Université Hassan II Mohammedia

Faculté des lettres et sciences humains Ben M'sik

Département des études françaises

Master littératures et cultures francophones et comparées

Semestre 4

Année universitaire: 2012/2013

Compte rendu: Correspondance ouverte

Ghita EL KHAYAT Abdelkébir KHATIBI

Encadré par: Mme BENNANI

Préparé par: AMAAYACH Siham

EL JAMRI Fatima Zahra


Introduction:

L'écrivain produit toujours le même livre mais chaque oeuvre reste ouverte sur ses propres promesses. Dans ce sens, ramener Correspondance ouverte à son unité de sens, à ses constances, n'est pas une entreprise facile.

A partir des lettres échangées nous pouvons déduire plusieurs remarques: la première est liée à l'usage multiple des registres littéraires; la seconde est attachée à une pensée dialogique, une esthétique du divers voire un usage personnel du monde.

Il est question dans ce travail de l'association de l'intelligible et du sensible car la correspondance est l'ensemble des rapports qui existent entre les sensations éprouvées dans le monde réel et l'interprétation des sentiments.

A cet égard, Abdelkébir Khatibi et Ghita El Khayat ont oeuvré pour nous dessiner par le biais de la lettre un art de vivre. Ce dernier est nourri par le concours de paradigmes différents.

Le temps échappe de sa diachronie pour s'attacher à l'écriture. Ce temps est orienté par une vision spirituelle qui s'éloigne de toute classification. Il est utilisé pour vaincre la mort. Certes, cette dernière est le synonyme de la finitude mais l'écriture ressuscite les êtres perdus.

L'immortalisation est le corollaire d'une culture encyclopédique qui puise ses ressources dans la mythologie, la poésie, les romans, les essais, la calligraphie, la philosophie et la psychanalyse.

Ces domaines et autres jalonnent la correspondance de nos deux épistoliers. Ils la rendent fertile, enrichissante voire envoûtante car elle est régie par le fil magique de l'Aimance. Cette dernière constitue une forme d'amour, d'attirance, d'affinité et d'intelligence.

Par le truchement de ce concept «l'Aimance», la lettre pourrait être déchiffrée avant même d'être lue car la synergie des épistoliers touche à son paroxysme. Toutes ces notions à savoir le temps, la mort, l'écriture, la culture, la correspondance et l'Aimance mettent en jeu l'originalité de la Correspondance sans l'enfermer dans une case, dans un mode ou dans un code.

1. Le genre épistolaire:

Le genre épistolaire traverse le temps, il est la pratique d'écriture la plus utilisée et la plus universelle. Les diverses lettres peuvent avoir pour sujet un événement réel de la vie ordinaire. Il y a des lettres de compliments, de félicitations, de consolations, de condoléances, d'excuses, de justifications, de demandes, de réclamations, de remerciements, d'offres, de refus, de conseils, de reproches, de plaintes, d'autres de simple politesse, d'envoi, d'invitation… quelque soit le sujet, la lettre est une conversation écrite.

L'adjectif épistolaire provient du latin «epistula» qui signifie «lettre», «un signe graphique qui, employé seul ou un groupe de phonèmes», «écrit que l'on adresse à quelqu'un pour lui communiquer quelque chose, épître, message, missive, billet, mot, pop, fouille». La lettre telle qu'elle nous intéresse, est un échange, un mode de correspondance. Elle implique un expéditeur, un destinataire et un message.

Le contenu de la lettre, le message, se présente comme un monologue de l'expéditeur, qui assume un dialogue fictif ou différé avec le destinataire. La lettre obéit à des codes sociaux, ceux de la politesse. Elle contient des indications sur la date de l'écriture, le nom du destinateur, une formule d'introduction qui parfois annonce la nature du message et du destinataire, une formule de conclusion, formule d'adresse et formule finale de politesse.

En ce qui concerne le style, elle est écrite à la première personne, ce qui met son auteur dans un état de confidence. Elle nous informe sur les auteurs, leurs intentions…, elle permet également de se mettre derrière un masque. La lettre instaure un rapport particulier entre destinateur et destinataire. Elle permet aussi une communication à distance. Elle peut avoir plusieurs fonctions; informer, rendre compte d'un événement, exprimer une émotion, faire une confidence, débattre des questions intellectuelles, polémiquer.

 Le genre épistolaire à travers les siècles:

En Grèce dès le IVe siècle, la lettre avait la fonction de véhiculer des idées politiques /philosophiques, la forme écrite s'inscrit dans les règles de l'art oratoire enseigné. Elle doit sa naissance à l'art du dialogue.

Durant l'Antiquité, plusieurs écrivains ont opté pour la forme épistolaire dans l'espoir de mettre en pratique une écriture mesurée (Cicéron fonde l'atticisme), ou considérer la lettre comme un jeu de miroir entre destinateur et destinataire (Sénèque, lettre à Lucilius), il s'agit d'une exhortation, de transformation d'un événement en expérience profitable. Pour Philippe Lejeune, l'écriture de la lettre devient spirituelle, marquée par un savoir-vivre.

Durant le Moyen Age, la lettre devient une oeuvre littéraire, élément du discours amoureux dans une opposition duelle originale, la correspondance de Tristan et Iseut fonde le mythe de la passion amoureuse sur le plan romanesque, celle d'Abélard et Héloïse propose les éléments fondamentaux de la lettre d'amour en tant que transgression sociale.

Avec le XVIIe siècle, la littérature épistolaire a connu son essor, plusieurs oeuvres ont paru:

Les lettres portugaises, cinq lettres d'amour d'une religieuse portugaise, une monophonie amoureuse qui met en place une topique de l'amour.

Les Provinciales: écrites pour dénoncer les doctrines jésuites qui s'opposent aux théories de Jansénius, cette correspondance met en place une esthétique du naturel, de la juste mesure, de l'accord entre la pensée et la parole.

