Dieu

Chez Lamartine (Les Méditations poétiques)

par: HASSOUN Oumaima

Dans son ouvrage intitulé De La Nature humaine (p.90), Hobbes affirme: «Comme le Dieu tout-puissant est incompréhensible, il s'ensuit que nous ne pouvons avoir de conception ou d'image de la Divinité; conséquemment tous ses attributs n'annoncent que l'impossibilité de concevoir quelque chose touchant sa nature». Faute alors de pouvoir éclairer l'essence de Dieu, il faut se contenter de son existence. C'est qu'il représente comme le montre son étymologie latine «deus» le principe de l'explication de l'existence du monde, autrement la première cause de toutes les causes. Alphonse de Lamartine poète du XIXe siècle semble non seulement adhérer à cette logique, mais en fait presque le moteur de l'ensemble de ses méditations; ses élans reviennent dans la plupart des cas à Dieu, Créateur de l'univers et de l'homme. La conception de Dieu ne diffère pas trop, sous la plume du poète romantique, de celle de la religion chrétienne. Objet de la foi, Dieu est cherché partout et invoqué tout le temps. C'est à lui que le poète destine ses Méditations le plus souvent synonyme de questionnements et de doutes. La recherche de Dieu est ainsi associée à la quête d'une sérénité spirituelle et religieuse. Dans cette optique, le poète romantique se trouve partagé entre christianisme et mysticisme dont le bien-être est fortement diffus. C'est ainsi que dans Les Méditations poétiques, recueil publié en 1820, Lamartine en homme, poète et philosophe désire de connaître Dieu et détenir son amour. En cela, il accentue la portée existentielle de sa plume; une portée qui réside précisément comme il le dit, lui-même, dans le dévoilement «des fibres du coeur de l'homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l'âme et de la nature». L'aspiration permanente vers Dieu est, paraît-il, le propre de la pensée lamartinienne oscillant entre malheur et bonheur, entre doute et certitude.

Alors, sur un ton à la fois plaintif et mélancolique, comment en s'adressant à un Dieu puissant, le poète romantique parvient-il nonobstant à le transcender et accéder ainsi à l'équilibre attendu entre esprit religieux et talent poétique? Pour répondre à cette problématique

*Nous allons tout d'abord montrer:

I-Un poète capable de percevoir Dieu (dans):

La nature

Le temps

La mort

*Pour ensuite signaler:

II- La nature du rapport naissant de cette perception entre le poète et Dieu

Puissance/Impuissance

Doute /Certitude

Croire /Savoir

*Enfin, nous examinerons:

III- La nécessité de la foi comme gage des «Harmonies religieuses et poétiques»

Parole sacrée qui fait naître la parole poétique

Transcendance du poète romantique ou les «Psaumes modernes»

I.

1) «On trouve dans Les Méditations, des pensées, des sentiments, des passions qui font rêver le coeur d'énergiques vérités qui agrandissent l'âme et la rapprochent de sa céleste origine» témoigne Charles Nodier. En effet, la plume lamartinienne semble très proche de l'âme humaine pour ce qu'elle lui rappelle sans cesse son rapport étroit à l'instance divine. Dès lors, la perception de Dieu se manifeste dans la sphère propice à la contemplation autant du «moi» que du paysage extérieur. Ledit paysage est le plus souvent illimité puisqu'il réfère à la nature et à ses composantes.

Dans le premier poème de ses Méditations, L'Isolement, Lamartine évoque le souvenir de sa bien-aimée qui se confond à ses aspirations idéales; celles d'atteindre à l'au-delà ou encore à Dieu. Il dit à ce propos(S.4/p.23): «Un son religieux se répand sur les airs/ Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique/ Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts». Le tableau auquel il assiste «sur la montagne/ à l'ombre du vieux chêne/ devant la plaine et le lac immobile» constitue pour lui un décor favorable à la méditation poétique à la fois sur l'amour qu'il a perdu et sur son désir de le retrouver. Dieu, ici en l'occurrence, symbole d'un séjour et un amour éternel, est donc subtilement présent et le recours au lexique religieux le confirme: «religieux/ saints/ âme/idéal/ terrestre séjour». Le poète romantique puise apparemment la force de son élévation et de la manifestation divine dans l'expression même de ses lassitudes morales et existentielles.

