L'analyse conversationnelle appliquée à une séquence authentique

(JAAFARI Ahmed)

Introduction

La linguistique structurale et la linguistique générative transformationnelle sont essentiellement centrées sur la dimension locutoire qui prenait en compte la structure indépendamment de l'instance discursive. Bien qu'ayant élaboré de puissants outils d'analyse, cette linguistique dite de locution se maintient au niveau de la phrase conçue comme une entité abstraite décomposable en parties constitutives et considérée hors contexte. «La relation dialogale est à peu près ignorée dans la tradition structuraliste, préoccupée par la langue en soi, comme si personne n'affirmait, ne niait, n'interrogeait, n'invitait, ne s'exclamait; personne ne recevant de parole, personne aussi bien ne répond, n'exécute, ne réagit»1

En constatant que le sens de certaines phrases et surtout de certains éléments reste indéterminé en dehors de toute situation communicative, les linguistes en sont venus à s'interroger sur l'usage communicationnel de la langue en action. Parallèlement, on s'éloigne peu à peu du schéma traditionnel, linéaire et à sens unique, de la communication de type «télégraphique» pour adopter une représentation qui inclut la rétroaction (feed-back). Ce changement de perspective est gros de conséquence pour la linguistique. Le va-et-vient de la parole suggère une interaction langagière (action et réaction), en entendant par là l'influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives, influence capable d'entraîner des modifications dans le comportement verbal ou non verbal des participants.

Si dans une première étape du développement de la théorie de l'énonciation, le locuteur est considéré comme le seul paramètre dont on doit tenir compte dans l'analyse de l'énoncé, dans la perspective interactionnelle, qui impose l'idée d'échange, on introduit un deuxième paramètre, l'interlocuteur: la formule classique MOI-ICI-MAINTENANT devient ainsi MOI-TOI-ICI-MAINTENANT. «Le locuteur cesse d'être au centre de l'énonciation comme celui qui mobilise l'appareil de la langue au service(ou au profit) de son dire. La situation typique d'énonciation n'est plus égocentrique »2. Du coup, l'intérêt se déplace vers la question QUI PARLE AVEC QUI? au lieu de QUI PARLE À QUI? De la subjectivité à l'intersubjectivité, voilà le chemin parcouru par la science du langage qui s'achemine de cette manière vers la constitution de nouvelles disciplines fondées sur le concept d'interlocution, un échange de mots qui implique l'existence d'un destinataire physique distinct du locuteur. Pour qu'il y ait communication, il faut que le destinataire du message devienne allocutaire, c'est-à-dire un participant à l'échange verbal capable de modifier à son tour, par son dire, les actions du locuteur. Si dans une première étape du développement de la théorie de l`énonciation, le locuteur est le seul paramètre de l`analyse, dans une perspective interactionnelle on introduit un deuxième paramètre, l`interlocuteur: la formule classique MOI-ICI-MAINTENANT devient MOITOI- ICI-MAINTENANT, de la locution on passe à l`interlocution, de la subjectivité à l`intersubjectivité, de l`appareil formel de l`énonciation aux stratégies discursives.

La conversation est un type particulier d`interaction verbale. Les thèmes majeurs de l`analyse conversationnelle sont: la situation communicative, la compétence communicative, la structure hiérarchique de la conversation, le caractère dynamique de la conversation.

Les principaux facteurs de la situation communicative sont: les participants, le canal, le contact psychologique, le setting physique et institutionnel, le sous-code.

Le contexte est un concept central de la théorie de la conversation. On distingue quatre types de contextes: circonstanciel (le setting - les participants, leur environnement, l`espace-temps de la communication), situationnel (contexte socio-culturel), interactionnel (enchaînement des séquences discursives), présuppositionnel (le savoir partagé des interlocuteurs, leurs croyances, etc.).

Le schéma général des interactions langagières est la séquence d`ouverture, le corps de l`action, soumis au principe d`alternance, la séquence de clôture.

Chaque participant doit observer les quatre maximes conversationnelles: de la pertinence, de la quantité, de la qualité (véridicité), de la manière (clarté).

La conversation est soumise à une triple série de contraintes:

interactionnelles (de nature sociale), structurelles (qui agissent au niveau des interventions), d`enchaînement (qui agissent au niveau de la structure de la conversation).

