Nouvelles tendances de la nouvelle maghrébine de langue française au XXIème siècle.

par Mohammed YACOUBI.


Résumé.

La critique de la nouvelle maghrébine d'expression française au XXIème siècle est absente. Et vouloir établir la cartographie de ce genre littéraire devient chose hasardeuse par le manque d'une banque de données exhaustives qui pourraient nous aider à approcher ce type de récit. Au contraire de sa critique, la nouvelle en question est présente par la multiplicité des textes qui pérennisent l'écriture nouvelliste au Maghreb. C'est dans une continuité littéraire que la nouvelle du XXIème siècle s'ajoute à l'écriture nouvelliste maghrébine vingtièmiste et s'en démarque peu ou prou par des apports ressentis. De ce point de vue, nous parlerons de ses nouvelles tendances au tournant du XXIème siècle. Force est de remarquer que notre but n'est pas d'en dresser un panorama complet. Il s'agit en fait d'évoquer quelques éléments qui balisent cette écriture qui refuse d'être rivée sur le passé, un passé historiquement marqué et marquant.


The critique of the Maghreb short story written in French language in the 21st century is absent. And want to map this genre becomes risky thing by the lack of an exhaustive data bank that could help us to approach this type of story. In contrast to his criticism, the concerned short story is present in the multiplicity of texts that sustain the novelist writing in the Maghreb. It is in a literary continuity that the concerned short story adds a benefit to the short story writing vingtièmiste in the Maghreb and stands out of it more or less through out of experienced contributions. From this point of view, we will talk about its new trends at the turn of the twenty-first century. It is worth noting that our goal is not to provide an exhaustive overview. It is in fact to mention some elements that mark this writing that refuses to be riveted to the past, a past historically marked and marking.



INTRODUCTION.


En ce début du XXIème siècle, la littérature maghrébine de langue française va toujours crescendo. Les pratiques et les productions littéraires connaissent généralement un foisonnement remarquable. Certes la littérature en question est rendue célèbre par la pratique romanesque, mais force est de remarquer qu'elle n'est pas exclusivement romanesque si nous considérons les autres exercices littéraires en vigueur comme la nouvelle dont l'édition est aussi considérable. L'hégémonie romanesque au Maghreb est essentiellement le produit d'une contamination littéraire imposée par la tradition littéraire française qui marginalise la pratique de certains genres au détriment d'autres genres. C'est dans cet esprit que nous convoquons l'écriture nouvelliste jugée genre mineur et taxée de pendant du roman par les Français qui ne daignent pas théoriser cette forme narrative brève en lui réservant des recherches de natures différentes. Cette situation de dépendance pourrait être appliquée à la N.M.F., autrement dit la nouvelle maghrébine de langue française qui possède ses auteurs mais attend toujours ses défenseurs. Et même si elle est hautement marginalisée, elle continue sa marche première à proximité du roman qui lui fait toujours de l'ombre.

Par la pratique de cette forme brève, dont les œuvres sont désormais éditées au Maghreb comme en France, les auteurs maghrébins diversifient leurs moyens d'action littéraire. Le mariage de la nouvelle et du roman maghrébins est ressenti tout au long de l'évolution de la littérature évoquée. La N.M.F. est d'abord née comme le roman sous l'occupation française. Elle épaule en quelque sorte l'écriture romanesque de la première génération dont la tendance principale est la contestation. Mener ce combat n'est donc pas l'affaire exclusive de l'univers romanesque maghrébin. C'est aussi l'affaire de la nouvelle. La conjugaison de ces deux genres littéraires ne veut nullement dire que ces deux pratiques se répètent. Certes la récurrence comme esthétique est un trait particulier de l'écriture littéraire maghrébine, mais dire la même chose et autrement relève de la création littéraire. L'écriture nouvelliste convoquée ne stagne pas. Elle évolue tout en restant rivée sur des thématiques classiques. Elle réussit à s'en démarquer pour s'inscrire dans de nouvelles tendances mues par de jeunes nouvellistes maghrébins dont les noms se mêlent à ceux des premières décennies. Généralement, les romanciers maghrébins sont aussi des nouvellistes mais c'est le nom du romancier qui l'emporte sur celui du nouvellier. Le roman se constitue en cadre référentiel car des noms nous interpellent et à flot. Quant à la nouvelle, elle est éclipsée volontairement par la critique locale et même étrangère. Elle n'est pas étudiée à sa juste valeur.