Dans Le Vallon, Lamartine décrit son épuisement et souhaite un repos loin du tumulte douloureux de la vie. S'adressant à son âme, il parvient à faire ressusciter le brin d'espérance qui lui rappelle «l'éternelle paix, p.43/ l'écho que Pythagore adore/ et les célestes concerts» à partir de l'image du Vallon; paysage calme, rempli de ses souvenirs d'enfance et qu'il nous fait voir d'ailleurs (S.2/p.42): «Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée/Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais/Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée/ Le couvrent tout entier de silence et de paix». La retraite est dans ce cas protégée et assurée par un Dieu omniscient et c'est ce que laisse entendre la dernière strophe du poème (p.44):«Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence/ Sous la nature enfin découvre son auteur/ Une voix à l'esprit parle dans son silence/ Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur?». Le mouvement vers Dieu dit toute l'élévation du poète qui passe, en suivant la trajectoire du vallon, de la nature à son Créateur. Cela est également perçu dans le poème 21 Le Temple (S.1/p.93) et où le poète s'exclame: «Qu'il est doux de porter ses pas religieux/ Dans le fond du vallon, vers ce temple rustique». Temple qui signifie «l'édifice public consacré au culte d'une divinité» est pour Lamartine, des murs sacrés et des saints autels (V.24/25) «Murs sacrés, saints autels! Je suis seul, et mon âme/Peut verser devant vous ses douleurs et sa flamme».

La nature symbolise, enfin, l'existence de Dieu et la rend plus palpable et plus concrète. L'on voit en conséquence cette certitude explicite dans L'Immortalité (V.24/p.40): « Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple/ L'esprit te voit partout quand notre oeil la contemple/ De tes perfections, qu'il cherche à concevoir /Ce monde est le reflet, l'image, le miroir.» Le lyrisme chrétien qui s'empare de ces vers souligne la capacité du poète à percevoir Dieu dans le monde terrestre notamment à travers la nature qui représente tant pour lui que pour tout poète romantique le lieu opportun pour la confession et l'extériorisation des malheurs et maux internes. C'est ce que retracent ces vers tirés du poème L'Automne à la (S.6/p.112): «Terre, soleil, vallons, belle et douce nature/Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau.» ainsi que ceux tirés du poème La Prière (p.75): «C'est toi que je découvre au fond de la nature/ C'est toi que je bénis dans toute créature.»

En revanche, si la nature revêt l'existence Divine sous son aspect fervent et grandiose, elle ne dissimule pas toutefois son côté implacable l'associant par là même à l'expression du temps. Au Dieu chrétien, bon et bienfaisant se substitue un dieu du temps inexorable et irréversible.

2) Lamartine décrit le temps comme une espèce de fatalité qui lui ôte toute joie et lui dévoile l'impossible pérennité de celle-ci. C'est à travers Le Lac qu'il relie cette angoisse à celle de l'amour menacé par l'une des hantises les plus typiques: celle de la fuite du temps. Le poème est une réflexion sur le temps et en filigrane, sur l'incapacité de l'homme à l'arrêter. Les deux derniers vers de la 9ème strophe (p.65): «L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive/ Il passe, et nous passons» mettent en évidence cette impuissance et font de Dieu-Temps un absolu qui se joue de l'homme. Lamartine expose cet amer constat dans son poème La Retraite (S.4/p.63) comme suit:«Sujets à cette loi suprême/ Empire, gloire, liberté/ Tout est par le temps emporté/ Le temps emporta les dieux même/ De la crédule antiquité».