La situation communicative est un ensemble complexe constitué de deux composantes3 : l'environnement physique dans lequel se déroule l'échange verbal, les circonstances spatio-temporelles et ce fragment de référent perceptible aux interlocuteurs ou la mini-situation communicative; l'ensemble des conditions matérielles, économiques, sociopolitiques (niveau d'instruction, champ d'expérience) qui déterminent la production / réception du message ou la maxisituation communicative.

La situation joue un triple rôle: c'est un facteur de désambiguïsation dans la circulation des

contenus informationnels; c'est un facteur d'économie des moyens linguistiques; c'est un facteur co-déterminant des fonctions de parole.

Le contexte est un concept central et caractérisant pour la théorie de la conversation. L'importance du contexte a été mise en évidence au moment où l'attention des linguistes s'est portée sur les expressions dont le référent varie systématiquement avec les circonstances de leur production.

Ces éléments qui renvoient nécessairement à un sujet énonçant, à l'espace-temps de la communication sont désignés par le terme de symboles indexicaux.

On distingue quatre types de contextes :

le contexte circonstanciel – les participants, leur environnement, l'espace-temps de l'échange, c'est-à-dire le setting (le site);

le contexte situationnel – notion culturelle déterminante pour les pratiques langagières et le choix des moyens linguistiques;

le contexte interactionnel – l'enchaînement des séquences discursives avec la spécification des rôles interactionnels;

le contexte présuppositionnel – les croyances communes des coparticipants, leurs attentes, leurs intentions.

Dans le contexte circonstanciel, les participants assument successivement les rôles interlocutifs d'émetteur et de récepteur. Ils se caractérisent par certains traits, déterminants pour la forme de l'échange conversationnel:

. L'axe de la notoriété: connu / inconnu, intime / non intime

On distingue ainsi quatre types d'interlocuteurs4:

de plein droit (membres de la famille)

légitimes (collègues, amis, relations)

autorisés (situation définie par nécessité)

improbables (inconnu)

. l'axe de l'autorité: égal / non égal (supérieur / inférieur)

. L'axe de l'attitude: convergente (bienveillante) / neutre (indifférente) / divergente (agressive)

Nous allons voir à présent ces principes appliqués à une conversation authentiques. Notre objectif sera d'bord, de voir comment se déroule l'interaction verbale entre les conversants, et puis, nous essayerons de répondre à la problématique du rapport de genre dans une conversation mixte.

Développement

Présentation du dialogue: ce dialogue est traduit de l'arabe dialectal et du berbère!( F= femme/ H= homme)

Nb: pour le besoin de l'étude, et pour l'authenticité, c'est enregistrement qui a été réalisé à l'insu des conversants

Transcription: (il y a les tours de paroles, avec les silences, les chauvechements, les paroles en même temps…etc…)

1-H1: Chakira I (…) 2- F1: Sanaa la connaît(…) 3- H1: Ah oui, je la connais (…) 4- F1: AH, tu la connais, petit diableI (…)5- H1: Elle était avec nous à la facI }

6- F1: La fac? C'est trop pour elle la fac/. Elle n'a même pas le bac!/(…) Eh bien, voilà! C'est ce que les gens disent/ Moi, je ne veux pas l'encourager. Parce que si je l'encourage, je vais payer pour son fils ou sa fille. Et je vais payer le loyer pour la femme. Comme ce que faisait mon frère Abderrahim.: Elle a divorcé, elle n'a plus de femme ni de fils et il paie chaque mois, 800 dhs. / Si, moi, je voyais qu'il y avait un bon parti, je me présenterai, mais mon fils va se noyer, et il n'y aura plus de femme ni rien du tout, et il se mettra à payer(…) 7- F2: oh non, si les choses ne sont pas bonnes…}

8- F1: La moudawana! C'est ce que nous apporte la moudawana. Elle est du côté de la femme: si tu es coincée, tu paies ce qui est dû. Tu paies pour la femme le loyer, et si elle a un fils ou une fille, tu paies pour eux.

