L'écriture romanesque du Maghreb L'écriture romanesque est un travail de sensibilité, d'humanité et d'intelligence. Le romancier en écrivant une fiction pense à un lecteur qui peut être sensible à son écriture et peut comprendre ses intentions au delà du romanesque. Au fil du texte on ressent les penchants du romancier par le biais de son narrateur. L'écriture romanesque en paraphrasant Roland Barthes révèle l'écrivain à mesure que ce dernier tend à dissimuler ses idées et ses fantasmes enfouis soit dans son inconscient ou dans les allusions et les implications. De ce fait en écrivant on crée des signes qui nous trahissent. Le roman maghrébin ne peut pas échapper à ces remarques bien qu'il se caractérise par des topos qui le révèlent et qui soulignent ses limites. Rares sont des écrivains qui osent et qui tentent d'écrire pour changer notre société esclave de ses mythes obsolètes. Dans cette communication je tenterai de mettre en exergue quelques leitmotivs du roman maghrébin, lesquels bloquent toute aspiration à l'universalité et font de lui une écriture réductionniste, primitive et dans le meilleur des cas ethnographique. La culture pastorale comme idole : La récente urbanisation d'une frange importante de la population maghrébine influence les thèmes abordés dans l'écriture fictionnelle du nord de l'Afrique. Le village d'origine, la vie rurale et les conflits autour des territoires sont incontournables. Le lecteur maghrébin moyen ressentira certes une nostalgie et pourrait de la sorte s'identifier à un personnage. Toutefois pour un liseur hors la sphère arabo-musulmane, une fois passée la tentation de l'exotisme, le texte ne suscitera en lui que la froideur et la fadeur. La réalité rurale ne peut soulever que des conflits sans valeur esthétique et/ou humaine communément admises. Ces ruraux confinés dans des villages reculés et imprégnés d'une culture ancestrale coupée du monde ne peuvent pas concevoir leurs traditions que dans un esprit totalitaire loin de tout relativisme. Sans recul, leurs coutumes et préjugés sont pour eux infaillibles et parfaits. Vouloir créer une fiction du bled est un travail vouée à l'échec puisqu'elle ne veut et ne peut pas épouser les valeurs humaines. La culture pastorale est fermée, marquée par la finitude, l'exclusion et le tribalisme. (je suis originaire de la campagne ;mes parents y vivent encore). 2 -Le tribalisme : Le roman pastoral dans l'écriture maghrébine épouse le tribalisme. Chaque tribu se vante d'être la plus pure, la plus ancienne (elle remonte à la nuit des temps, on ne peut jamais savoir comment elle était composée. D'ailleurs c'est un sacrilège de poser ce genre de questions : ces villageois sont ici depuis des temps immémoriaux). Ainsi ces tribus méritent-elles d'être traitées comme leur rang l'exige. Le mythe de la pureté et récemment celui de la résistance marquent certaines tribus qui refusent de tisser des liens avec l'extérieur de peur d'être souillées par l'étranger. Vivre reculé du monde pourvu que l'autre ne les atteigne pas est leur crédo. Certaines écritures maghrébines ne peuvent pas échapper à ce piège. Ecrire un roman autour d'un village rien que pour monter sa singularité et son refus de communiquer ne peut pas prétendre à l'universalité. Le tribalisme montre les séquelles d'une tradition séculaire qui ne peut pas guérir du traumatisme de l'autre. Les écrivains maghrébins, au lieu de combattre cette incommunicabilité, d'exhumer ces traditions pour les mettre à la loupe avec un esprit critique et de recul, s'y immiscent et se délectent d'être les porte paroles de ces villageois bornés, avides de révéler les différences pour se croire supérieurs. Le racisme n'est pas loin. Défendre des valeurs humaines est le crédo de la littérature qui se veut responsable et constructive. Le racisme : Le romancier maghrébin a du mal à finir sa fiction sans recourir à « l'homme noir » : miroir de sa supériorité du mirage. Se moquer des « nègres », leur rappeler leur origine d'ailleurs incertaine comme si son origine à lui était claire et certaine. « Le noir » ne peut jouer aucun rôle dans l'économie du texte. Sa couleur le condamne à l'idiotie. On peut l'ajouter comme on peut le supprimer. Il est seulement un figurant pour pimenter le texte et mettre en valeur les autres personnages évidemment « blancs ». L'écriture maghrébine est un statut quo, elle constate et ne peut s'inscrire ni dans l'ouverture ni dans le dépassement. Ce qui importe c'est le vraisemblable. Le souci du vraisemblable : Le romancier nord africain