La méditation sur le temps s'inscrit dans une interrogation sur les rapports de Dieu au monde créé, de l'éternité et du temporel. D'un côté un Dieu hors du temps; de l'autre, la création du monde qui jette dans le temps l'action de Dieu et fait de l'homme un être limité dans ses facultés. C'est ce qui pose problème au poète. Répondant à un Saint Augustin qui se demande au Livre XI de ses Confessions «Comment donc, ces deux temps, le passé et l'avenir, sont-ils, puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore?», Lamartine attestedans son poème La Foi(p.81/ V.7) « Je lis dans l'avenir la raison du présent/ L'espoir ferme après moi les portes du néant /Et rouvrant l'horizon à mon âme ravie /M'explique par la mort l'énigme de la vie. » A cet effet, le poète se transforme en un « rédempteur » grâce à sa poésie. Ces vers mettent l'accent sur la notion du temps dans son acceptation universelle. C'est pour cette raison que le passé, le présent et l'avenir ne sont plus qu'un pour l'homme et aussi pour Dieu. Et s'il affirme ainsi que«L'homme est Dieu par la pensée», Lamartine ne manque pas de signaler les limites de celle-ci comme en témoigne d'ailleurs la valeur gnomique de son observation au poème Ode sur la naissance du duc de Bordeaux (S.3/p.69): «Entre un passé qui s'évapore/ Vers un avenir qu'il ignore/ L'homme nage dans un chaos!».

Le temps, autre emblème de la présence divine, est presque toujours vécu comme un sentiment hostile au poète et à son existence. Son caractère éphémère, qui révèle paradoxalement la volonté éternelle de Dieu, lui inspire de mélancoliques réflexions. C'est ce qu'expriment ces vers extraits de Le Lac (S.12/p.66): «Eternité, néant, passé, sombres abîmes/ Que faites-vous des jours que vous engloutissez?/ Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes/ Que vous nous ravissez? ». Pour Lamartine, le temps contient une sorte de négation de son être. «Dieu sinistre et effrayant» tel que le conçoit Baudelaire, il se peint, sous la plume du poète lyrique, comme étant son adversaire impitoyable qu'il faudrait vaincre d'où le désir de l'éternité («Abattu par le temps, rêve l'éternité» p.39) et par conséquent de la transcendance de Dieu par la mort même.

3) Le thème de la mort est fortement présent dans Les Méditations poétiques; La solitude causée par la mort de l'amante Julie Charles, nommée Elvire permet au poète une tentative d'enlever toute réalité à cette mort c'est-à-dire d'en faire un événement qui n'affecte en rien son être, mais, contrairement à toute attente, qui le sublime. A ce stade, la mort apparaît tantôt comme une puissance décisive et redoutable, tantôt comme un consolateur suprême qui contribue à l'ascension de l'âme romantique vers un Dieu immortel et immuable. C'est que la mort est la preuve irréfutable de l'existence divine. La 5ème méditation, en ce cas, L'Immortalité conforte cette idée. Le poète, espérant rejoindre sa bien-aimée auprès de Dieu avoue (V.12/p.41): «Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nos voeux/ D'un trait libérateur nous eût frappées tous deux/ Nos âmes, d'un seul bond remontant vers leur source/ Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course/ à travers l'infini, sur l'aile de l'amour/ Elles auraient monté comme un rayon du jour/ Et, jusqu'à Dieu lui-même arrivant éperdue/ Se seraient dans son sein pour jamais confondues». La composition qui regroupe Dieu, l'amour et la mort, toutes thématiques de la poésie romantique résume, en réalité, la visée lamartinienne quant au sujet existentiel de la mort, lequel sujet repose avant tout sur une foi sûre et résignée. Pour lui, d'ailleurs comme il l'affirme dans son commentaire sur le poème:«Toute foi est un calmant, car toute foi est une espérance et toute espérance rend patient.», il est question de la nécessité de croire en Dieu, le seul Etre qui assure l'éternité du sentiment amoureux et métamorphose la mort en une félicité méritée et un salut permanent. C'est ce qui est perceptible dans le même poème aux vers suivants(p.38): «Et l'espoir près de toi, rêvant sur un tombeau/ Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau!».

