, l'installation électrique et les espoirs familiaux qui font dire à alexis:

«… il me semble alors que tout est fini, pour toujours, et mes yeux et ma gorge se remplissent de larmes.» (c.o p. 91)

le bonheur est ainsi illusoire et fugace. c'est cet instant-là jamais saisissable, c'est ce lieu inhabitable puisque tout entier ouvert, ignorant la limite, hors-discours, hors-sens. mieux vaut se contenter de simples instants de plaisir ou de joies passagères, dans une vie où le quotidien ne peut apporter que l'ennui, la souffrance et la mort. et en se libérant de la quête du trésor, alexis accède à un bonheur serein qui lui a révélé la conscience de soi:

«malgré la détresse, l'abandon de cette maison, ce soir-là, et les jours qui suivent, je suis heureux, comme je ne l'ai pas été depuis longtemps. il me semble que je me suis retrouvé, que je suis redevenu moi-même.» (c.o p. 310)

iii- des moments de véritable bonheur

bonheur est dans la nature

le chercheur d'or est probablement le roman de le clézio qui retrace le mieux cette harmonie heureuse entre l'être humain et la nature. sans passion, alexis est un être sans forme, une ombre sur une mur. pour le clézio, la passion est la substance de la vie. or la passion est souvent déraisonnable car elle se fonde sur des suppositions erronées. le clézio écrit dans l'extase matérielle:

«etre conscient est une lutte continue. ce peut être aussi le chemin de la folie. mais il y a indicible bonheur à savoir tout ce qui en l'homme est exact. cette vérité qui n'aboutit pas, car elle ne peut que rester relative, est sans doute le plus exigeant, le plus harassant des bonheurs. il demande qu'on sacrifie sa sécurité, son orgueil, son sommeil. il demande qu'on sacrifie sa paix.» 4

dès la première phrase du roman, la passion que le narrateur ressent pour la nature le fait renaître à la vie dans la joie de la pure sensation visuelle et auditive:

«du plus loin que je me souvienne, j'ai entendu la mer.» (c.o p. 11)

cette première occurrence de la mer dans le roman est tout à fait intéressante, elle permet au narrateur de se sentir l'âme légère du petit enfant du boucan qui s'annexe le monde extérieur au lieu d'être écrasé par lui, et il atteint spontanément au calme ravissant de la contemplation. la mer est le lieu qui lui permet d'apprendre à se servir de toutes ses sensations pour atteindre la plénitude d'un bonheur toujours renouvelé:

«rien n'existe plus, rien ne passe. il n'y a que cela, que je sens, que je vois, le ciel si bleu, le bruit de la mer qui lutte contre les récifs, et l'eau froide qui coule autour de ma peu». (c.o p. 17)

ce bonheur maritime dont il jouit alors n'est rien d'autre que le sentiment puissant de vivre. bref la mer fait naître en lui une illumination qui transforme son existence, il vit pour la mer, à travers la mer, avec la mer. il va chercher à libérer en lui l'homme naturel de la tutelle d'une civilisation qu'il juge corrompue, à libérer le jeune garçon qui vivait dans un eden où le temps lui-même semble annulé. cette image idyllique de l'eden est résumé au début du roman dans ce paragraphe:

«… ce jardin touffu comme l'eden, avec les arbres de l'intendance, les goyaviers et les manguiers, le ravin du tamarinier penché, le grand chalta du bien et du mal, l'allée des étoiles qui conduit vers l'endroit du ciel où il y a le plus de lumières.» (c.o p. 99)

la nature du boucan exotique et luxuriante ressemble parfaitement au paradis biblique. la profusion et la luxuriance de cette nature liée à celle des phrases et du rythme traduisent une joie extatique qui rend le narrateur ivre de liberté et de solitude.

le bonheur est dans la solitude

pour le clézio, qui n'aime pas la solitude n'aime pas le bonheur, car on n'est heureux qu'étant seul. si le chercheur d'or met effectivement en scène un personnage qui se perd dans une île fantôme et s'oublie lui-même, il ne faudrait pas croire que le bonheur arrive malgré lui et ne procède d'aucune démarche consciente. car sa quête, si elle le mène à la désillusion, n'en est pas moins celle très positive de la découverte de soi à travers un voyage dans la solitude. naturellement, le chercheur d'or emprunte du roman d'aventure (defoe, stevensen, kipling, conrad, j. verne…) sauf qu'ici l'investigation ne concerne plus le monde mais bel et bien l'investigateur dans sa propre intériorité. en effet, la solitude a ici un véritable pouvoir heuristique et pour le narrateur, elle devient un accès à l'intérieur de soi, un instrument de découverte de l'or enfui au tréfonds de lui-même. car la véritable quête d'alexis est de rentrer en lui-même, au sein d'un vide salutaire, dans un lieu que nul repère ne marque et où il n'est par conséquent plus possible de se perdre. car sa véritable quête est celle des sens constamment sollicités, aiguisés par la solitude qui lui permet de savourer pleinement et consciemment son bonheur:

« j'ouvre les yeux, et je vois la mer. ce n'est pas la mer d'émeraude que je voyais autrefois, dans les lagons, ni l'eau noire devant l'estuaire de la rivière du tamarin. c'est la mer comme je ne l'avais jamis vue encore, libre, sauvage, d'un bleu qui donne le vertige, la mer qui soulève la coque du navire, lentement, vague après vague, tachée d'écume, parcourue d'éteincelles» (c.o p. 123)

la quête d'alexis n'est pas vaine. le retour sur les lieux d'enfance est vécue de manière sereine, apaisée:

«je ressens l'ivresse de cette liberté. n'est-ce pas ici que je devais venir, depuis toujours? n'est-ce pas le lieu que désignaient les plans du corsaire inconnu, cette vallée oubliée des hommes, orientée selon le tracé de la constellation d'argo?» (c.o p.

la longue solitude d'alexis est une résolution de toutes les antinomies: la terre et le ciel, la vie et la mort, le temps et l'éternité, le rêve et la réalité. la faim, la soif, la maladie, le froid et bien d'autres souffrances sont en réalité un cauchemar qui se dissipe au réveil dans des larmes de joie quand l'oeil peut de nouveau admirer le ciel, entendre les cris des oiseaux de mer; ce qui lui fait dire:

«comme chaque matin, j'entends les cris des oiseaux de mer qui traversent la baie, escadrilles de cormorans, mouettes et fous lançant leurs appels rauques, en route vers la baie lascars. jamais je n'ai été aussi content de les entendre. il me semble que leurs cris sont des saluts qu'ils m'adressent en passant au-dessus de l'anse, et je leur réponds en criant moi-même.» (c.o p. 215)

le bonheur est dans l'amour

a rodrigues, il cherche le trésor de ses rêves, commence ainsi une recherche méthodique, un décryptage minitieux des indications inscrites sur la fameuse carte du corsaire. un jour alors qu'il est victime de la soif, de la faim, de la solitude, de la fièvre, une 'jeune fille sauvage et belle (lui) a sauvé la vie' (c o p. 212-213) puis c'est l'amour heureux. ouma apparaît et disparaît à l'horizon, avec sa «silhouette souple (…) pareille à un cabri» (c o p. 212) sauvage comme lui, libre comme lui. l'amour survient comme un raz de marée, s'insinue petit à petit dans son coeur, monte progressivement comme une marée, galope comme la mer dans une baie. ce bonheur amoureux qui est né est de l'ordre de l'inconscience, de l'innocence, de l'insouciance. il se caractérise par l'occupation complète de la conscience, le reflux de toute pensée, la perte de la notion du temps et du lieu, l'exaltation, le ravissement :

'c'est une force qui naît en moi, qui se répand dans tout mon corps, un désir, une brûlure.' (c o p. 222)

leur amour est fait de mer, de soleil et de sable. leur première union est un moment de bonheur sensuel, un embras(s)ement:

«je regarde le sable qui sèche sur l'épaule et le dos d'ouma, et qui tombe par petits ruisseaux, découvrant la peau luisante. le désir monte en moi avec violence, brûle comme le soleil sur ma peau. quand je pose mes lèvres sur la peau d'ouma, elle tressaille, mais elle ne s'écarte pas. ses longs bras noués autour de ses jambes, elle s'appuie sa tête sur ses genoux, elle regarde ailleurs. mes lèvres descendent le long de sa nuque, sur sa peau douce et brillante où glisse le sable en pluie d'argent.» (c.o p. 230)

alexis est en elle. ouma l'enveloppe. ils se sont greffés l'un à l'autre. ils sont un comme «le grand arbre chalta». leurs corps abandonnées aux mouvances impératives et majestueuses, aux rythmes synchrones et harmonieux d'une houle lente et profonde. la houle se fait flot de lave, battant leurs corps en ressac, les envahissant. ils cessent leur mouvement. il contemple son corps de femme, son corps mince dont il ne se lasse pas, son corps intarissable qu'il n'en finit pas de découvrir, son corps flamme, son corps félin. a travers l'ambre chatoyant de ses yeux, il voyage en elle infiniment. ce bonheur sensuel est un bonheur portant plutôt qu'un bonheur emportant, un bonheur soleil et non l'éclair, le dialogue et non le soliloque. c'est un bonheur libre et libéré des interdits sociaux car lorsque l'esprit est obnubilé par les règles sociales, il scotomise les autres sensations. ici, la conscience est libre, disponible et le temps n'est pas compté.