9- H2: Il est encore trop jeune(…) 10- F1: Mais il n'y a encore rienI Pour Nabil, il n'y a encore rien(…) 11- F2: Si c'est un bon parti, il n'y a pas de mal à essayer}

12- F1: Pourvu! Tu vois, si elle était une fille de bonne famille, je te jure, que je laisserai mon appartement à mon fils. Je ne te mens pas/ Et oui, il n'y a une bonne famille. On ne recherche pas la beauté, ni le travail, mais la famille (…) 13-F3: Ah oui, Les filles de bonnes familles.}

14- F1: La famille. Qui seront les oncles de son fils, qui serontÂ…}

15-H3: Que Dieu l'aide.

(F2 reçoit une communication, et tous se taisent et l'écoute parler au téléphone)

16-F2 [elle parle en berbère]: Voici ses réponses au téléphone:

Elle n'est pas venue. Yassir est resté avec elle.(Silence)

Maintenant! (silence)

Oui, que Dieu bénisse. (silence)

Non vendredi, je travaille. (silence)

Mais Fatéma ne peut pas venir: elle est malade. (silence)

D'ici, là, nous verrons! Que Dieu vous bénisse]

17-F1: Et bien, voici une invitation! Qu'est-ce qu'on avait dit!/ L'invitation, un vendredi/Tu as jamais vu une invitation, un vendredi! (…) 18- F2: Non le vendredi, c'est le henné/ (Elle explique en berbère à F5, qui ne parle pas l'arabe) [On te dit que vendredi, ils organisent le henné/ mais vous n'avez pas à y aller le vendredi] }

19- F6: (En riant) Vendredi, vous n'avez pas besoin de venir(Â…)}

20- F2: écoutez, moi depuis que j'étais à l'école, on me disait toujours: très bien; intelligente/( rires)/ vous , vous n'avez pas besoin de venir le vendredi (rires) (…)21-F5 (EN berbère) [Ceux-là, se moquent de toi ou quoiI (…)22-F2: mais non! ils m'ont dit«ta mère»,je leur ai répondu qu'elle est malade/ ils ont dit d'essayer quand-même, elle prendra la meilleure place.] }

23- H1: Elle va stationner, pour prendre placeI /La femme ne peut même pas bouger(…) 24-F2: Ma mère, si elle pouvait bouger, je l'aurais amenée ici plutôt! (…) 25-F3: elle ne peut pas la pauvre (…) 26-F1: elle ne peut pas entendre les gens le bruit. (…) 27-F2: Moi je sais ce qu'il y a. Si elle pouvait s'asseoir un peu, je l'aurais amenée ici, pour la mettre au lit avec Asmaa. / Moi, je sais que la femme, ne peut pas. Elle ne peut rien faire. (…) 28-H1: Ni s'asseoir, ni écouter le bruit, ni faire quoi que ce soit. (…) 29-F1: C'est Dieu qui la soutient, la pauvre. Elle supporte! Et bien, oui elle supporte/ C'est une mère: imagine que tu es mère et que tu es dans cet état; c'est-ce qu'il y a, et tu attends et à la fin: que dalle.}

30- H1: mais on attend toujours(…) 31-H2: Bien sûr (…)32-H3: Peut-être qu'il ya autre chose}

33-H1: On va faire les noces, et on va faireÂ… et on va faireÂ…}

34-H2: Et bien, celui-là, il veut se défouler?! (Rires) (…) 35-F3: Réveille-toi! et prépare-toi: tu dois marier celui-là 36-(H3), et après ce sera Abdeslam (rire) (…) 37-H3: Inchallah. Si Dieu le veut. Le miséricordieux. (…) 38-H1: Père, père, je suis ici, je suis ici: regarde moi!(Rires) (…) 39-F6: Il n'a pas honte (…) 40-F2: Et bien toi alors! Pourquoi la honte?!(…) 41-F3: Cette génération alors!}

42-F1: Attends, je vais te dire: mon frère Khalid qui est timide, et bien il a fait un scandale/ C'est pourquoi il vaut mieux ne pas avoir honte (…) 43-F3: Qu'il y en vienne directement alors!(rire) (…) 44-F4: (àH1) Sois tranquille, tu trouveras une petite fiancée.(…)45-F1: Qu'est-ce que tu vas trouver? J'en doute!(…) 46-F6: Dis-lui, que Dieu te trouve un travail d'abord! (rires) (…) 47-H2: qui sait? Amen!(…) 48-F2: Quelques fois, tous les deux arrivent en même temps: celle-là et celui-là(le travail et la femme)

49-F4: Que Dieu bénisse, Que Dieu facilite les choses!(…) 50-F3: Amen! Que Dieu te sauvegarde ma soeur!/Ses enfants, les pauvres, ils n'attendent que le travail pour se marier!

