Royaume du Maroc Année universitaire 2010/11 Ministère de l'enseignement supérieur Université Hassan II-Mohammedia- Faculté de Droit

Code de la presse et Droit pénal

Cas du procès Rachid NINY



Sous l'encadrement de M. ZERHOUNI

Travail élaboré par: Bennaceur El MHAOURI


Introduction:

Les libertés publiques se définissent comme étant l'ensemble de droits dont jouissent les citoyens au sein de l'Etat de droit. La notion de liberté publique se réfère, en effet, à celle des droits de l'Homme. Mais contrairement à ces derniers qui relèvent du monde de la philosophie et indiquent ce qui devrait être, les libertés publiques appartiennent en propre à la sphère du Droit et à celle de l'Etat. D'où le caractère limitatif et parfois restrictif de ces libertés qui doivent être réglementées par la loi afin de ne pas tomber dans l'anarchie.

Le Code de la presse selon les dispositions du DAHIR N° 1-02-207 du 25 Rejeb 1423 ( 3 Octobre 2002 ) portant promulgation de la loi n°77-00 modifiant et complétant le Dahir n°1-58-378 du 3 Joumada I 1378 ( 15 Novembre 1958 ) formant code de la Presse et de l'Édition s'inscrit dans cette optique ayant pour vocation de réglementer le statut du journaliste professionnel. Le Code est érigé pour préserver les droits du journaliste et indiquer ses devoirs. Mais depuis l'avènement de la presse indépendante vers la fin des années 1990, bon nombre de journalistes ont été poursuivis pour délit de presse. Les plus fameux entre eux le procès contre Le Journal d'A. Jamai, et le procès de Demain d'Ali Lmrabet…etc. Le dernier en date est le procès intenté au directeur du Groupe Almassae. Ce procès coïncidant avec le nouveau vent qui souffle sur le pays après le 20 Février et surtout après le discours historique du Roi le 9 Mars, constitue un retour en arrière et une entrave pour l'avancée démocratique du Maroc. Pour plusieurs observateurs, ce procès est politique à plus d'un titre; le journaliste est poursuivi dans le cadre de la procédure pénale et non pas dans le cadre du Code de la presse. Aussi convient-il de voir comment le procès de NINY manque d'éléments de procès équitable constituant ainsi une régression dans le processus de démocratisation et de réforme de la justice.

Pour essayer d'apporter des éléments de réponse à cette problématique, on s'attardera d'abord sur le procès de NINY entre droit pénal et Code de la presse avant de voir ensuite que ledit procès constitue un recul dans la transition démocratique vers l'instauration de l'Etat de droit engendrant un mouvement de contestation et de soutien.
Plan de l'exposé:

I - Le procès de NINY entre droit pénal et code de la presse:

Chefs d'accusationet sanctions correspondantes selon le Code de la presse : Mépris de décisions de justice Dénonciation de crimes n'ayant pas eu lieu Outrage à un fonctionnaire Apologie et incitation au terrorisme Poursuite dans le cadre du droit pénal: Accusation relevant de la loi anti-terroriste Interdiction de sortie du territoire et accusation d'être une menace contre la sécurité de l'Etat et des citoyens Refus de d'accorder la poursuite en état de liberté Accusation de production de fausses preuves relatives à une infraction imaginaire selon (les articles 263, 264 et 266 du Code pénal)
II - Le procès politique, ou la régression de l'avancée démocratique engendrant un tolléde contestationset de soutiens
Entrave des réformes engagées par le Maroc et ternissement de l'image du pays Entrave des réformes constitutionnelles, politiques et judiciaires
b. Ternissement de l'image du pays à l'international 2.Un tollé de contestations de l'opinion publique soutenant le journaliste: a. Soutien de l'opinion publique nationale b. Soutien des journalistes étrangers

I -Le procès de NINY entre droit pénal et code de la presse: Les chefs d'accusation: Mépris de décisions de justice:

Interpellé le jeudi 28 avril par des éléments de la BNPJ, il a été placé en garde à vue avant d'être incarcéré à la prison d'Oukacha le 1er mai, sur ordre du Parquet. Niny estpoursuivid'abordpour avoir méprisé une décision de justice et avoir publié une fausse information. Les sanctions de ce délit sont prévues dans l'article 42 du Code de la presse qui dispose: La publication, la diffusion ou la reproduction, de mauvaise foi par quelque moyen que ce soit , notamment par les moyens prévus à l'article 38 , d'une nouvelle fausse, d'allégations, de faits inexacts, de pièces fabriquées ou falsifiées attribuées à des tiers, lorsqu'elle aura troublé l'ordre public ou a suscité la frayeur parmi la population est punie d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 1.200 à 100.000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement. Dénonciation de crimesn'ayant pas eulieu:

Il convient à ce propos de rappeler que les chefs d'accusations n'ont pas clairement été identifiés ni les personnes concernées nommément identifiées. Donc, pour cette accusation l'article 42 aussi pourrait être appliqué. Outrage à unfonctionnaire:

Dans la section 3 du chapitre IV du Code de la presse concernant les délits contre les personnes, l'article 44 stipule que: Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération des personnes ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Toute expression outrageante, terme de mépris portant atteinte à la dignité ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. Est punie, la publication directe ou par voie de reproduction de cette diffamation ou injure, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes de discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Apologie et incitation au terrorisme:

Coïncidant avec l'attentat de Marrakech du 28 Avril, l'arrestation de NINY a d'abord été entamée dans le cadre de la loi anti terroriste.il faut dire qu'il s'agit là d'une accusation très grave qui mène à un emprisonnement certain et une amende très élevée. Toutefois, l'article39 du Code de la presse dispose: Ceux qui, par l'un des moyens énoncés dans l'article précédent, auront directement provoqué soit au vol, soit aux crimes de meurtre, de pillage et d'incendie, soit à des destructions par substances explosives, soit à des crimes ou délits contre la sûreté extérieure de l'Etat. Seront punis, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, d'un à trois ans d'emprisonnement et de 5.000 à 100.000 dirhams d'amende. Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes contre la sûreté intérieure de l'Etat. Seront punis des mêmes peines ceux qui, par l'un des moyens énoncés par l'article 38, auront fait l'apologie des crimes de meurtre, de pillage ou d'incendie, ou de vol, ou d'un crime de destruction par substances explosives.
2. Poursuite dans le cadre du droit pénal: Accusation relevant de la loi anti-terroriste:
«Au début, les accusations relevaient de la loi antiterroriste, avant que nos sécuritaires n'optent pour le droit pénal, en prenant bien soin de diffuser leur communiqué avant même que l'enquête n'ait pris fin. C'est à se demander comment les responsables gèrent les crises et prennent des décisions!»S'indigne Youssef Jajili, rédacteur en chef du magazine Awal.
b. Interdiction de sortie du territoire et accusation d'être une menace contre la sécurité de l'Etat et des citoyens: Dans la foulée, un communiqué diffusé par la MAP va révéler que Niny est interdit de sortie du territoire. Argument, il constitue «une menace» pour «la sécurité de la nation et des citoyens».
c. Refus d'accorder la poursuite en état de liberté: Le Tribunal de première instance de Casablanca a refusé la requête de liberté provisoire déposée par la défense. «Cette affaire est très grave,» assure Mustapha Ramid, membre du comité de défense. Niny est poursuivi en vertu d'articles du Code pénal. C'est à se demander à quoi sert le Code de la presse dans ce cas. En plus, il présente toutes les garanties requises pour sa remise en liberté provisoire, mais le tribunal s'y oppose fermement. Accusation de production de fausses preuves relatives à une infraction imaginaire selon (les articles 263, 264 et 266 du Code pénal):
Art. 263

Est puni de l'emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 250 à 5.000 dirhams, quiconque, dans l'intention de porter atteinte à leur honneur, leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité, outrage dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de cet exercice, un magistrat, un fonctionnaire public, un commandant ou agent de la force publique, soit par paroles, gestes, menaces, envoi ou remise d'objet quelconque, soit par écrit ou dessin non rendus publics.

Lorsque l'outrage envers un ou plusieurs magistrats ou assesseurs-jurés est commis à l'audience d'une cour ou d'un tribunal, l'emprisonnement est d'un à deux ans.

Dans tous les cas, la juridiction de jugement peut, en outre, ordonner que sa décision soit affichée et publiée dans les conditions qu'elle détermine, aux frais du condamné, sans que ces frais puissent dépasser le maximum de l'amende prévue ci-dessus.

Art. 264

Est considéré comme outrage et puni comme tel, le fait par une personne de dénoncer aux autorités publiques une infraction qu'elle sait ne pas avoir existé ou de produire une fausse preuve relative à une infraction imaginaire, ou de déclarer devant l'autorité judiciaire être l'auteur d'une infraction qu'elle n'a ni commise, ni concouru à commettre.