Dans cette verve lyrique, Lamartine garde espoir en la puissance de la mort malgré ses effets parfois sinistres sur son âme. Dans La Semaine Sainte à la Roche-Guyon,il déclare (S.13/p.105): «La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre/ J'attends le réveil des tombeaux» et dans Le Chrétien mourant (S.2/ p.106) apostrophant son âme qui se prépare à accueillir la mort en ces termes: «O toi! D'un feu divin précieuse étincelle/ De ce corps périssable habitante immortelle/ Dissipe ces terreurs: la mort vient t'affranchir/ Prend ton vol, o mon âme! Et dépouille tes chaines ». Ces vers suggèrent l'angoisse du chrétien par rapport au concept de la mort; le chagrin de la vieillesse et la certitude de se rapprocher de la mort l'aident, cependant, à accepter celle-ci afin de la dépasser. Aussi implore-t-il Dieu, dans la plupart de ses poèmes afin de précipiter sa mort et accéder définitivement à cette immortalité tant souhaitée comme le corroborent les exemplesde La Poésie Sacrée (S.9/ p.115): «Mes jours déclinent comme l'ombre/ Je voudrais les précipiter/ O mon Dieu! Retranchez le nombre/ Des soleils que je dois compter/»et Dieu (V.12/p.109): «Mais pour monter à lui notre esprit abattu/ Doit emprunter d'en haut sa force et sa vertu/ Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme/ Le désir et l'amour sont les ailes de l'âme».

Pour ainsi dire, dans tout ce que le poète vit ou perçoit, il y a une part du divin, du Dieu chrétien, créateur du monde et de l'au-delà. L'univers est selon, le poète romantique (qui est enclin à la solitude, à l'isolement et surtout à la méditation) est l'ouvrage de Dieu. Et comme ce dernier est invisible pourtant présent, le poète cherche à l'imiter en menant le plus souvent des réflexions d'ordre ontologique et métaphysique. La nature, le temps et la mort font l'objet de ces réflexions et montrent ainsi le rapport étroit qui lie l'homme/poète à son Dieu tout-puissant.

II.

1) Il va sans dire que les Méditations représentent pour le poète la parfaite occasion pour s'interroger sur sa posture en tant qu'homme dans ce monde «infiniment grand». Dès lors, la jonction Homme-Dieu s'établit et devient d'emblée la source de ces interrogations. Lamartine découvre au fur et à mesure de son errance que cette jonction est basée avant tout sur le rapport puissance-impuissance. Dieu est le Créateur de l'univers certes, mais Il est aussi l'Etre qui le fait mouvoir à sa guise. Dans son poème L'Homme, Lamartine observe: (V.24/p.26)«Ton titre devant Dieu c'est d'être son ouvrage/ De sentir, d'adorer ton divin esclavage» et un peu loin (V.17/p.27):«Imparfait ou déchu, l'homme est le grand mystère/ Dans la prison des sens enchaînés sur la terre/ Esclave il sent un coeur né pour la liberté/ Malheureux il aspire à la félicité». En moraliste et philosophe, Lamartine invite Byron à accepter avec amour les limites de la condition humaine qui ne peut en aucun cas outrepasser la puissance de Dieu.

D'un accent plus personnel et plus inquiet, Lamartine s'adresse à son âme pour lui faire voir le pouvoir extrême de Dieu qui se traduit par la montée de la mort comme une marée irrésistible emportant l'homme avec elle. Le sens des vers 5 et 6 (p.39) tirés du poème L'Immortalité montrent clairement cela:«Regarde autour de toi: tout commence et tout s'use/ Tout marche vers un terme, et tout naît pour mourir».