51-F2: Tu n'as pas vu IssamI Ce que Issam faitI / (en berbère)[Il a écarté toute timidité entre lui et son père/Il lui a dit: écoute papa, maman est fatiguée/ Laisse-moi chercher une femme/ Elle va s'occuper de la maison./Son père lui a répondu: pourquoi tu me le demandesI Moi je ne suis pas contre.(Rires)/}

52- F1: Il lui prépare le chemin?! (Rires)]

53-F3: Il frappe à sa porte?il frappe à sa porte? (rires)(…) 54-H2: Il est encore trop jeune!}

55- F2: Moi, j'aime le mariage précoce!(…) 56-F3: Eh oui, il n'y a pas mieux!}

57- F1: Et bien! Qu'est-ce que je vais te direI Que Dieu le fasse tomber sur une fille de bonne famille/ L'individu ne doit pas chercher ni beauté, ni ceci, ni cela, mais la famille et l'origine/ C'est le plus important(…) 58-F3: Comme a dit un monsieur: Que Dieu nous fasse rencontrer ceux qui sont mieux que nous! }

59- F4: Et pourquoi pas seulement comme nous (rires)/comme cela, ils nous détesteront (rires)/ET bien justement, pourquoi pas, moi-même (rires) }

60- F5: (en berbère)[ La politesse et la décence/ Que Dieu nous préserve de La convoitise] }

61- H2: Que Dieu bénisse. Que Dieu aide tout le monde. (En berbère) [Allez debout, debout!(…) 62-F3: Bouâazza est pressé peut-être, c'est pourquoi, il est se lève!]/Bouâazza ne veut pas vieillir. Il veut que Yasser patiente encore! }

63- F1: Mais non, il veut le marier n'est-ce pas? Quand est-ce qu'il va se réjouir des ses petits-enfants alors? }

64- H2: Que Dieu apporte ce qu'il y a de mieux! }

65-F2: On a encore la force d'éduquer et de recommencer! (rires) }

66- F6: Et bien! Oh là là dis donc! Oh la là! (Rires)

67-F2 (à F3): et bien quoiI toi, tu n'es pas en train d'élever tes petits-enfantsI

68-F3: mais bien sûr/ et bien Que Dieu aide les futurs mariés (…) 69-F2: Amen! Amen! ma soeur! Dieu de tout le monde.}

70- F1: Parce que, eux, quand ils font des racines, ils deviennent difficiles. Que ce soient les garçons ou les filles (…) 71-F2: oui, c'est la même chose! }

72- F3: quand ils grandissent, ils deviennent difficiles.}

73- H2: Et bien, que Dieu vous procure la paix! Que Dieu nous fasse rencontrer dans une heure de bien(…) 74- F2: (à F6) Va dormir maintenant, tant que le nourrisson est encore endormi(…) 75-F1: Et embrassez-nous le petit poussin.

(Fin de la conversation qui duré Quelques 7 mn)

1- le contexte circonstanciel:

Sur l'axe de la notoriété, la présente conversation se déroule entre 7 femmes et 3 hommes. Ils sont tous de la même famille sauf 2femmes (F1 et F7).

Ils sont réunis dans la maison de F6 qui vient de donner naissance à un bébé. Nous avons ainsi respectivement: F1, une femme de 48, institutrice. Elle est la collègue de F3, du même âge, et qui est la mère de F6.Ensuite, il y a F2 enseignante au CPR, la cinquantaine. Elle est la tante paternelle de F6. F4 est la tante maternelle de F6; elle a la quarantaine.(sans niveau scolaire) et F5 est sa grand-mère paternelle; elle 80 ans. F7 est la collègue de F6; elle a 36 ans. Alors que F6 a 28 ans.