Les lettres de Mme Sévigné sont une alliance de deux registres; écriture spirituelle et écriture familière, style qui varie entre impatience et politesse.

Le XVIIIe siècle a connu l'apogée de l'art de la lettre, c'est son moment privilégié. Le genre épistolaire est devenu une forme d'expression, d'une pensée engagée, une arme de combat et de dialogue entre les masques d'un pouvoir autocratique et les interrogations indociles, en l'occurrence, Lettres sur les aveugles (Diderot), Les lettres persanes (Montesquieu), et Les liaisons dangereuses (Choderlos de Laclos) présentent une correspondance aux fils multiples et complexes. Elle s'appuie sur un désir de réalisme en se donnant pour authentique.

Le XIXe siècle a connu le déclin du roman épistolaire, Mémoires de deux jeunes mariés de Balzac est un des derniers du genre. La lettre dans le roman est une écriture romanesque, une expression de vérité et de réalité qui a laissé la place à l'introspection et au monologue intérieur.



2. Biographie et bibliographie d'Abdelkébir Khatibi:


Abdelkébir Khatibi est néà El Jadida le 11 février1938 est décédéle 16 mars 2009à Rabat.Il a grandi dans un quartier populaire proche de la mer. Enfance qu'il célébrera plus tard en construisant son récitAmour Bilinguecomme une métaphore océanique. Après le décès de son père, théologien et négociant, il devient élève interne au Collège Sidi Mohammed à Marrakech, entre 1950 et 1957. Il écrit ses premiers poèmes à douze ans, en arabe, ensuite en français qui demeurera sa langue d'écriture. Il publie ses premiers poèmes dans le journalMaroc-Presse, édité à Casablanca. Après une année propédeutique au Lycée Lyautey de Casablanca, il entreprend des études supérieures en sociologie à la Sorbonneet soutient sa thèse en 1965, la première thèse sur le roman maghrébin.

De retour au Maroc, il mène une intense activité: chercheur, écrivain, enseignant, intellectuel engagé dans la politique, le Syndicat de l'enseignement supérieur dont il est un des fondateurs. Il fait paraître en 1971 son premier roman,La Mémoire tatouée, récit autobiographique qui inaugure une série de livres et d'études dans trois domaines: la littérature proprement dite, la recherche en sciences sociales et la critique d'art. Il encourage largement l'émergence de plusieurs jeunes écrivains marocains. En 1979, il arrête d'enseigner pour se consacrer à la recherche et à l'écriture: J'ai arrêté d'enseigner pour me laisser enseigner par la vie. Il occupe alors le poste de directeur de l'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique de Rabat de 1994 à 2003.

Ses oeuvres sont traduites en plusieurs langues et font l'objet de thèses universitaires, d'ouvrages et d'articles publiés dans des revues spécialisées et dans les actes de rencontres scientifiques nationales et internationales. Couronné par de multiples récompenses dont le Grand Prix de l'Académie française (1994), le Grand Prix du Maroc (1998), le Prix de l'Afrique méditerranéenne/Maghreb (2003), et le Prix de la Société des Gens de Lettres (2008).

Bibliographie:

- Le scribe et son ombre, Paris, Éditions de La Différence, 2008.

- oeuvres de Abdelkébir Khatibi, Tome I: Romans et récits, Tome II: Poésie de l'Aimance, Tome III: Essais, Paris, Editions de La Différence, 2008, Grand Prix de poésie de la Société des gens de lettres pour l'ensemble de son oeuvre,

- Quatuor poétique,(Goethe, Rilke, Ekelöf, Lundkvist), essai, Paris, Al Manar, 2006.

- Féerie d'un mutant, récit, Le Serpent à plumes, 2005.

- Correspondance ouverte, avec G. EL Khayat, Rabat, Marsam, 2004.

- Aimance, poésie, Paris, AL Manar, 2004.

- Pèlerinage d'un artiste amoureux, roman, Paris, Éditions du Rocher, 2003; en poche: Le Serpent à plumes, coll. Motifs, 2006.

- Féerie et dissidence, collectif, Rabat, Institut Univ. de recherche scientifique, 2003.

- Le Corps oriental, essai, Paris, Hazan, 2002.

- L'Art contemporain arabe, essai, Paris, Al Manar, 2001.

- Voeu de silence, essai, Paris, Al Manar, 2000.

- La Langue de l'autre, essai, New York, Les Mains secrètes, 1999.

- L'Alternance et les partis politiques, essai, Casablanca, Eddif, 1999.

- Civilisation marocaine, sous la direction de M. sijelmassi, essai, Arles, Actes Sud, et Casablanca, Editions Oum, 1996.

- Du signe à l'image, avec Ali Amahan, livre d'art sur le tapis marocain, Casablanca/Milan, Lak International, 1995.

- L'Art calligraphique de l'islam, avec M. Sijelmassi, essai, Paris, Gallimard, 1994.

- Triptyque de Rabat, roman, Paris, Noël Blandin, 1994.

- Penser le Maghreb, essai, Rabat, SMER, 1993.









3. Biographie et bibliographie de GHITA EL KHAYAT:

GHITA EL KHAYAT, docteur en Médecine, elle est devenue médecin psychiatre et détient deux autres spécialités en médecine (médecine du travail et d'Ergonomie) ainsi qu'un Doctorat d´anthropologie du monde arabe, (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, (EHESS/Paris) avant de retourner vivre au Maroc où elle est née, à ses premières passions (latin, littérature, philosophie, dessin et peinture) et à Casablanca pour exercer et écrire.

Elle est aussi journaliste et l'auteur de nombreux articles et livres sur la condition féminine dans le monde arabo-islamique. Elle se consacre aujourd'hui à l'exercice de la Psychiatrie et de la Psychanalyse, à la critique d'art, à la fiction et à la poésie, tout en enseignant à l'Université de Chieti, en Italie, l'Anthropologie de la Connaissance (Département de Philosophie).Elle a publié à ce jour 28 livres, a écrit dans une vingtaine d'ouvrages collectifs, est l'auteur de plus de cent cinquante articles scientifiques (Médecine, Psychiatrie, psychanalyse, anthropologie, art, réflexion, etc.)