L'humeur pessimiste qui se dégage des Méditations explique en fait le grand désenchantement du poète quant à sa propre existence. Ne trouvant aucun sens à celle-ci, il demande constamment à Dieu la raison qu'il a mené à créer ce monde si triste et si fini. En témoignent ces interrogations extraites du poème Le Désespoir (S.12/p.46): «Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître? L'insensible néant t'a-t-il demandé l'être/ Ou l'a-t-il accepté?/ Sommes-nous, ô hasard, l'oeuvre de tes caprices? Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices/ Pour ta félicité?». Si «les cris du désespoir sont les plus doux concerts» comme le pense justement Lamartine, ils sont également la transcription d'un malheur insurmontable devant un Créateur qui se joue de sa création. La puissance infinie de Dieu ne fait que rappeler à l'homme sa condition limitée dans le temps et dans l'espace d'où le découragement qui s'empare de ce dernier.

Dans le commentaire sur La Providence à l'homme, le poète raconte: «ma mère me reprocha pieusement et tendrement ce cri de désespoir. C'était, disait-elle, une offense à Dieu, un blasphème contre la volonté d'en-haut, toujours juste, toujours sage, toujours aimante jusque dans ses sévérités». Le ton chrétien est décidément de mise et le poète cherche à se justifier auprès de Dieu comme le souligne d'ailleurs les vers 5/6 p.32 de L'Homme:«Pardonne au désespoir un moment de blasphème/ J'osai…Je me repens: Gloire au maître suprême!».

2) Cependant, la relation de puissance-impuissance se transforme en une dialectique fondée sur le doute et la certitude. Les Méditations de Lamartine oscillent perpétuellement entre erreur ou vérité; vice ou vertu; vivre ou mourir. Et le couple homme-Dieu est toujours au centre de ces binômes. A ce propos, Méditation devient une réflexion voire un raisonnement qui pourrait conduire l'homme «pensant» à la vérité divine. La quête de Dieu se fait à travers des interrogations toutes légitimes, qui fondent par la même occasion, une espèce de doute cartésien précédant toute vérité.

En effet, le poète exprime déjà sa lassitude vis-à-vis de l'inconnu obscur à son esprit et les vers suivants du même poème (L'Homme) sont révélateurs de cette incertitude (p.29): «J'ai blasphémé ce Dieu, ne pouvant le connaître/ Et ma voix, se brisant contre ce ciel d'airain /N'a pas même eu l'honneur d'arrêter le destin.». Le destin du poète c'est de laisser errer son âme à la recherche de la vérité. Mais durant ses recherches, Lamartine affronte un vide qui provoque chez lui une profonde angoisse. Cette absence ne renvoie pas uniquement chez lui aux choses, au monde ou à la parole, mais elle réfère surtout à Dieu. En perdant cet objectif de recherche qui est à l'origine de sa consistance, le poète se dissout lui-même en son absence. C'est ce qu'il laisse entendre dans L'Enthousiasme (S.9/p.61): «Mon reste d'âme s'évapore/ En accent perdu dans les airs! ».

Le thème de l'inquiétude religieuse est largement développé dans le recueil. Certaines méditations sont plus particulièrement consacrées à la philosophie morale et aux grands problèmes métaphysiques. Dans L'Homme, il est question de la prédestination et de la nécessité de s'y résigner; dans L'Immortalité c'est la tentative de transcender Dieu en louant la valeur de la mort; dans La Prière c'est l'expression de l'amour de Dieu, principe même de la vie humaine et enfin dans Dieu c'est la crise morale apaisée par la foi. L'aspiration à l'au-delà, topos récurrent dans l'écriture romantique, hante le poète et surtout l'homme qu'il est. Transcender Dieu semble constituer le fond même de la pensée lamartinienne, essentiellement chrétienne, mais d'un christianisme poétique, naturel qui rappelle celui de Chateaubriand qui atteste dans son essai Génie du Christianisme que: «Dieu, la matière, la fatalité ne font qu'un (…) voilà mon système, voilà ce que je crois. Oui tout est chance, hasard, fatalité dans ce monde.».