D'un autre côté, c'est à l'unisson que des nouvellistes maghrébins hommes et femmes, amazighs, arabes ou juifs entretiennent cette pratique du narratif bref. C'est dans une continuité que des noms de nouvellistes s'opposent à ceux des générations vingtièmistes. C'est par leurs tendances nouvelles qu'ils se démarquent de leurs prédécesseurs. Mais des écrivains célèbres ayant vécu le XXème siècle perpétuent toujours la pratique de la N.M.F. au XXIème siècle s'inscrivant ainsi dans deux époques dont les préoccupations sont souvent différentes. La différence se traduit donc en concept de tendances nouvelles citées peu ou prou par les auteurs d'ouvrages spécialisés de la littérature maghrébine de langue française.

De ce point de vue, nous parlerons de ces nouvelles tendances au tournant du XXIème siècle. Il faut bien convenir que notre but n'est pas d'en dresser un panorama complet. Il s'agit d'évoquer quelques éléments qui balisent cette écriture qui refuse de s'enliser dans le passé, un passé historiquement marqué et marquant.


I- La nouvelle et l'éclatement du recueil.


À ses débuts, au XXème siècle, la N.M.F. est une pratique littéraire publiée dans des périodiques. C'est à l'unité qu'elle est éditée. Cette coutume éditoriale se trouve bousculée par une autre forme de publication. Il s'agit de rassembler pêle-mêle une série de nouvelles d'un même auteur dans un recueil dont le titre est généralement une nouvelle éponyme. La poétique du recueil semble l'emporter sur l'unité textuelle. Mais ce type de recueil n'est pas soumis à une composition d'ensemble parce que chaque nouvelle a sa particularité. Ladite particularité risque d'être désintégrée par cet emballage de textes brefs. Cependant, et par le biais d'une lecture globale du recueil, nous pourrions recenser la présence d'une certaine continuité orientée par une architecture d'ensemble. Mais cela n'empêche nullement la nouvelle de dévoiler sa spécificité car c'est dans l'isolement que la N.M.F. retrouve ses origines éditoriales. Cette tendance est fortement confirmée par Leïla SEBBAR qui dit : J'ai déjà publié des nouvelles isolées dans des revues, des magazines et cela depuis longtemps […]1.

Leïla SEBBAR renoue autrement avec cette coutume de l'édition de nouvelles singulières. Par cette action littéraire, cette nouvelliste pose autrement le problème de l'édition de la nouvelle. Elle bouscule les vieilles habitudes éditoriales par des combinaisons inédites. Cette nouvelle tendance permet à la nouvelliste de ne plus se plier aux exigences des éditeurs qui obligent souvent l'auteur à méditer des nouvelles rassemblées dans un recueil. L'éditeur peut intervenir même dans le paratexte du recueil. À ce sujet, cet auteur dit :

C'est moi qui donne les titres de mes nouvelles, les éditeurs ne les changent jamais. Mais le titre du recueil, La jeune fille…, c'est l'éditeur qui a préféré choisir La jeune fille comme titre éponyme ; j'avais proposé L'enfer mais l'éditeur a refusé. C'est moi qui ai choisi l'ordre des nouvelles2.

Choisir les normes de la publication au XXIème siècle est l'affaire du nouvelliste maghrébin surtout confirmé. L'exemple de Leïla SEBBAR est significatif si nous considérons ses nouvelles inédites éditées séparément dans un livret chez Bleu Autour. La première est Le vagabond, 17 pages, mars 2007. La deuxième est Louisa, 120 pages, le 18 octobre 2007. La troisième est La blanche et la Noire, 24 pages, mars 2008.

Cette nouvelle tendance éditoriale confirmée, en plus du recueil, se trouve toujours accompagnée de cette édition classique prise en charge par des périodiques. Tahar BEN JELLOUN diversifie ses supports nouvellistes. Après ses recueils de nouvelles L'Ange aveugle (Seuil, 1992), Le premier amour est toujours le dernier (Seuil, 1995), sa nouvelle inédite Don Quichotte à Tanger apparait sur les pages du journal mensuel français Le Monde diplomatique, n° 61, août 2005.

Cette mode éditoriale ne prive ni la nouvelliste ni le nouvelliste d'investir dans des recueils complets. BEN JELLOUN récidive en 2003 en mettant à jour son recueil portant le titre Amours sorcières. Quant à SEBBAR, elle publie Écrivain public encore chez Bleu Autour, le 23 mars 2012. Ce recueil rejoint en quelque sorte le roman de Tahar BEN JELLOUN portant presque le même titre, à savoir L'Écrivain public, publié chez Points en 1997.