Bibliographie:

- Correspondance ouverte avec Abdelkébir Khatibi, Rabat, Marsam, 2005

- L'oeil du paon, Casablanca, Ed. Aïni Bennaï, 2003, Poésie.

- La Femme artiste dans le monde arabe, Paris, Editions De Broca, 2011, Essai.

- La Folie El Hank, Mohammedia, EDDIF, 2000, Album.

- La Liaison (Réédition), Casablanca, Ed. Aïni Bennaï, 2002, Roman.

- La Nonagénaire, ses chèvres et l'îlot de Leila, Casablanca, Editions Aïni Bennaï, 2006, Nouvelles et textes courts.

- Le Désenfantement, Casablanca, Ed. Aïni Bennaï, 2002, Récit.

- Le Livre des Prénoms du Maghreb et du Moyen-Orient. (Réédition), Casablanca, Editions Aïni Bennaï, 2004, Essai.

- Le Maghreb des femmes. Les femmes dans l'UMA, Mohammedia, EDDIF, 1992, Essai.

- Le Monde arabe au féminin, Paris, L'Harmattan, 1985, Essai.

- Le Monde arabe au féminin, Paris, L'Harmattan, 2000, Essai.

- Le Sein, Casablanca, Ed. Aïni Bennaï, 2002, Nouvelles et textes courts.

- Le somptueux Maroc des femmes, MANTEL, Jean-Gaston (Ill), Salé, Ed. Dédico, 1994, Essai.

- Les Arabes riches de Marbella, Casablanca, Editions Aïni Bennaï, 2004, Roman.

- Les Bonnes de Paris. Essai sur l'émigration des femmes maghrébines, Paris, Rive neuve éditions, 2008, Essai.

- Les Femmes arabes, Casablanca, Editions Aïni Bennaï, 2003, Essai.

- Les Portes du succès, Rabat, Marsam, 2008, Essai.

- Les sept Jardins, Paris, L'Harmattan, 1995, Nouvelles et textes courts.

- Métissages culturels, Casablanca, Editions Aïni Bennaï, 2003, Essai.

- Psychiatrie, culture et politique, Casablanca, Editions Aïni Bennaï, 2005, Essai.

- Questions arabes, Réflexions à Beyrouth, Casablanca, Editions Aïni Bennaï, 2005, Essai.

- Une Psychiatrie moderne pour le Maghreb, Paris, L'Harmattan, 1994, Essai.

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Parmi ses articles:


- L'oeuvre du sang, Le Maroc en mouvement Créations contemporaines, Paris/Casablanca, Maison neuve et La rose / Malika Editions, 2000, p 94-96.

-J'adore Casablanca la nuit, Libération, 28 septembre, 2012, p 22.

- Entretien avec Ghita El Khayat, psychiatre, psychanalyste, écrivain de langue française, marocaine, La Revue française (Afrique du Sud), n°8, Octobre, 1999


4 . Résumé de l'oeuvre:


Correspondance ouverte est une oeuvre qui s'inscrit dans le genre épistolaire. La lettre est le biais de cette communication différée. Comme l'indique le titre, l'oeuvre est une ouverture sur le lectorat des deux interlocuteurs qui se dévoilent en exprimant leurs vécus, leurs pensées, et leurs réflexions à propos de l'art, des mutations politiques et sociales au Maroc.

Cette Correspondance Ouverte est l'ouvrage épistolaire des écrivains Abdelkébir Khatibi et Ghita El Khayat. Cette dernière est écrivain, psychiatre, psychanalyste, Abdelkébir Khatibi est lui, chercheur, poète, sociologue et animateur de nombreux séminaires pluridisciplinaires dont les travaux apportent toujours un plus à la réflexion et à la recherche .Il est, aussi, producteur de concepts, comme l'ont fait quelques grands philosophes. La notion qui traverse la Correspondance ouverte est “l'Aimance.

L'ouvrage est écrit entre 1995 et octobre 1999 sous forme d'une série de lettres, présente un échange particulier assez singulier entre les deux intellectuels.

Cet échange, comprenant 59 lettres est le premier du genre publié dans le monde arabe. Il évoque plusieurs questions concernant la vie intellectuelle et quotidienne ainsi que les sentiments d'amour et d'amitié.

Paru aux éditions ''Marsam'', ce corpus de 140 pages relate un dialogue à la lumière des mutations que connaît le pays au niveau des textes de la législation et de la culture. Les lettres traitent des thèmes variés comme la littérature, l'éducation, la situation de la femme, la vie, la mort, l'écriture, la mémoire et l'oubli. L'ensemble de ces thèmes est traversé par le fil magique de l'Aimance qui selon Khatibi est « cette langue d'amour qui affirme une affinité plus active entre les êtres… un lien de passage et de tolérance, un savoir vivre ensemble. »

L'originalité de ce livre, réside dans l'innovation et la création d'un code de la famille qui nécessite une langue et un dialogue nouveaux entre les deux piliers de la société à savoir l'homme et la femme.

Ainsi, Correspondance ouverte, est un échange singulier entre deux épistoliers appartenant à une société de culture arabe et musulmane, motivés par l'aimance. Il s'agit d'une oeuvre préméditée qui brise le stéréotype traditionnel de la relation homme/femme fondée sur le charnel et baignée dans la société patriarcale.

En somme, l'oeuvre est un pari soulevé pour transporter l'âme vers le sublime de la connaissance en mobilisant le langage et l'esprit. Donc, Correspondance ouverte est adressée à tout un chacun, pour bousculer comme disait Nietzsche ce silence qui gâte l'estomac.