En ce qui concerne les hommes, H1 est le frère de F6. Il a 28 ans. Il a un diplôme de cuisinier. IL est en chômage. H2 est le mari de F2. Il est enseignant au lycée. Il est à la veille de la retraite. Et enfin H3, qui est le père de F6. Il a 54 ans. Il est économe.

C'est F7 qui a fait l'enregistrement, avec la complicité de F6.Elle se contente de rire. C'est elle l'étrangère dans le groupe. C'est ma femme.

Les participants obéissent donc au principe de plein droit à la conversation, puisqu'ils sont de la même famille, et à celui de légitimité, puisque F6 et F7 sont collègues ainsi que F1 et F3 qui sont des collègues de vieille date, presque de la famille.

Sur l'axe de l'autorité, on peut vaguement déceler une certaine autorité, chez les hommes, que nous développerons plus loin, puisqu'ils ne participent à la discussion que pour donner des bénédictions (H2, H3)ou pour ironiser (H1) , et c'est H2 qui entame la clôture de la discussion.

Enfin, en ce qui concerne l'axe de l'attitude, il y a beaucoup plus de convergences que de divergences.

2- Le contexte situationnel:

Les participants à la conversation sont presque tous berbères(Sauf F1 et F7) Ils partagent la même culture et se connaissent depuis longtemps. Et même s'ils vivent depuis longtemps à Casablanca, ils communiquent le plus souvent en berbère, surtout avec les mères, grands-mères, telle que F5, ou F4, qui a quitté l'école au primaire et n'a jamais travaillé.

Un référent culturel, les unit, et là les deux étrangères aussi, c'est le métier: exceptées F4 et F6, ils sont tous dans l'enseignement, même si on ne parle de l'école que deux fois, mais en tant qu'étudiants ou élèves et non en tant qu'enseignants.

Ils utilisent souvent le berbère quand ils communiquent spontanément. Et ceci, pour faire profiter la grand-mère de la discussion: dans la société berbère, la Mère a une place particulière et jouit de toutes les considérations.

3- Le contexte interactionnel:

Les conversants sont pris dans un moment où ils interagissent autour d'une thématique qui les intéresse tous, à savoir le mariage. Cette thématique les implique à juste titre, puisque c'est F1 qui a soulevé la question, car elle a un problème avec son fils (Nabile) qui veut épouser une fille qu'elle n'apprécie pas. F2 et H2, ont un fils (Issam) qui réclame de se marier, alors que F3 et H3, sont les parents de H1, célibataire et n'attend que le travail pour se marier/ du moins chercher.

Les interventions des interlocuteurs participent de ce bien fondé de la cause commune, et s'inscrivent dans des interactions discursives, où celui ou plutôt celle qui prend la parole ou réagit à l'intervention inscrit sa participation dans la logique argumentative qui défend sa thèse ou appuie la thèse de l'autre.

4- le contexte présuppositionnel:

Les participants se réfèrent aussi souvent que possible à Dieu dans leurs invocations. Cependant, à aucun moment, ni le coran, ni le Hadith, n'ont été évoqués. La notion de politesse, et de décence sont des valeurs appréciées et recherchées par les familles.

Les participants se livrent avec une spontanéité qui témoigne de leur degré d'intimité. Ils se connaissent bien, et n'ont pas besoin de rappeler entre eux, les faits passés; Ils savent qu'ils peuvent compter sur la coopération des autres. Leurs intentions sont souvent comprises et leurs attentes comblées. F1, quand elle veut dénigrer la future fiancée de son fils, elle ne lésine pas, F1 a une thèse à défendre, c'est pourquoi, elle parle beaucoup et plus longtemps et sait qu'elle va avoir l'approbation des autres; et elle l'obtient.

II- Analysede la séquence:

1- Structure de la séquence:

Une séquence est définie comme «un bloc d'échanges reliés par un fort degré de cohérence sémantique et pragmatique, c'est-à-dire traitant du même thème, ou centré sur les mêmes tâches»5

La plupart des interactions se déroulent selon un schéma général:

séquence d'ouverture

corps de l'interaction

séquence de clôture

Vu la thématique soulevée dans la conversation et qui constitue la préoccupation centrale de cette interaction verbale, on peut considérer cette conversation comme une séquence en soi. En effet, la cohérence sémantique et pragmatique, de la conversation tourne autour du mariage, et vise à déterminer en premier lieu, les critères qui permettent de choisir d'un côté, la future bru et de l'autre l'épouse. Et en second lieu à faire réagir les interlocuteurs, en les amenant à un partager un point de vue.