La nouvelliste qu'est SEBBAR promeut une autre tendance éditoriale : diriger la publication de recueils collectifs d'enfance ou d'adulte. Ce type de publication n'est pas bien accueilli par les éditeurs dont l'auteur en question dit : […] les éditeurs hésitent toujours à publier des collectifs. Ils n'aiment pas beaucoup ça. Les collectifs je ne sais pas pourquoi. Ils pensent que c'est pas vendables, vendeurs […]3 Mais à l'aide de Bleu Autour, elle recueille 34 textes inédits écrits par des auteurs qui parlent de leur enfance juive au Maghreb ou au Moyen-Orient. Ces textes sont rassemblés dans un recueil titré Une enfance juive en Méditerranée musulmane paru le 22 mars 2012. La nouvelliste dit à son sujet : Ces récits d'enfance disent la fin d'un monde, d'une Histoire, d'une société cosmopolite, ils disent le pressentiment d'un exil définitif…4 Ces textes évoquent ce rapport de voisinage entretenu par les Maghrébins et les Juifs. Cette proximité ethnique est perçue différemment, mais reste un seul fait inoubliable : les Juifs quittent définitivement cette terre qui les a longuement accueillis. Ce recueil nous rappelle d'autres Juifs qui n'ont pas participé à cet exil ou ce départ massif. Le nom du nouvelliste Edmond Amran EL MALEH est révélateur puisqu'il ajoute une autre couleur à la N.M.F. grâce à son recueil Abner Abounour édité en 1995 et participe activement à la diversité de l'écriture nouvelliste en question qui regroupent toute une pléthore de nouvelles qui mettent en exergue d'autres thèmes nourris par de nouvelles préoccupations imposées par le XXIème siècle.


II- D'autres nouvelles, d'autres thèmes.


Des nouvellistes vingtièmistes encore vivants continuent toujours de produire le narratif bref tout en évoquant des thèmes chers à la littérature maghrébine déjà en vogue durant le siècle passé. C'est l'univers même de Leïla SEBBAR qui, avec son recueil Écrivain public (23 mars 2012), reparle de la déchirure coloniale, de la guerre, des insurgés kabyles, de la liberté des femmes, de l'exil, du pays natal, du pays étranger, de la mémoire...

Mais d'autres auteurs, et toujours femmes, investissent leur écriture nouvelliste dans d'autres thèmes complètement différent de ceux du XXème siècle.

C'est dans cet esprit que Houria BOUSSEJRA convoite l'écriture paradisiaque pour mieux traiter des sujets tabous comme le culte charnel dans toutes ses dimensions. La double thématique mythique et sexuelle s'entrelace pour servir une intention de communication dans son recueil Femmes inachevées et spécialement dans la nouvelle « Fatma ». Il s'agit de sonder ces relations en dérive qui sévissent au Maghreb. Il ne s'agit pas d'une écriture pornographique, mais d'un récit qui permet au lecteur sagace d'opérer des va-et-vient entre le récit lui-même et la société en question. Tout en rassemblant des bribes informationnelles motivées et suscitées par un jeu de mémoire, le lecteur constitue virtuellement la réalité de sa société et se convertit ainsi en un critique de phénomènes sociaux étudiés explicitement ou implicitement en littérature. Et c'est par le langage qu'est permis ce processus communicatif dans un cadre purement littéraire. Dans cette lignée, BARTHES dit que le langage est […] une matière qui est déjà signifiante au moment où la littérature s'en empare : il faut que la littérature se glisse dans un système qui ne lui appartient pas mais qui fonctionne aux mêmes fins qu'elle, à savoir : communiquer5.

BOUSSEJRA écrit un monde où le corps devient un véhicule qui mène vers un paradis terrestre. Mais de la fréquentation corporelle naîtra la déchirure. L'homosexualité est chose étrange à Fatma qui se trouve dans l'incapacité de lui trouver une quelconque signification. Fatma ne comprenait pas toujours cette relation qu'ils partageaient. C'était une autre histoire du monde, se disait-elle6. C'est aussi une autre écriture qui meuble la littérature maghrébine véritable pourvoyeur de la réalité sociale. C'est une littérature qui soutient une écriture que nous nommons une écriture paradisiaque.