5. Les thèmes:


La correspondance

La correspondance est un dialogue, un dialogue différé, un échange communicationnel caractérisé par l'absence de l'interlocuteur. Elle exhibe la situation de sa propre énonciation, par le moyen d'une référence explicite à la personne au temps et au lieu. Elle est une forme de discours où la subjectivité est fortement marquée, le destinateur et le destinataire sont présents.

Dans Correspondance ouverte, la lettre est la forme d'écriture choisie pour établir le contact entre deux intellectuels. Elle se présente comme une lutte contre la séparation spatiale des êtres. Pour Khatibi et El Khayat, ce projet d'écriture est une occasion pour renouer avec le style épistolaire, une habitude désuète qui a tant marqué la littérature d'antan.

« Exercice périlleux et à nul autre comparable car il peut devenir définitif comme un besoin d'un autre, là-bas, qui correspond à quelque chose de si privé et de si commun en l'un. C'est un exercice maintenant dépravé par le téléphone et Internet. Le temps est révolu de Mme De sévigné, des « Lettres à Félice » de Kafka, de la correspondance entre Lou Andréas Salomé et Sigmund Freud, autre partie ineffable de leur création. C'est aussi un genre littéraire en désuétude, le monument restant « Les liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos »1

Pour Khatibi, son engouement pour le dialogue est tant révélé, puisqu'il avait une expérience épistolaire antérieure avec Jacques Hassoun, un psychanalyste juif d'origine égyptienne, ayant comme titre Le même livre paru en 1985.

Le dialogue est ainsi, un dispositif pour le partage et l'échange. Ce dernier met en exergue la pensée et l'art de vivre de chaque écrivain, c'est un lieu de rencontre, de jonction, de fusion.

« Est-ce que ce projet épistolaire […] est plus qu'un simple exorcisme ? Serait-il un cheminement ? Mais lequel ? Comme toi, je le pense comme un pari. Un beau pari. »2

En ce qui concerne Al Khayat, l'expérience est séduisante, vu sa singularité, elle devient une habitude qui peut avoir l'aspect spirituel, où l'âme de chaque interlocuteur transcende son espace matériel pour aboutir à une sphère où le langage des esprits est privilégié.

« J'adore ce papier grenu et épais sur lequel je te grave ces quelques mots, ces presque phrases, ce phrasé décousu qui peut s'emballer et aboutir à ce que je ne sais encor ! » 3

L'efficacité de cette communication ne peut être garantie car le différé risque d'anéantir cette correspondance. Malgré la distance, la communication est établie. Les lettres maintiennent le contact, elles ont le rôle d'une corde ombilical qui permet de nourrir l'âme. Ces pérégrinations culturelles placent le lecteur dans un univers supérieur de la pensée.

Les lettres de Khatibi et Al Khayat, dépassent le projet de l'écriture, il s'agit d'une ouverture sur l'autre, un dévoilement et aussi un partage.

« L'écriture n'est-elle pas l'affinité active de cette correspondance ! Son centre de gravité ! Parler à l'autre est une merveille quand on le rejoint dans son silence et sa solitude. »4

La correspondance est aussi une lutte contre l'oubli, c'est une forme de restitution de la mémoire, il s'agit d'une mémoire additive qui s'inscrit dans un cadre temporel marqué par la désuétude et par « l'oubliance ».

« La correspondance, la nôtre bien sûr, s'arrache aux puissances envoûtantes du silence pour vivre de sa propre énergie. J'imagine que la correspondance, à un certain moment […]. C'est un phénomène assez étrange d'écrire à l'autre dans le pacte d'une absence. Un pacte secret, et dont les lettres qui sont des clefs chiffrés, en retiennent la trace et le souvenir d'un rythme. » 5

Dans la correspondance, l'aimance traverse toutes les lettres. Le Moi de chaque destinateur est identifié à l'autre pour communiquer plusieurs aspects de la vie préoccupations, angoisses, inhibitions, lectures, convictions et réflexions sur le temps.

« Ce n'est point un roman de vie que je te raconte ici, mais manière de sentir le temps. Cette correspondance est fille du temps et du contretemps, elle est presque autonome tant elle revient le retour d'un rite. Ritualiser permet de fixer des repères, des traces, des randonnées sur les plages du grand imaginaire. » 6

En somme, il s'agit d'un échange qui s'inscrit dans le temps pour résister à toutes les formes d'oubli, thème, majeur tant évoqué dans l'oeuvre. Pour Khatibi et Al Khayat, la correspondance possède un pouvoir purificateur.


L'Aimance:


L'Aimanceest un concept qui caractérise les relations affectives interpersonnelles. Abdelkébir Khatibi la définit comme suit:

«J'appelle aimance cette autre langue d'amour qui affirme une affinité plus active entre les êtres, qui puisse donner forme à leur désir et à leur affection mutuelle, en son inachèvement même. Je pense qu'une telle affinité peut libérer entre les aimants un certain espace inhibé de leur jouissance. En cela, elle réclame le droit à l'art et à la pensée dans l'univers si complexe et si paradoxal des sentiments. C'est donc un art de vie, telle qu'elle est et telle qu'elle advient… Encore faut-il pouvoir penser ce lieu où la jouissance nous fait le don d'un nouvel idiome. L'aimance ne se substitue pas à l'amour en tant que mot et fragment du réel, elle le prolonge, si bien qu'elle est à la pointe de ses apories, qui sont souvent incarnées dans la passion et sa mythologie.»

Dans cette optique, Abdelkébir Khatibi et Ghita El Khayat tissent à travers Correspondance ouverte une toile dont l'arrière-plan est l'Aimance. Dans chaque lettre, le lecteur est affronté à l'une des incarnations de ce concept.