Art. 266

Sont punis des peines édictées à l'alinéa 1 et 3 de l'article 263 :

1° Les actes, paroles ou écrits publics qui, tant qu'une affaire n'est pas irrévocablement jugée, ont pour objet de faire pression sur les décisions des magistrats;

2° Les actes, paroles ou écrits publics qui tendent à jeter un discrédit sur les décisions juridictionnelles et qui sont de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance.
II - Le procès politique, ou la régression de l'avancée démocratique engendrant un tollé de contestations et de soutien: 1. Entrave des réformes engagées par le Maroc et ternissement de l'image du pays
a. Entrave des réformes constitutionnelles, politiques et judiciaires: Pour bon nombre d'observateurs, le procès intenté à Niny est politique à maints égards. En effet, cette affaire d'opinion vise à arrêter l'élan de réformes engagées par le Maroc depuis l'accession au trône du Roi Mohamed VI et surtout après son discours historique du 9mars, dans lequel, le souverain a annoncé une révision profonde de la Constitution qui aboutirait à une réforme politique intéressante, mais surtout à LA REFORME de la justice, comme étant le grand chantier dans cette mouvance de réformes. Mais ce procès constituerait à coups sûr un recul, étant donné les circonstances dans lesquelles se déroule le procès. Ce qui a poussé d'aucuns à affirmer qu'il s'agit là d'un abus de pouvoir vu que le journaliste est poursuivi selon la procédure pénale comme s'il s'agissait d'un délinquant ou d'un criminel de droit commun.
b. Ternissement de l'image du pays à l'international: Le Maroc a entamé depuis la fin des années 1990 un processus de réformes relatives à l'instauration de l'Etat de droit qui consacre la garantie des libertés publiques y compris la liberté d'expression. Ce qui a permis à notre pays de soigner son image à l'échelon international. Mais un procès déroulé dans de telles circonstances est de nature à ternir cette image et nous faire revenir des années en arrière.
2. un tollé de contestations de l'opinion publique soutenant le journaliste: a. Soutien de l'opinion publique nationale:

A l'extérieur des tribunaux, la pression monte pour réclamer la libération du journaliste. D'abord au sein de la société civile, à commencer par le Mouvement du 20 février qui a organisé plusieurs sit-in devant le tribunal de première instance d'Aïn Sebaâ.

Le Syndicat national de la presse a également réclamé la libération de Niny. Dans plusieurs villes du royaume, plusieurs manifs et sit-in ont été organisés comme expression de solidarité spontanée des citoyens vis -à-d'un journaliste incarcéré pour avoir dénoncé la corruption et le déloyalisme de hauts responsables-selon des activistes de la société civile.


b. Soutien des journalistes étrangers

A l'échelle internationale, plusieurs instances journalistiques ont manifesté leur soutien à R. NINY et ont appelé à la libération immédiate du journaliste. Parmi ces instances: Reporters sans frontières qui considèrent que«« l'affaire va totalement à l'encontre des promesses formulées par le roi Mohammed VI dans son discours du 9 mars 2011 ». Une affaire qui s'inscrit plutôt à contre-courant de l'actualité qui semblait voir progresser le débat sur la liberté d'expression et le statut de la presse.


Il y a aussi, Commitee to protect journalists, Amnesty international, et Alliance for freedom and dignity.
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Conclusion:En guise de conclusion, plusieurs questions s'imposent; à qui profite le procès de NINY?à qui profite de faire reculer le pays et arrêter net le processus de réformes?à quoi sert un Code de la presse si les journalistes continuent à être poursuivis selon la procédure pénale? Devant ces questions restées sans réponses, il convient d'insister sur le fait que si une bonne législation est nécessaire pour un procès équitable, une magistrature indépendante, intègre et compétente est encore plus vitale à cet effet. Un travail militant pour instaurer une justice plus indépendante et compétente, est nécessaire surtout lorsqu'il s'agit d'affaires ayant des dimensions politiques, telles que la plupart des affaires de presse qu'à connu le Maroc. Ce disant, un tel combat est indissociable de celui qui doit être mené pour un Maroc démocratique qui assure à ses citoyens une participation effective dans la gestion des affaires publiques, et qui s'oppose à toute instrumentalisation de la justice ou des médias au profit du pouvoir politique ou du pouvoir de l'argent.car selon le proverbe anglais:

« Who sups with the Devil should have a long spoon.» Il faut une longue cuillère pour souper avec le diable… Rachid Niny aura sans doute le temps de méditer ce proverbe anglais avant de comparaître devant ses juges.

Bibliographie: Droit des libertés publiques, première édition, LAFROUJI Mohammed.

Cours d'introduction sur les libertés publiques,M.ZERHOUNI.

Webliographie: www.almasae-press.ma



Pour citer cet article :
Auteur : Bennaceur El MHAOURI -   - Titre : Code de la presse et Droit pénal Cas du procès Rachid NINY,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/monographies/code-presse-droit-penal-cas-Niny-elmhaouri.php]
publié : 2011-05-28

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