Le cas de Nacer est significatif puisqu'il est le personnage qui possède un espace éclatant que les autres jeunes ne peuvent atteindre : Nacer était enchanté d'habiter dans une luxueuse villa à Salé […]7. Cet espace enfermé, qui nous rappelle le château où vivait Candide, devient un paradis envié. Certes, c'est l'espace de cet étranger nommé Pierre, mais il est aussi le lieu de Nacer. Cette double possession met en jeu la relation maître-valet ou encore possesseur-possédé. La nouvelliste écrit à la page 91 : Nacer était sa possession et il n'était pas prêt à le partager avec personne. C'est grâce à la possession physique que Nacer acquiert le paradis. Ce privilège lui permet de se surpasser pour devenir un surhomme, un être qui n'est pas comme les autres êtres. C'est le sexe qui génère sa mutation. « Nacer était devenu un mythe auquel s'identifiait les jeunes de son quartier à Khénifra8. Mais d'autres personnages […] rêvaient tous de trouver, comme lui, un être qui puisse leur offrir le paradis et leur faire oublier leurs misères9. Ce paradis est doté d'une fonction thérapeutique, libératrice des maux.

Pour la nouvelliste, accéder aux bienfaits paradisiaques ne peut se réaliser que par la servitude. Fatma s'inscrit aussi dans ce pôle. Elle passait désormais ses jours à servir Nacer10. C'est dans l'amour qu'elle trouve son brin de paradis, dans la villa. Seul le mariage peut lui ouvrir la porte du paradis complet, alors […] elle ne pouvait s'empêcher de nourrir les espoirs les plus fous11. Cette idylle ne peut durer, vu la présence de trois personnes qui constituent ce fameux triangle infernal dans la villa qui symbolise le paradis. L'un de ses membres doit quitter le lieu : Fatma, Nacer ou Pierre ? Celui-ci se met en colère en découvrant les épanchements des deux Marocains. L'auteur dévoile cette autre facette de la société dans laquelle elle vit. Par l'écriture paradisiaque, elle met en scène ce rapport homme-homme, l'autre versant de l'histoire sexuelle au Maroc. Ce sujet tabou à l'époque, devient aujourd'hui un sujet d'actualité. Les homosexuels sont les bannis de la société, ils ne sont ni reconnus ni légitimés. C'est pourquoi les personnages de BOUSSEJRA rêvent d'être récupérés par l'occident où ils seront revalorisés. Les amis du couple en question espéraient qu'un jour cet étranger choisirait l'un d'entre eux. L'exil est leur salut. Encore une fois l'altérité est bienfaitrice ! Ils savaient qu'ils ne deviendraient jamais riches avec leur petit boulot et que seule l'émigration pourrait leur faire changer de statut. Reniés par les leurs et par la société, l'argent était leur seul salut12.

BOUSSEJRA, par l'écriture paradisiaque, raconte la société marocaine, une société homophobe. Nacer a au moins accédé aux premières faveurs : une villa, une Mercedes. C'est pourquoi son entourage masculin l'enviait. Fatma « […] ne parlait jamais de l'autre, elle n'osait le nommait de peur de le blesser dans son être profond 13. De l'ignorance à la conscience, Fatma maîtrise le sujet de l'homosexualité.

Mais Nacer part avec l'étranger, laissant derrière lui Fatma enceinte. Par ce choix, Nacer acquiert son identité sexuelle. Expédier cette affaire sexuelle et l'exporter outre-mer se trouve dicté par la réalité actuelle de la société maghrébine. Si ce phénomène est en perdition au Maghreb, il est plus valorisé en Occident. L'auteur nous rappelle cette époque où certains romans érotiques et à thème d'homosexualité étaient interdits. Par son écriture, la nouvelliste fait éclater l'interdit, la censure. Elle met en fiction cette mémoire interdite. C'est un sujet d'actualité, un sujet qui préoccupe la N.M.F. En sacrifiant la femme, BOUSSEJRA sollicite la complicité du lecteur sagace pour qu'il prenne part à ce débat. C'est ce qui fait la force de cette nouvelle. Plus encore cette force se traduit exclusivement par la « détaboulisation » qui marque l'implication de l'auteur dans ce débat.

Fatma attend un bébé qui sera un autre Nacer ou une autre Fatma. Cette dernière supposition ouvre le dossier des jeunes mères célibataires marocaines et des petites bonnes au Maghreb.