En effet, l'Aimance appartient à la tradition de la poésie courtoise qui a pour principe d'éviter ce qu'il y a de plus cru dans l'offrande et le recevoir. En outre, le concept a des résonances multiples. Dans Aimance, il existe des nuances de l'amour avec ses multiples diaprures qui prennent la forme des exemples suivants: aimer; amitié; émotions, passion de la lecture; de l'écriture; du voyage et de l'art. Ces différentes tonalités affirment que l'Aimance est la mise à distance absolue de l'inimité.

Le but majeur de cette variation des nuances est de prouver que la correspondance est le fruit de l'Aimance. Il faudrait se procurer le bonheur d'aimer en éradiquant tous les aspects de la« Désaimance» et en établissant un dialogue efficace avec autrui.

C'est ainsi que la notion de l'Aimance est évoquée en faisant appel à des sonorités avoisinantes comme oubliance; demeurance; désirance…Ces néologismes sont les ramifications de la langue d'amour qui s'active par la valeur de la tolérance.

En baignant dans l'Aimance les deux épistoliers se dressent des portraits, partagent des ambitions, des passions et des souvenirs. Cette synergie découle d'une pensée imprégnée par l'amour et l'égalité.

De cette manière, nous pouvons dire que l'Aimance pourrait se hisser au statut d'un mode de vie car il s'agit d'un hymne à l'amour exploré et chanté par Abdelkébir Khatibi et Ghita El Khayat en faveur de tous les êtres humains. Dans ce cas, l'Aimance, langage universel des âmes, transcende toutes les frontières pour créer le rapprochement voire l'unification entre toutes les unités du monde.

En guise de conclusion, la notion de l'Aimance a pris forme dans toute production artistique affectée par une certaine complaisance à la joie mélancolique et à l'amour impossible.

Elle renvoie aussi à la belle et subtile tradition de l'amour courtois. Il s'agit de l'inventer de nouveau, sous le signe de la création et de la tolérance, sollicitant écrivains, artistes, penseurs, à un savoir vivre ensemble international, tourné vers toute oeuvre de civilisation.

Le temps

Le temps est une notion relative à l'existence humaine, elle est présente chez les deux épistoliers à travers leur correspondance. C'est un concept présent dans les lettres, chaque interlocuteur expose sa vision et sa perception. Dans Correspondance ouverte, le temps diverge selon l'état du destinateur, d'un temps personnel à un temps irréversible, linéaire ou circulaire, figé ou mouvant les connotations sont multiples.

Pour Al Khayat, le temps est tributaire de la mouvance de sa vie, le premier lent concerne l'enfance et l'autre rapide relatif au temps de l'écriture. Cette situation controversée met l'écrivaine dans un embarras.

«Quant à moi, je vis deux phénomènes temporels ambigus et explicables l'un par l'autre. Le temps passait très lentement dans mon enfance et mon adolescence. Tandis qu'aujourd'hui je suis convaincue qu'une journée est un laps de temps sournois et sans consistance»7

Suite à la mort de sa fille, le temps devient figé, discontinu, lié au deuil, à la souffrance et au néant. La disparition de sa fille est vécue telle une destruction, son Moi anéanti s'enlise dans une introspection, une réflexion sur la vie et la mort, la mémoire et l'oubli. Sa vie devient un rituel monotone dont le goût est ôté. Elle est dans un temps linéaire, elle ne peut effectuer un retour en arrière que par ses réminiscences. Le temps se procure un effet nostalgique.

«Ma douleur est mon lien le plus fort à ma fille et c'est ce qui exprime le plus la vie qui lui reste. Si je m'apaise, elle mourra vraiment. Tout plutôt que cela. Je préfère alors anticiper le néant»8

L'écrivaine s'inscrit dans une lignée de désespoir, de renoncement à toute jouissance. La peur du temps devient une hantise, une entrave à la continuité du cycle de vie.

«Le Temps, éclaté et disparu, comme tu en parles, serait alors plus accessible. On en retiendrait quelques bribes plus sûres dans les mailles de ce silence-solitude, puis propices à admirer le Temps, à le courtiser, à le retenir, amant toujours infidèle»9

Le temps à vivre concerne uniquement son entité physique, alors que son âme demeure séquestrée dans le passé, une vie d'antan vouée à la maternité, à ce rôle sacré mais la perte est la cause de la discontinuité.

«L'année n'a pas tourné pour moi, elle s'est escamotée. Je suis dans la fusion nippone du temps et de l'espace, le Mâ! Avant la tranquillité de la mort qui annule le temps et détruit l'espace, je suis fantômatiquement existante» 10

Pour Khatibi, le temps prend une forme circulaire relative au cycle de la vie, événement et écoulement du temps sont liés. Le Temps est relié aux changements de la nature, à travers les saisons.

«En ces jours, le printemps hésite à revenir. On dirait que l'air danse et que la pluie participe au dévoilement de sa propre bénédiction. Elle donne sans mesure. Là reflète toute métaphore aquatique, ou océanique, qui tisse le corps à son abri poétique […] Mais de temps en temps, dans la respiration, le rythme, l'éclat ou le souvenir drapé sous son vaste manteau»11

La perception du temps chez Khatibi est motivée par un émerveillement du monde physique et perceptible. Son tempérament dépend du cycle de la nature, chaque saison a un impact particulier sur son âme. Les sentiments sont assujettis aux métamorphoses de la nature.

«Le printemps est ici éclatant. Les arbres fleurissent et défleurissent aussi rapidement que la vitesse du temps américain, un temps technique, professionnalisé, consommable selon l'offre et la demande du marché»12

Les lettres contiennent les méditations de Khatibi sur le temps, pour lui c'est une continuité et discontinuité puisque la vie est marquée par des ruptures multiples.

«Un livre ne finit pas, ni une lettre, il y a seulement des interruptions. La vie n'est faite que de ça, des interruptions en plusieurs séries»13

A la lumière de ses réflexions, Khatibi occulte une angoisse de l'écoulement du temps, son inquiétude envers l'âge, le vieillissement et la désuétude.