En ce qui concerne, le schéma selon lequel une interaction se déroule, il est clair ici, que nous n'assistons pas à la séquence d'ouverture. Ceci, se justifie par le fait que F7 qui a enregistré la conversation, n'a rejoint le groupe que plus tard. Mais, il est à supposer que l'ouverture a commencé par ce que Moeschler appelle les rituels de confirmation, qui comprendront aussi bien les salutations que les félicitations pour la nouvelle maman.

Il est à supposer aussi, que le sujet de mariage découlera rituellement, des félicitations et des voeux formulés à l'intention des enfants respectifs, et que la conversante, F1 qui a le problème de mariage du fils sur le coeur, se soit sentie impliquée et réagisse en faisant un sujet de discussion. Quoi qu'il en soit, le mariage constitue le corps de l'interaction, et qu'il est même appuyé par la communication téléphonique qui vient annoncer un prochain mariage.

Les échanges de clôture ont été initiés par H2, parce que ce sont lui et sa femme qui doivent partir parce qu'ils habitent loin, alors que F1, c'est une voisine, de F6, en plus qu'elle est l'amie et collègue de sa mère, F3.Les autres sont des frères et soeurs, ils vont rester encore.

A ce moment-là F7, qui doit aussi partir, a juste le temps de récupérer le dictaphone que sa complice a posé sur un guéridon. Elle est partie plutôt avant les autres, qui doivent surement avoir prolongé la séance de clôture.

2- Principe de la protection des faces:

Dans l'échange conversationnel, la négociation entre interactants joue un rôle essentiel, mais elle est régie par deux principes interactionnels fondamentaux que l'on peut résumer par ces consignes : “ménagez-vous les uns les autres “ et “ne vous imposez pas “, qui conduisent directement aux règles de politesse.

Le principe de la politesse6 est fondé sur les notions conjointes de face positive (l'image publique valorisante du locuteur et de son interlocuteur) et de face négative (le territoire personnel de chaque interactant). Dans toute interaction verbale il y a deux couples de faces qui se confrontent et dans le déroulement de l'échange, les interactants sont amenés à accomplir des actes potentiellement menaçant les faces négatives et positives du locuteur et de son interlocuteur.

Si nous voulons appliquer ce principe à notre corpus, nous allons trouver qu'il s'y prête bien. En effet, F1, qui veut sauver sa face positive, n'a pas ménagé tous les arguments pour critiquer la femme que son fils veut épouser.

Passage:

6- F1: La fac? C'est trop pour elle la fac/. Elle n'a même pas le bac!/(…) Eh bien, voilà! C'est ce que les gens disent/ Moi, je ne veux pas l'encourager. Parce que si je l'encourage, je vais payer pour son fils ou sa fille. Et je vais payer le loyer pour la femme. Comme ce que faisait mon frère Abderrahim.: Elle a divorcé, elle n'a plus de femme ni de fils et il paie chaque mois, 800 dhs. / Si, moi, je voyais qu'il y avait un bon parti, je me présenterai, mais mon fils va se noyer, et il n'y aura plus de femme ni rien du tout, et il se mettra à payer(…) 7- F2: oh non, si les choses ne sont pas bonnes…}

8- F1: La moudawana! C'est ce que nous apporte la moudawana. Elle est du côté de la femme: si tu es coincée, tu paies ce qui est dû. Tu paies pour la femme le loyer, et si elle a un fils ou une fille, tu paies pour eux.

Elle invoque la Moudawana, et n'hésite pas à citer l'exemple de son frère qui a divorcé. Elle critique même la moudawana, qui normalement, est venu appuyer la cause de la femme, mais, ici F1, parle de la femme, comme si elle était un homme, puisqu'elle la femme qui sera défendu ce sera son ennemie, celle qui l'obligera, ou obligera son fils à payer en cas de divorce. Cependant, F1 ne dépasse pas ses limites et ne fait jamais allusion aux enfants des autres. Elle ne menace pas la face négative des autres.