le vertige du plaisir aigu, l'ivresse des sensations fortes et les délices d'une volupté sans violence sont une expérience inouïe: la réalisation d'un bonheur dans l'unité émotionnelle. alexis, le chercheur d'or, se rend compte progressivement que son véritable trésor est l'amour qu'il ressent pour ouma:

«si ouma est ici quelque part, je la retrouverai. j'ai besoin d'elle, c'est elle qui détient les clefs du chercheur d'or.» (c.o p. 327)

dans l'univers leclézien, être ensemble dans le plus grand des plaisirs et dans la plus grande des paix est un bonheur sans pareil. ce bonheur sensuel transcende le moi et grandit les êtres. tout le reste n'est que verbiage pédant, désormais «plus rien n'a d'importance». (c o p. 223)

conclusion

le bonheur comme état de plénitude lié à la satisfaction complète des besoins et des désirs est un idéal pour un être fini comme alexis, particulièrement soumis à ses besoins. il consiste dans l'amour de la nature, de la solitude, dans l'amour. tendre à devenir heureux, à en devenir digne. c'est bien là l'enjeu profond de cette aventure; c'est vers cette voie, et vers celle, sous-jacente, de l'humanisme, que s'adresse le chercheur d'or même si le clézio reconnaît que l'homme est perpétuellement menacé par la nécessité de l'ordre du monde dans lequel il vit (une maladie, un cyclone, la mort,...) et par le hasard de rencontres entre des séries causales qui échappent à ses efforts de prévisions et à sa volonté. tout bonheur exposé aux revers de fortune n'est pas un véritable bonheur. un bonheur présent qui n'est pas assuré du lendemain ne possède pas de stabilité, il n'est donc pas bonheur véritable.

ce que je pourrais avoir, entre autres le trésor du corsaire, suffit-il à faire mon bonheur? voici dans quoi s'épuise le temps de toute l'existence d'alexis: le faire tandis que le souvenir nostalgique d'une enfance heureuse illumine son existence, enfance perdue où le bonheur se vivait sans être reconnu. le chercheur d'or a le souci de la durée, et il se condamne à construire un bonheur qui ne sera réel que quand il mettra la main sur l'or du corsaire. d'où le paradoxe du concept bonheur mis en évidence par le clézio: ou bien faire comme alexis, considérer le bonheur comme un état provisoire en instance de confirmation, ou bien pour être heureux dans le maintenant, voler des fragments de bonheur au temps.

même si les instants de bonheur sont brefs et fugaces, la célébration de ces mêmes instants éclate chez le clézio fastueuse et musicale. l'harmonie de la maison familiale, des éléments de la nature et des lignes féminines d'ouma agacent le souvenir, tandis que la conscience s'enivre d'infini sur les ailes du rêve et du souvenir. le bonheur, il faut l'accueillir quand il vient, le laisser repartir quand il s'en va. impossible de le posséder. ce qui est passé est bien mort avant que l'écriture ne le sauve en quelque sorte. les instants de bonheur se déroulent souvent dans l'ignorance d'eux-mêmes : on s'aperçoit, après, que l'on a été heureux. c'est bien là le sens profond de la phrase de jacques prévert : ' j'ai reconnu mon bonheur au bruit qu'il a fait en partant.' avec le clézio, être heureux, c'est choisir l'espérance, c'est-à-dire le futur qui bénit le présent.

par a.bouachma@laposte.net

1 expression que j'ai empruntée à l'incipit de l'antéchrist de nietzsche, ed. flammarion, 1996, p. 45.

2 j.m g le clézio, l'extase matérielle, essai, ed du rocher, p.258

3 toutes les citations de le chercheur d'or de j.m.g le clézio son tirées de l'édition gallimard 1985. j'utiliserai l'abréviation c.o

4 j.m.g le clézio, l'extase matérielle, essai, ed du rocher, p.p 103-104




Pour citer cet article :
Auteur : Aziz Bouachma -   - Titre : Jean-Marie Gustave Le Clézio Le Chercheur or Des moments de bonheur plutôt que le bonheur,
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