«Quand la fin de l'année est toute proche, on entre dans la pensée rêveuse du temps. Je m'arrête, nous nous arrêtons souvent sur ce tournant, ce passage, cette frontière où il faut dire sans doute adieu»14

L'écriture pour lui est une forme de résistance contre la puissance du temps, contre l'oubli. C'est une réincarnation de l'être qui ne sera jamais voué à l'oubli.

«Mais, comme bien d'autres, je cherche dans la nomination un certain rapport à l'indestructible de l'humain. Je te le demande: quel est cet indestructible? Nous nous écrivons des lettres, et c'est beau de le continuer en toute liberté: ces lettres sont déjà des traces qui font retour, tissent un lien affectueux entre nous. Elles construisent une image de la vie, étant elles-mêmes rythme et modulation. Rappelle-toi le mot Aimance […] cette alliance avec l'avancée du temps dans notre corps le plus sensible.»15

Ainsi, le temps représente un constituant de cette correspondance, les épistoliers détaillent leur vision à propos de cette notion. Leurs écrits est une revanche contre sa puissance.


La mort:


Lorsque nous parlons de la vie, nous entendons un processus de continuité. Vivre est un processus de continuité, conscient mais aussi inconscient, avec ses luttes, querelles, incidents, expériences, etc. Tout cela est ce que nous appelons la vie et nous pensons à la mort comme à son opposé.

A ce propos, le thème de la mort dans Correspondance ouverte est présent suite au décès de la fille de Ghita El Khayat. A partir de la lettre 23 un climat lugubre plane sur les lettres échangées. Le 15 février 1997, l'auteur perd dans de tragiques circonstances sa fille Aini. Cette perte ouvre des plaies dans l'âme de la mère. Cette dernière considère la douleur comme un lien sacré qui facilite la communication avec la défunte. Elle refuse toute sorte de thérapie car si elle s'apaise Aini mourra vraiment.

Ghita El Khayat se détache de la vie en renonçant à ses plaisirs et à ses désirs même la passion de la lecture devient pour elle un fardeau. Elle traine comme une épave humaine dont l'âme est meurtrie:

«Mais je n'arrive pas à écrire, ligotée autour de ma blessure. Imagine une biche ou une antilope lancée dans les forêts profondes ou la savane hostile et que le trait d'un chasseur aurait meurtrie sans la tuer… elle est tombée dans une course magnifique qui s'est arrêtée sur la souffrance et un liquide chaud qui coule.»16.

La seule réconciliation de la mère est d'être présente dans les endroits visités ou traversés par Aini. Pleurs, solitude, douleurs constituent le sort de la mère affligée qui est dépassée par le poids cruel de la mort:

«Elle est partie, sublime créature. Et je suis Quasimodo au dos cassé, à la voix blanche, aux mains décharnées, un monstre survivant à l'horreur»17.

La mort de la fille pèse sur la conscience de l'épistolière. Cette dernière est en train de subir une mort anticipée.

En effet, il s'agit de la mort d'un être cher, donc l'anéantissement de la mère n'est pas gratuit ou superficiel. Elle vit sa propre mort à travers la mort de sa fille:

«Mon astre est parti et mon monde est noir. J'occupe le noir. Je suis dans le trou noir»18.

D'après cette citation nous pouvons conclure que la mort d'un être cher ne nous laisse pas indifférents .Elle réagit sur notre conscience en prouvant que le processus de continuité, la vie, peut être entravé par le principe de la finitude.

Ainsi, la mère anéantie voit dans le temps un synonyme de la mort. Il s'agit d'un temps creux où les instants se ressemblent:

«Mes yeux battent une opacité qui se répète tous les jours, la même épaisse, glauque, infernale»19.

L'opacité est le corollaire de la souffrance. Cette dernière participe à l'uniformisation du temps car les déclencheurs de la joie se sont éclipsés avec la disparition de la fille.

En définitive, la correspondance prend l'aspect d'une thérapie contre la cruauté et la puissance de la mort. Cette thérapie n'est que l'une des multiples facettes de l'Aimance. Ce concept réanime les épistoliers tout en les armant pour mener avec succès une efficace échappatoire contre la cruauté de mort. Dans ce cas, la lettre est un gain sur la Mort.

L'écriture

L'écriture est un système de représentation graphique d'une langue, au moyen de signes inscrits ou dessinés sur un support qui permet l'échange d'informations sans le support de la voix.

Dans correspondance ouverte, l'écriture est polysémique, sa signification dépend de l'état d'âme du destinateur. Cette écriture est relative à la profession puisque nous avons affaire à deux écrivains reconnus, il s'agit d'un projet pour découvrir les secrets de la vie.

«Ce que l'écrivain, lui transmet, un rythme, le timbre d'une voix, le dessin d'un chemin, est si précieux que je suis souvent révolté par les préjugés de la société vis-à-vis de ces transmetteurs de vie matérielle et immatérielle. L'écrivain n'est ni une statue, ni un paria, mais un initiateur à l'art de vivre»20

L'écriture une oeuvre qui échappe au vieillissement, un antipode à l'oubli, permet l'inscription au rang de l'immortalité, les hommes sont mortels alors que les écrits sont une forme de résistance contre «l'oubliance».

«Comme Paris, l'oeuvre de Baudelaire n'a pas vieilli, elle a mûri avec ce siècle, toujours égale à elle-même, à sa musique polyphonique»21

Ainsi, l'écriture est la forme de la communication, qui transcende les frontières du présent, pour s'installer dans une autre sphère réservée aux immortels. C'est une lutte contre la mort et l'extinction.

Elle est, également, un miroir qui reflète l'état d'âme de nos épistoliers, les termes varient selon les dispositions de l'âme: une âme sereine ou rêveuse, ou une âme mutilée et souffrante. De cette manière le style peut être coloré de la joie de vivre ou de deuil.