ne peut pas transgresser le vécu, il n'en est qu'une continuité. Son écriture n'est qu'un simulacre. Ce qui le diffère de ses personnages c'est qu'il leur est supérieur par sa manie de la lecture et de l'écriture. Ses deux compétences servent à décrire la réalité non à la transformer. Mais pourquoi la changer puisqu'il en est le seigneur ? Le vraisemblable est pour lui un alibi de l'enclavement et du ressassement des histoires pastorales et des anecdotes sans profondeur afin de railler le campagnard et de se moquer de son caractère, une autre façon de mettre en valeur la scolarité du romancier civilisé. Le citadin civilisé face à un campagnard primitif : récemment la fiction autour de la ville a cédé le pas à celle de la campagne. Les pays nord-africain en suivant l'hégémonie de la consommation encouragent la vie citadine. C'est ainsi que les populations rurales ont afflué vers les médinas (lieu où la population rurale est dense). L'écriture romanesque veut décrire, souvent niaisement, ces villes nord africaines sans pour autant oublier l'origine rurale. Elle opère une comparaison reléguant le campagnard à un personnage qui a du mal à comprendre la modernité et à y vivre. Le campagnard reçoit les moqueries des personnages citadins et devient leur risée. Des clichés de dérision abondent comme une mise en valeur de l'homme de la ville-médina, miroir de la modernité et de l'occident éblouissant et haïssable. L'occident éblouissant et haïssable : L'écriture romanesque maghrébine est anomique. Elle instaure une dichotomie d'un occident impressionnant et haïssable à la fois. Vanter les prouesses des hommes du nord, pères de la modernité, tout en les détestant pour leur croyance et arrogance. L'écrivain du sud vit chaque fois qu'il évoque le nord le complexe oedipien. Il construit ses rêves en pensant à l'occident qu'il abhorre. Peut-on suivre la voie des hommes haïssables ? Tel est le dilemme inconscient de l'écriture maghrébine. Un dilemme castrateur. Le personnage sans épaisseur psychologique : Dans la fiction maghrébine ce qui importe est de montrer un tableau, confirmer des préjugés et dévoiler une hypertrophie du moi par le biais des personnages sans profondeur. Ils ne sont que des prétextes pour confirmer des idées toutes faites. Ainsi un personnage de ces romans ne se construit pas au fil de l'histoire. Sa naïveté ne le lâche pas. Le personnage est une pierre à laquelle on change de place tout en feignant qu'elle prend la parole. Il reflète l'état d'une société qui ne prend pas d'initiative et qui vit loin de toute responsabilité et tout engagement. L'écrivain qui se prend pour un démiurge relègue le lecteur à un être mineur qui se délecte de brouter tout ce qu'il écrit. La minorité du lecteur face à un écrivain démiurge : comme dans les médias de masse, le romancier maghrébin ne peut échapper à ce sentiment de supériorité sur les récepteurs d'un discours. Au fil de ces écritures romanesques, l'écrivain, par le biais d'un de ses personnages ou de son narrateur s'acharne à expliquer tout événement ou caractère minimes soient-ils. Cette opiniâtreté révèle sa représentation de son lecteur : où bien il croit que son lecteur a besoin d'éclaircissement puisqu'il soulève des questions qui le dépassent ; où bien il prétend que ses explications, banales soient-elles, sont un trésor. Dans les deux cas l'écrivain maghrébin n'arrive pas à estimer justement son lecteur ; ce qui n'est pas étrange puisque les médias nous ont habitués à toujours nous mésestimer. Lui, l'écrivain ne fait que reproduire par les mots les signes d'une société qui se méprise. En somme, l'écriture romanesque maghrébine est façonnée par des exigences d'une conscience collective qui a du mal à faire du recul et à s'autocritiquer. De ce fait elle ne peut pas/ne veut atteindre l'universalité car elle est réductionniste. Elle est souvent taxée à raison de littérature de terroir et des banalités. Elle s'inscrit dans l'immobilisme et le réductionnisme. Une littérature du monde a besoin des écrivains du monde, lesquels parfois font fi des convenances et osent secouer les mentalités sclérosées quitte à être marginalisés ou même muselés. La littérature conviviale est un phénix, elle résiste aux aléas du temps et de l'espace. La littérature de circonstance est une stérilité.
Abdelouahed Oumaki
Auteur : benhmad abdelouahed - - Titre : Lécriture romanesque du Maghreb, Url :[https://www.marocagreg.com/doss/monographies/article-ecriture-romanesque-maghreb-0zhy-benhmad-abdelouahed.php] publié : 2011-09-08 |