Par ailleurs, les va-et-vient entre doute et certitude se révèlent même à travers l'évolution du recueil. L'on a d'abord le deuxième poème intitulé L'Homme qui dit qu'il s'agit bel et bien d'une méditation sur sa condition autant spirituelle que rationnelle, ensuite L'Immortalité (poème 5) qui traduit son désir d'avoir cette caractéristique divine, mais heurté au Désespoir (poème 7), il apprend à se résigner à la volonté de Dieu puis en fait un discours destiné vraisemblablement à l'homme dans La Providence à l'Homme (poème 8) et où il accentue la force de l'instance divine sur lui et enfin La Prière (poème 16); La Foi (poème 18) et Dieu (poème 28) qui montrent un poète partagé entre l'inspiration chrétienne et l'inspiration déiste, entre un doute blasphématoire (p.80): «-Mais tandis qu'exhalant le doute et le blasphème/ Les yeux sur mon tombeau, je pleure sur moi-même/ La foi se réveillant, comme un doux souvenir/ Jette un rayon d'espoir sur mon pâle avenir» et un doute religieux (p.104):«Que ma raison se taise, et que mon coeur adore/ La croix à mes regards révèle un nouveau jour/ Aux pieds d'un Dieu mourant, puis-je douter encore?/ Non, l'amour m'explique l'amour».

3) La seule évocation de l'amour suggère éventuellement l'essence du rapport qui lie le poète à son Dieu. L'on assiste à une véritable construction ou reconstruction de l'alliance entre la créature humaine et son Créateur.

Lamartine énonce donc dans un premier temps un constat: puissance céleste face à l'impuissance de l'être humain qui le mène à un doute passager et en revanche indispensable à la quête de Dieu, pour arriver finalement à la nature du sentiment qui l'attache à Lui. Lamartine triomphe dans la plupart de ses écrits des incertitudes qui l'envahissent et aboutit ainsi à des élans optimistes. Aussi invite-t-il Byron à s'incliner devant la volonté divine, même incompréhensible (V.33/p.26): «Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place». Pareille abdication dévoile l'incapacité pour l'homme de cerner Dieu uniquement à travers la raison et l'on lit à ce propos (V.7/p.27): «Que celui qui l'a fait t'explique l'univers/ Plus je sonde l'abîme, hélas! Plus je m'y perds», (V.11/p.26): «Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison»; (V.5/p.26):«Comme toi, ma raison en ténèbres abonde/ Et ce n'est pas à moi de t'expliquer le monde». Devant «l'Eternelle raison» la raison de l'homme est inefficace. Et le fait d'admettre cette inefficacité relève d'une sagesse qui mène à la sérénité et à la paix intérieure.

C'est la problématique de croire ou savoir qui est en jeu. L'ascèse religieuse, selon le poète, n'est alors pas du tout une faiblesse, elle jaillit de la plénitude, de la force et de l'unité de la vie. Trouvant sens davantage dans la glorification d'un Dieu seul capable de garantir l'équilibre de l'homme. Le «Gloire à Dieu» répété presque 10fois dans la méditation sur L'Homme met en lumière un Lamartine divisé entre la philosophie et l'instinct religieux. La croyance n'est pas moins une démission de la raison qu'une tentative d'atteindre à une raison Suprême et éternelle; celle de Dieu. C'est comme le pense Durkheim dans son ouvrage Les Formes: «une force pour supporter les difficultés de l'existence». C'est ce qu'on remarque dans les vers (p.75) du poème La Prière: «Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté/ J'attends le jour sans fin de l'immortalité/ La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres/ Ma raison voit le jour à travers ces ténèbres/ C'est le dernier degré qui m'approche de toi/ C'est le voile qui tombe entre ta face et moi».