«D'autant plus que l'écrit, la communication par l'écrit est redoutablement entamée par le silence, les puissances su silence. Le style module, ce rythme, se greffe sur le corps de la langue. […]Nous nous communiquons des fragments, des restes des bouts de vérité.» 22

Cela dit, l'écriture est un organe qui respire et bouge au fur et à mesure des événements de la vie: les ruptures et les deuils sont des passages uniques. L'écriture est donc une force libératrice des souffrances, frustrations et traumatismes. Ecrire peut être une respiration, une thérapie.

«Ma plume s'est arrêtée. L'écriture m'a abandonnée pendant un mois de calvaire et d'horreur. Cet état m'a révélé que l'Ecriture est la Vie et que la Vie s'écrivait. Je me reprends à écrire car la Vie s'en est revenue dans les yeux de ma fille.»23

Pour El Khayat, l'écriture a un effet de catharsis. Elle permet d'évacuer la souffrance et la douleur.

«Que t'écrire?

Rien que tu ne pressentes, que tu n'appréhendes.

J'ai besoin de t'écrire, et ne sais pourquoi, subitement et tant.

Elle est partie, sublime créature. Et je suis Quasimodo au dos cassé(…)»24


Après la crise vécue suite à la mort de sa fille, la mère est absorbée par son deuil profond, qui se reflète dans sa manière d'être, de vivre et même sur son style d'écriture. Ce n'est plus la femme d'esprit vivace et envoûtée par l'expérience épistolaire. Dès la lettre 23, l'être s'est métamorphosé pour laisser libre cours à des sentiments confus de désespoir, de déchéance et de déperdition. L'écriture est devenue un deuil, un acte nostalgique pour célébrer la disparue.

«Oui j'écris la nuit,«un fragment d'astre dans la main» pour reprendre ton expression. Je n'aime pas écrire. J'y suis poussée par une force irrépressible car elle permet de vider l'écluse du chagrin, quelques heures. Je n'écris plus pour les mêmes raisons et les mêmes buts.»25

«Ma plume est devenue fantasque depuis quelque temps et refuse d'obéir à ma pensée. J'aurais presque besoin que quelqu'un m'aide à «tenir» mon écriture car j'ai perdu mes yeux ainsi que l'on prendrait la main d'un aveugle pour le faire traverser»26

Pour Khatibi, l'écriture s'associe à un processus intellectuel, où la fonction de l'écrivain est de transporter la réalité, l'esquisser en vue d'éclaircir les facettes sous-jacentes de l'existence humaine.

«Tout écrire n'est pas possible/ tout écrire est possible. En cette frontière, se révèlent les puissances du silence, la violence, la passion, la rage, les moments d'apocalypse, éclairs d'éblouissements, la pensée qui revient à pas feutrés pour attendrir, arrondir, encadrer, mettre en forme tout ce qui vibre dans notre sensibilité, nos joies intimes.»27

La poésie est une forme d'écriture privilégiée, il ne cesse d'évoquer son pouvoir purificateur où la parole est rythmée au sens de la vie.

«Je pense que la poésie, celle qui donne forme et qui invente, est une transmutation de la langue ordinaire. Elle est déjà traduction. La poésie, la belle et grande poésie, se forme dans un chant intérieur: ton, rythme, musicalité des mots. Elle travaille avec les puissances du silence.»28

Néanmoins, la poésie pour El Khayat ressemble à une blessure où s'écoule ce liquide vénéneux de la souffrance.

«Mes poèmes sont les lits de sang dans lequel baignent mes déchirures. Leur explosion mal construite est leur lettre de noblesse»29

«J'écris, jusqu'à plus soif. J'écris par bouffées explosives. J'écris sans ordre. J'écris pour rien. J'écris pour ne pas aller dans les pas de Sadegh Hedayat et Stig Dagerman.»30

En guise de conclusion, l'écriture est la forme privilégiée de cette communication épistolaire. Elle varie selon l'écrivain. Dans les lettres, l'état d'âme du destinateur est projeté dans l'écriture. Il est le biais qui libère le ressenti et délivre les frustrations et les traumatismes.

Culture:

Dans un sens proche de civilisation, la culture présente l'ensemble des formes acquises de comportement qu'un groupe d'individus, unis par une tradition commune, transmettent à la génération suivante; cela comprend les traditions artistiques, scientifiques, religieuses, politiques et philosophiques d'une société ainsi que ses techniques, ses coutumes et usages. 31

C'est ainsi que, le savoir prend des diaprures variées. Les lettres échangées par Ghita El Khayat et Abdelkébir El Khatibi témoignent de cette diversité enrichissante en matière de la culture. La rencontre de la mythologie avec la calligraphie en passant par la philosophie n'est qu'un pèlerinage abrégé par la contrainte des occupations quotidiennes.

En effet, la mythologie est évoquée pour témoigner de la relation conflictuelle entre l'homme et la femme. Cette relation est ébranlée par la jalousie et la méfiance:

« Le soyeux du féminin, vase glauque qui transforme tous les partenaires en des Samson et des Dalida hagards, fous, aux yeux crevés par les hiboux de la jalousie, de la méfiance et du désamour.»32.

Afin d'apaiser ce conflit, l'art est un baume qui fait apprendre à l'être humain de se libérer de ses complexes voire de se purger pour savourer la liqueur de la vie:

«L'art est ici intraitable. Il nous donne un secret: mettre en forme nos noeuds de vie, nos émotions, nos passions. Je crois à l'art comme une fin en soi. Une fin infinie»33.

A ce propos, l'amour courtois est l'une des facettes de cet art salvateur. Ce genre d'amour comme il est déjà cité évite ce qu'il y'a de plus cru dans l'offrande et le recevoir. Il est le synonyme de la déférence, de la constance et du respect. Sa devise est de ne pas heurter les sentiments de l'autre, considéré, comme une âme et non pas un simple corps:

«Je me tourne vers Majnoun, vers Jamil et Kouthayyir et j'entends encore, venus portés par les vents chauds du désert, les messages brûlants d'amour pour Leyla, Bouthaina et Azza.»34.