D'autres nouvellistes se soucient du pays natal. Kaouther ADIMI s'intéresse de près à une partie de ce grand Maghreb, à savoir l'Algérie contemporaine. Son recueil de nouvelles Les ballerines de papicha paru en 2008 a obtenu le prix du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse d'Alger. Ces « ballerines » est un clin d'œil aux révolutions arabes, au terrorisme qui sévit un peu partout même au Maghreb où les manifestations sont souvent réprimées par le pouvoir local. Les citations suivantes puisées dans le recueil en question témoignent de cet esprit « L'Algérie est un asile à ciel ouvert » ; « Vive l'Algérie sans les Algériens » ; « A bas le pouvoir », « Djahanama ou machi n'touma »… Sur ARTE, ADIMI dit : Moi, ma génération qui a grandit pendant le terrorisme, on a envie de vivre notre jeunesse et notre vie adulte parce qu'on n'a pas pu vivre quelque part notre enfance correctement14. Elle ajoute : On veut des traditions qui nous ressemblent, qu'on a héritées, qu'on peut assumer mais qui ne soit pas un frein à notre développement et à notre modernité 15. Il s'agit donc d'une nouvelle génération engagée dans la construction de la société maghrébine. Cet engagement ou cette participation consciente est motivée exclusivement par ces révolutions nommées « Le printemps arabe ». C'est une écriture de la contestation, une contestation qui s'oppose à celle classique car elle est produite par le peuple non pas contre l'occupation française mais contre le pouvoir local.

Ailleurs, Jamal GHENNOUCHI publie son recueil Le Don de Dieu, édition Arabesques, janvier 2012. Cinq nouvelles mettent en scène des hommes et des femmes de génie qui combattent la vie. Cette version nouvelliste, et par le titre du recueil, renvoie au concept de Donum Dei, aux heureux élus, à ceux que Dieu a choisis pour qu'ils reçoivent le génie. C'est une qualité humaine rare. Elle est parcimonieusement distribuée. GHANNOUCHI revalorise ainsi l'idée du fatum mais selon une conception stoïcienne. C'est la raison divine ou le logos qui administre et gouverne le monde et ses entités. L'éloge de la raison humaine dans cette écriture nouvelliste trouve ses origines et sa raison d'être dans la formation scientifique de ce nouvelliste maghrébin. Comme Pierre BOULE, auteur de La Planète des singes, il est ingénieur, aussi mathématicien. Il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages littéraires.

Son recueil Le fou du roi, est édité par l'Harmattan en 2002. La même année, le théâtre de l'Étoile du nord de Tunis commande la nouvelle Le fou du roi pour une adaptation théâtrale. De la nouvelle au théâtre, le chemin semble court pour permettre la rencontre des genres littéraires pratiqués au Maghreb.


III- La N.M.F. entre genre et forme littéraire


La rencontre générique en question est ressentie lorsque le roman maghrébin rejoint la nouvelle au XXIème siècle. Le fou du roi16, nouvelles policières de Jamel GHANNOUCHI et La tige maudite17, autres nouvelles policières de Miloudi HAMDOUCHI, rejoignent le roman du premier nouvelliste Le mage et le sage qui s'inscrit dans l'écriture policière ou le polar.

GHANNOUCHI enrichit autrement l'écriture nouvelliste maghrébine par l'élargissement du fonds onomastique qui était exclusivement réservé aux noms maghrébins ou aux noms français. Des noms tels que « Parsky », « Karpasov », renvoient à d'autres contrées jamais évoquées par la N.M.F. C'est le monde russe, un monde connu par le jeu des échecs. L'auteur nous fait visiter ce monde, son jeu et toute sa terminologie : « Je pris les noirs et optai contre le E4 », « la variante Najdorf », « comment il égalisa dans une fin de partie qui opposait deux tours et trois pions à deux fous, un cavalier et quatre pions. »18 Certes, c'est un jeu, mais les douze nouvelles s'enchaînent autour d'une narration soumises aux mathématiques.

La tige maudite de HAMDOUCHI, est formé uniquement de deux nouvelles qui renvoient à cette période du Protectorat. Le nouvelliste, dans la 1ère nouvelle intitulée « Le canton du crime », copie des histoires vécues. Deux personnages principaux sont mis en jeu : la première marocaine commissaire et un commissaire français au service à Tanger. Il rend hommage à cette femme nommée Saloua Chaoui qui a réussi à être promue parmi la gente masculine. Et, dans la nouvelle, c'est sa première enquête policière.


Conclusion.