Lamartine parvient donc à résoudre cette problématique en expliquant la nature de l'amour auquel il aspire incessamment. S'il exprime sa faiblesse, ses doutes et ses questionnements autant plaintifs et mélancoliques que philosophiques et métaphysiques, ce n'est que pour accentuer sa quête de la vérité divine; de l'amour de Dieu. Ainsi fait-il de la foi, du sentiment religieux, un tremplin vers l'immortalité de son talent de poète.

III.

Dans sa préface des Méditations, et précisément à la partie portant le titre Des Destinées de la poésie, Lamartine témoigne: «Quelle que puisse être encore la diversité de ces impressions jetées par la nature dans mon âme, et par mon âme dans mes vers, le fond en fut toujours un profond instinct de la divinité […] une conviction ferme et inébranlable que Dieu était le dernier mot de tout, et que les philosophies, les religions, les poésies n'étaient que des manifestations plus ou moins complètes de nos rapports avec l'Être infini». C'est ce qu'il essaye justement de démontrer à travers sa poésie où la foi se porte comme seul gage d'une symbiose entre l'écrit et le ressenti. Une espèce de recherche de l'harmonie religieuse et poétique à laquelle il consacrera un recueil plus tard et où il atteindra son inspiration la plus haute, laquelle inspiration provient de l'abandon au divin.

Mais dans ce recueil, en l'occurrence Les Méditations poétiques, Lamartine annonce d'ores et déjà sa quête et en fait le motif de ses méditations. Dans son poème La Philosophie (V.4/p.89) interpellant le Marquisde la Maisonfort: «Ami! Je n'irai plus ravir si loin de moi/ Dans les secrets de Dieu ces comment, ces pourquoi/ Ni du risible effort de mon faible génie/ Aider péniblement la sagesse infinie», il met l'accent sur sa résolution de céder à la volonté de Dieu et réaliser ainsi le bonheur tant souhaité par son âme fatiguée de questionnements. «L'art d'être heureux est tout l'art de vivre» conclue-t-il (p.90) et ce grâce à l'extériorisation de cet art, faisant écho à l'art d'écrire, que s'accomplit la joie du bien-être.

A cet égard, on constate une harmonie dans la construction même des vers et le mouvement du poète au sein de la nature, reflet d'un séjour divin. Le climat fertile qu'offre la nature, cette fois, poétique est une occasion pour mieux implorer Dieu voire le transcender. L'on entend alors La Prière d'un Lamartine qui choisit un espace-temps adéquat à la fusion de son âme avec celle de Dieu(V.4/p.75): «C'est toi que je découvre au fond de la nature/ C'est toi que je bénis dans toute créature/ Pour m'approcher de toi j'ai fui dans ces déserts/ Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs».

Il est à noter que la plupart des pièces destinées à Dieu (La Prière; Dieu; La Foi et autres) sont en alexandrins à rimes plates et constituent en fait des épîtres ou des discours en vers qui rappellent sans doute les Discours sur l'Homme de Voltaire, mais le dépassent en ce qu'elles suggèrent de l'amour dans une religion sensible au coeur et à la raison. Le credo de Lamartine vogue entre catholicisme comme en témoignent les évocations bibliques, déisme et panthéisme. Prônant une religion tout à fait naturelle, son coeur reste somme toute élevé aux sensations humaines et sa parole sacrée fait naître la parole poétique.

L'on assiste, à cet effet, à une espèce de pastiche de l'Ancien Testament notamment dans les pages consacrées:

1/ A La Genèse où l'on lit: «Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut»1.1/ «Dieu dit: Faisons l'homme à notre image»26.1 correspondant respectivement aux vers de La Poésie Sacrée: «Dieu dit, et le jour fut; Dieu dit: Faisons l'homme à ma vivante image».