Ses interlocuteurs, non plus, ne s'avancent pas trop, sur le sujet. Ils ne sont surement pas d'accord avec elle, mais ils ne le manifestent pas, et restent polis en formulant des souhaits.

Passage:

9- H3: Il est encore trop jeune(…) 10- F1: Mais il n'y a encore rienI Pour Nabil, il n'y a encore rien(…) 11- F2: Si c'est un bon parti, il n'y a pas de mal à essayer}

Ici, on peut signaler quand-même, qu'il y a une différence de culture entre F1 et les autres. Elle n'est pas berbère. Elle est de la région d'Oujda. Elle ne connaît le berbère. Et si c'est vrai qu'elle les connait bien, elles ne sont pas de la même culture ou tradition. Pour les berbères la question de l'origine, ne se pose que rarement, puis qu'ils se marient généralement de la famille.

Par contre, il est à noter que les conversants communiquent facilement entre eux en berbère. Et même, la conversation au téléphone est en berbère. Le fait de parler en arabe pour eux, entre facilement dans le cas des réponses à F1, et dans le cadre de la politesse, ils traduisent pour elle la conversation téléphonique.

Passage: (…) 18- F2: Non le vendredi, c'est le henné/ (Elle explique en berbère à F5, qui ne parle pas l'arabe) [On te dit que vendredi, ils organisent le henné/ mais vous n'avez pas à y aller le vendredi] }

Ceci, est évoqué pour signaler cette coopération qui se base sur ce principe de la protection des faces et dont l'enjeu est la cohésion du groupe.

3- la construction argumentative de la conversation:

Les paroles qui sont émises au cours de conversations sont porteuses d'informations qui permettent à chacun de se situer et de situer l'autre dans le monde. Les propriétés par lesquelles on se définit ne sont pas des données permanentes, mais sont défendues argumentativement en fonction des interlocuteurs, de la situation, de l'ambiance, des finalités, etc

L'argumentation repose sur un principe qui va très bien de pair avec l'idée de la construction «hic et nunc» de la conversation: ce que l'on soutient relève de la croyance et non de la vérité, et tout individu peut être amené à défendre aujourd'hui une position qu'il rejettera demain avec le même degré de sincérité (Perelman et Olbrechts-Tyteca 1988: 479). Cependant, si la rhétorique a toujours défendu l'idée que l'argumentation sert à convaincre, l'analyse conversationnelle amène à croire que l'argumentation sert aussi – et peut-être avant tout – à montrer qu'on s'inscrit dans un monde organisé de façon cohérente (Shotter 1993: 122).7

Ainsi si l'on applique, ce qui est énoncé par Diane Vincent, dans les enjeux de L'analyse conversationnelle, nous allons voir que F1 qui défend son point de vue et argumente, dans sa première réplique où elle s'accapare d'ailleurs la parole, est en train d'argumenter et de justifier non pas une vérité, mais une croyance, car selon toute bonne logique, La Moudawana, est du côté de la femme, mais ici, cela ne l'arrange pas, mais si c'était sa fille qui serait dans le ca du divorce, elle n'y verrait que des points positifs, elle dirait«de notre côté» et non du côté de la femme (ici l'épouse).

Passage:

Elle est du côté de la femme: si tu es coincée, tu paies ce qui est dû. Tu paies pour la femme le loyer, et si elle a un fils ou une fille, tu paies pour eux.

Plus loin, elle pense qu'elle peut se permettre de choisir pour son fils, ou de le convaincre, que c'est la famille qui compte, mais l'épouse , peut ne pas être belle, ne travaille pas, .Elle ne pense pas que son fils, pense avant tout à sa femme, plus qu'à sa famille.

57- F1: Et bien! Qu'est-ce que je vais te direI Que Dieu le fasse tomber sur une fille de bonne famille/ L'individu ne doit pas chercher ni beauté, ni ceci, ni cela, mais la famille et l'origine/ C'est le plus important(…)

Quoi qu'il en soit l'art d'argumenter fait croire à la logique des choses, et participe ainsi à cette cohérence qui permet d'entretenir une conversation, sans pour autant, faire croire en la véracité des faits défendus.