Ainsi, la culture pourrait être liée aux livres. Ces derniers opèrent des transfigurations dans l'esprit de celui qui les vénère:

«Je suis saisie d'une série d'émotions en entrant dans n'importe quelle librairie: d'abord «j'aime» tout endroit où sont entreposés ou vendus les livres».35

Les livres par le truchement du processus de l'intertextualité sont un moyen qui permet aux cultures de dialoguer. Madame De Sévigné, Kafka et Freud ne sont que quelques jalons qui ont marqué le zèle créateur de nos deux épistoliers.

D'ailleurs, la création pléthorique d'Abdelkébir Khatibi et Ghita El Khayat est imprégnée par la contribution des maîtres comme Valéry:

«Je ne ferai pas l'éloge de Paris: lui-même le fait, depuis des siècles maintenant. C'est un phénomène unique en son genre, comme le dit Paul Valéry dans son magnifique texte sur Paris.»36.

En plus, cette influence est indélébilement marquée par l'oeuvre d'un autre maître qu'est Baudelaire:

«Comme Paris, l'oeuvre de Baudelaire n'a pas vieilli, elle a mûri avec ce siècle, toujours égale à elle-même, à sa musique polyphonique.»37.

De surcroît, cette culture s'ouvre sur d'autres sphères à savoir la calligraphie:

«En dehors de quelques artistes, dont Brion Gysen qui a habité à Tanger du temps de la mouvance beat generation, les peintres européens et américains font références à la calligraphie japonaise.»38.

Cette culture attise la sensibilité des épistoliers au point de les rendre sensibles aux différentes ondulations de l'art, qui à l'instar de chaque création, n'a pas de frontière.

En somme, nous pouvons dire que la mythologie, l'amour courtois, les livres, la correspondance, la peinture ou la musique ne sont que les composantes du mot Culture. Laquelle culture telle qu'elle est présentée par Abdelkébir Khatibi et Ghita El Khayat oeuvre pour nous inculquer une vision du monde, un art de vivre voire une forme d'Aimance. Cette dernière s'opérationnalise en sollicitant la contribution d'un goût raffiné, d'une affinité sensible et d'une intelligente poignante.

Conclusion

En guise de conclusion, Correspondance ouverte s'inscrit dans le cadre d'une écriture révélatrice où chaque destinateur se dévoile pour laisser transparaître son moi dans tous ses états.

La lecture de l'oeuvre est pareille à un voyage dans le monde de la pensée, un voyage qui outrepasse le concret pour s'installer dans l'abstrait. Les lettres dans Correspondance ouverte dessinent un panorama constitué de plusieurs pyramides où l'art, la littérature, la philosophie et les sciences sont la toile de fond. Les missives représentent des pérégrinations culturelles, une interaction singulière entre deux entités qui ont un poids dans le monde de la culture.

En outre, les lettres sont un miroir qui reflète l'état d'âme des épistoliers dans tous les moments de la vie, joie, mélancolie, désespoir, etc. Les mots entretiennent une relation avec l'âme. Ils prennent la couleur des émotions et expriment ce qui traverse les tréfonds.

Correspondance ouverte a un sujet initial, celui de l'Aimance, présent tout au long de l'oeuvre à travers ses imagesqui prennent les diaprures suivantes: amitié, beauté, art, tolérance et oubliance.

De surcroît, le temps traverse l'esprit des deux épistoliers. Les lettres sont une occasion pour lutter contre l'anéantissement et l'oubli. Elles militent en faveur de l'immortalité.

Ainsi, la visée des deux épistoliers est de manifester l'Aimance, vaincre le temps et encourager un échange purificateur, instructeur et salvateur.

1 Abdelkébir Khatibi Ghita El Khayat, Correspondance ouverte, Rabat, Marsam, p 34

2 Ibid, lettre 2, p 10

3 Ibid, lettre 9, p 32

4 Ibid, lettre 58, p 142

5 Ibid, lettre 22, p 62

6 Ibid, lettre 50, p 122

7 Ibid, lettre 59, p 143

8 Ibid, lettre 25, p 69

9 Ibid, lettre 17, p 51

10 Ibid, lettre 37, p 91

11 Ibid, lettre 6, p 23

12 Ibid, lettre 8 bis, p 31

13 Ibid,lettre 32, p 82

14 Ibid, lettre 36, p 89

15 Ibid, lettre 36, p 89

16 Ibid, lettre 17, p 51.

17 Ibid, lettre 23, p. 64.

18 Ibid, lettre 25, p. 67.

19 Ibid, lettre 23, p. 64.

20 Ibid, lettre 4, p 17

21 Ibid, lettre 6, p 21

22 Ibid, lettre 12, p 40

23 Ibid, lettre 15, p 46

24 Ibid, lettre 23, p 64

25 Ibid, lettre 33, p 83

26 Ibid, lettre 49, p 119

27 Ibid, lettre 4, p 16

28 Ibid, lettre 26, p 70

29 Ibid, lettre 39, p 96

30 Ibid, lettre 49, p 121

31 Henri. Benac, Guide des idées littéraires, p.125.

32 Abdelkébir Khatibi et Ghita El Khayat, op.cit., lettre 1, p 7.

33 ,Ibid, lettre 2, p. 9.

34 , Ibid,lettre 3, p. 13.

35 Ibid.,lettre 5, p. 18.

36 Ibid., lettre 6, p. 21.

37 Ibid., lettre 6, p. 21.

38 Ibid., lettre 6, p. 22.



Pour citer cet article :
Auteur : AMAAYACH SIHAM -   - Titre : Compte rendu Correspondance ouverte entre Ghita EL KHAYAT Abdelkébir KHATIBI,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/monographies/compte-rendu-correspondance-khatibi-ghita-khayat-amaayach-siham.php]
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