2/ Au livre de Job où il est écrit dans la partie réservée à «ses plaintes»:«Périsse le jour où je suis né, et la nuit qui dit: un enfant mâle est conçu»3.1 se retrouvant également dans La Poésie Sacrée en ces termes: «Ah! Périsse à jamais le jour qui m'a vu naître! Ah! périsse à jamais la nuit qui m'a conçu».

3/ Le livre d'Ezéchiel qui partit en mission pour convertir les fils d'Israël: «L'Esprit entra en mois, et me fit tenir sur mes pieds»3.24 et qui trouve son écho sous la plume de Lamartine:«L'Eternel emporta mon esprit au désert».

4/Les Psaumes de David, ses louanges et ses prières semblables à celles du poète: «Mes cris t'éveilleront, et mon humble prière/ S'élèvera vers toi, comme l'encens du soir» qui rappelle «Appel à la miséricorde divine»:«Aie pitié de moi, Eternel! Car je suis sans force; guéris-moi, Eternel! Car mes os sont tremblants».

Si Lamartine tente de réécrire ces épisodes majeurs de l'Ecriture sainte, c'est moins pour montrer son talent poétique que son désir de les adapter à la compréhension humaine. Il le dit d'ailleurs dans son commentaire: «J'avais peu lu la Bible. J'avais parcouru seulement comme tout le monde, les strophes des psaumes de David ou des prophètes[…] Ces langues de feu m'avaient ébloui. Mais cela me paraissait si peu en rapport avec le genre de poésie adapté à nos civilisations et nos sentiments d'aujourd'hui, que je n'avais jamais pensé à lire de suite ces feuilles détachées des sibylles bibliques». Lamartine se fait alors non pas l'intermédiaire entre l'homme/le lecteur et Dieu, mais propose une écriture nouvelle et mystique afin de fortifier le lien existant entre Le Divin et le Mortel.

La Poésie sacrée couronne ainsi cette ébauche et reflète, par suite, le don poétique et même prophétique d'un poète sûr de l'existence de Dieu et même heureux dans son espoir de le retrouver au «séjour éternel». En fait preuve le dernier vers qui clôt son recueilécrit en majuscule: «PAIX A LA TERRE ET GLOIRE AUX CIEUX».

Le poète transcende ainsi Dieu en se réappropriant ses discours et parvient à faire de ses méditations plaintives et mélancoliques des «Psaumes modernes» où il est question non seulement d'une reconnaissance de la gloire divine, mais surtout de sa louange.

Le religieux (plus que la religion) chez Lamartine est partout. L'évocation et l'invocation de Dieu, le rapport d'amour qu'il établit avec lui semblent représenter pour le poète des Méditations la finalité de toutes ses poésies. La Méditation rend justement compte d'un lien nouveau entre le monde et son Créateur. Dieu est dans ce cas non pas cette puissance implacable et méchante qui abandonna l'homme à son sort, il est tout au contraire, le refuge des «âmes sensibles» lyriques et romantiques aspirant en permanence à un au-delà édénique. L'on lit dans cette perspective: «Dieu savait bien quand, emprisonnant l'homme dans ce petit navire de quelques mille pas d'étendue de la poupe à la proue, il lui a donné du moins pour horizon cet espace sans fond du firmament qui provoque sans cesse la pensée et qui fait monter son âme à l'éternelle poursuite de l'infini». Lamartine, en croyant lucide, arrive grâce à ses méditations où se mélangent croyance et savoir/ coeur et raison à se souvenir de l'amour de Dieu afin de s'unir à Lui.

En dépit de ce perpétuel balancement entre l'orthodoxie et la révolte, c'est en définitive ce désir de servir Dieu, de proposer une religion naturelle qui paraît présider à la pensée religieuse de Lamartine. Ne dit-il pas que «Borné dans sa nature, infini dans ses voeux/ L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux?» HASSOUN Oumaima



Pour citer cet article :
Auteur : Hassoun Oumaima -   - Titre : Dieu chez Lamartine (les méditations poétiques),
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