4- la dimension genre dans la conversation:

Par la dimension genrée, nous essayerons de voir jusqu'à quelle mesure, le rôle des hommes des femmes dans une conversation reproduisent le schéma classique de la société traditionnelle, où l'homme est celui qui détient le savoir, qui dirige et prend des décisions alors que la femme ne fait que papoter, ou parler pour ne rien dire. Dans notre corpus, la situation n'est pas flagrante, mais elle n'est pas bien innocente quand on s'y intéresse de plus près. Tout d'abord, si on examine, le nombre des assistants, on va vite s'apercevoir que sur dix personnes, il y a 7 femmes et trois hommes. Ceci, révèle un déséquilibre certes imposé par la situation, mais qui n'y aurait lieu d'être s'il y avait eu 7 hommes et trois femmes, car 3 femmes ne se mettraient jamais en compagnie de 7 hommes, alors que l'inverse est toléré (cela rappelle en quelque sorte le principe de la polygamie). Les hommes se sentent supérieurs et ne trouvent aucune difficulté à s'asseoir avec plusieurs femmes. Ensuite, les hommes réputés par le sérieux de leurs conversations, ne trouvent là avec ces femmes aucun intérêt a discourir, et il se contente d'approuver par des bénédictions, à chaque fois qu'ils se sentent obligés de répondre.

Passages:

9- H2: Il est encore trop jeune

15-H3: Que Dieu l'aide. 15-H3: Que Dieu l'aide.

37-H3: Inchallah. Si Dieu le veut. Le miséricordieux.

73- H2: Et bien, que Dieu vous procure la paix! Que Dieu nous fasse rencontrer dans une heure de bien.

Alors que H1, qui jeune est célibataire, il plaisante et se moque,quand il parle de la mère de F2 qui est invitée par téléphone.

Passage:

23- H1: Elle va stationner, pour prendre placeI /La femme ne peut même pas bouger(…)

Et s'il est le plus bavard des trois hommes, c'est parce qu'il dépend beaucoup plus de sa mère que de son père, puisqu'il attend qu'elle le marie.

Enfin, c'est H2 qui clôt la conversation et donne le signal de départ.

Passage:

61- H2: Que Dieu bénisse. Que Dieu aide tout le monde. (En berbère) [Allez debout, debout.

Ces hommes auraient surement eu quelque choses à dire à propos de l'enseignement, puisqu'ils sont du métier, ou en politiques s'ils s'étaient trouvés tous seuls, mais face à cette armée de bonnes femmes, il valait mieux laisser aller les choses.

Conclusion:

Nous savons que toute conversation est unique. Qu'elle est le fruit d'une co-constuction, de la part des participants. Ces derniers collaborent pour faire réussir ce moment de communication, et qui reflète en quelque sorte leur désir de maintenir cette cohésion sociale.

Le respect des règles de cette interaction sociale est de mise. Et entre les rituels d'ouvertures à ceux de clôture, le corps de la conversation est régi par un certains nombre de principes dont les plus importants celui de la politesse. On ne s'impose pas et on ne menace pas l'intégrité de l'autre.

Toutefois, malgré les efforts des participants, leurs interactions qui s'élaborent au moment où ils agissent et régissent, trahissent leur mentalité, et permettent de déceler les écarts qui révèlent ce qui est inscrit dans leur moi profond. Et C'est par le langage spontané qu'apparaissent les vraies natures des personnes.

Dans notre conversation, les hommes méprisent la discussion avec les femmes, et les obligent ainsi à se confiner dans leur réputation de bavardes.



1 C.HAGÈGE, 1985: 235.

2 F.JACQUES, 1983: 56

3 C.KERBRAT-ORECCHIONI, 1980: 206

4 D.ANDRÉ- LAROCHEBOUVY, 1984: 31

5 C.KERBRAT-ORECCHIONI, 1996: 37

6 P. BROWN S. LEVINSON (1987)

7 Vincent DIANE, les enjeux de L'AC



Pour citer cet article :
Auteur : Jaafari Ahmed -   - Titre : Lanalyse conversationnelle appliquée à une séquence authentique,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/monographies/article-analyse-conversationnelle-sequence-ad8n-jaafari-ahmed.php]
publié : 0000-00-00

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