La matière policière nourrit l'espace narratif maghrébin, toujours en quête de nouvelles expériences scripturales. Cette quête littéraire met en jeu le développement de la N.M.F. au XXIème siècle. Elle demeure une pratique indissociable des questions relatives à la littérature maghrébine. En effet, cette écriture nouvelliste est postérieure au roman maghrébin, mais elle se révèle présente quant à sa publication qui s'inscrit encore dans la diversité, diversité des nouvellistes, des formes, des thèmes et des moyens éditoriaux.


Bibliographie

BARTHES, Roland, Essais critiques, Paris, Seuil, 1981, p. 262.

BEN JELLOUN, Tahar, L'Ange aveugle, Seuil, 1992.

Le premier amour est toujours le dernier, Seuil, 1995.

Amours sorcières, Seuil, 19 mars 2003.

BOUSSEJRA, Houria, « Fatma » dans Femmes inachevées, Editions Marsam, 2000.

EL MALEH, Edmond Amran, Abner Abounour, Editions Le Fennec, 1995.

GHANNOUCHI, Jamal, Le fou du roi, recueil de nouvelles, L'Harmattan, 1 janvier 2002.

HAMDOUCHI, Miloudi, La Tige maudite, recueil de nouvelles, éditions Okad, Rabat, 2004.

SEBBAR, Leïla, Le vagabond, Bleu autour, mars 2007.

Louisa, Bleu autour, le 18 octobre 2007.

La blanche et la Noire, Bleu autour, mars 2008.

Une enfance juive en Méditerranée musulmane paru le 22 mars 2012.

Écrivain public, Bleu Autour, le 23 mars 2012.

Quotidien :

BEN JELLOUN, Tahar, « Quichotte à Tanger », Le Monde diplomatique, n° 61, août 2005.


Sitographie :

SEBBAR, Leïla, « Pour « Une enfance juive Méditerranée musulmane » et « Ecrivain public », aux éditions Bleu Autour, in France inter, L'humeur vagabonde (Archive 2011-2012) par Kathleen Evin. Consulté le 1 décembre 2012.

DHIMMA, « Juifs en terres musulmanes : la fin d'un monde ? », mercredi, 6 juin 2012, [en ligne] http://www.jforum.fr/forum/culture/article/juifs-en-terres-musulmanes-la-fin, consulté le 1 décembre 2012.


Vidéo :

L'Algérie d'une nouvelliste de 25 ans, Kaouther ADIMI, dans http://videos.arte.tv/fr/videos/l_algerie_d_une_nouvelliste_de_25_ans--3990044.html, transcrit par nos soins. Consulté le 1 décembre 2012.

Mohammed YACOUBI.

1 Cette citation est extraite de la première lettre que nous avons reçue de Leïla SEBBAR le 21 juin 2011comme réponse à notre première lettre du 16 juin 2011.

2Op. cit., première lettre.

3 Leïla SEBBAR, « Pour « Une enfance juive Méditerranée musulmane » et « Ecrivain public », aux éditions Bleu Autour, in France inter, L'humeur vagabonde (Archive 2011-2012) par Kathleen Evin. Consulté le 1 décembre 2012.

4 DHIMMA, « Juifs en terres musulmanes : la fin d'un monde ? », mercredi, 6 juin 2012, [en ligne] http://www.jforum.fr/forum/culture/article/juifs-en-terres-musulmanes-la-fin, consulté le 1 décembre 2012.

5 BARTHES, Roland, Essais critiques, Paris, Seuil, 1981, p. 262.

6 BOUSSEJRA, Houria, « Fatma » in Femmes inachevées, Editions Marsam, 2000, p. 92.

7 Id., p. 91.

8 Id., p. 93.

9 Id.

10 Id.

11 Id., p. 94.

12 Id., p. 95.

13 Id., p. 96.

14 L'Algérie d'une nouvelliste de 25 ans, Kaouther ADIMI, dans http://videos.arte.tv/fr/videos/l_algerie_d_une_nouvelliste_de_25_ans--3990044.html, transcrit par nos soins Consulté le 1 décembre 2012.

15 Idem.

16 Jamel GHANNOUCHI, Le fou du roi, recueil de nouvelles, L'Harmattan, 1 janvier 2002.

17 Miloudi HAMDOUCHI, La Tige maudite, recueil de nouvelles, éditions Okad, Rabat, 2004.

18 Jamel GHANNOUCHI, op.cit., p. 12.



Pour citer cet article :
Auteur : YACOUBI Mohammed -   - Titre : Nouvelles tendances de la nouvelle maghrébine de langue française au XXI siècle,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/monographies/article-tendance-nouvelle-maghrebine-pcqc-yacoubi-mohammed.php]
publié : 2015-11-18

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