said elhaddad littérature comparée université nice-sophia antipolis france droit et littérature antigone, l'expression de l'esprit qui résiste à la force tyrannique «il est bien des merveilles en ce monde; il n'en est pas de plus grande que l'homme». antigone, le choeur, v, v.332 sophocle, c'est la tragédie parfaite, implacable, à l'état pur, aux résonance idéologique infinie. il a vécu pendant l'apogée d'athènes, le siècle de périclès. né peu après salamine, la victoire sur les perses, il mourut peu avant l'effondrement de la patrie. une vie de bonheur: il l'a résumée dans les dernières lignes d'oedipe-roi: «il est parvenu au terme de sa vie sans avoir connu de chagrin»1. qui pourrait en dire autant? a la fois un grand dramaturge et un grand citoyen: stratège, ambassadeur et combattant. au théâtre, il a succédé à eschyle, dont il fut l'élève avant d'être le concurrent: il a été le contemporain d'euripide. il a écrit centaine de pièce, dont sept sont conservées. je parlerai que d'antigone, probablement la plus grande des tragédies de tous les temps, une des oeuvres les plus importantes de l'humanité, la plus souvent répétée avec une vision sans cesse renouvelée -- la plus célèbre fut celle d'anouilh-, le mythe qui a le plus marqué la civilisation occidentale sur les rapports entre l'individu et la société. tout le monde en connaît l'histoire: polynice et etéocle, les frères ennemis, fils d'oedipe, sont morts devant thèbes; créon, le roi, interdit, à peine de mort, enterrer polynice, l'envahisseur vaincu. antigone, sa soeur, brave l'édit et est condamné à à être emmurée vivante, son fiancé, hémon, fils de créon, l'accompagne dans la mort. eurydice, épouse de créon, et mère d'hémon, et mère d'hémon, se suicide. une tragédie de la mort. depuis sophocle, tout au long de l'histoire, les interprétations que l'on en a données ont été nombreuses et généralement étrangères au textes et aux intentions évidentes de sophocle. ce qui témoigne de la profondeur de la tragédie: le destin des grands textes est de prêter à de multiples contresens. ce qui s'explique aussi, sans doute, parce que ce mythe est une des images les plus sûres de notre civilisation, de ses richesses et de ses ambiguïtés. certaines ne sont favorables qu'à antigone(1); d'autres exaltent créon autant qu'antigone(2); d'autres les accablent l'un et l'autre, parce qu'ils sont, tous deux, au même titre, des insultes au droit et à la justice(3). 1) la plupart sont favorables à antigone: pour l'immense majorité des gens, antigone incarne l'innocence, est la victime héroïque d'un pouvoir despotique et l'expression de l'esprit qui résiste à la force. dans celle qui est la plus répondue, conforme sans doute au dessein de sophocle, antigone est la révolte de la conscience morale contre l'injustice et l'arbitraire du pouvoir, l'individu libre contre l'etat. a quoi se mêlent d'autres idées: antigone parle le langage de l'éternité, celui des lois divines contre lesquelles les lois humaines ne peuvent prévaloir. avec un cortège de conséquence qui, au cours des siècles, ont sans cesse nourri le débat fondamental de la société occidentale- philosophique, moral, politique, social et juridique: les lois humaines lorsqu'elles sont contraires aux lois divines sont injustes et chacun doit y désobéir, les lois humaines sont contraires aux lois divines lorsqu'elles sont contraires à la raison; une société doit être spiritualiste, sinon elle est injuste et totalitaire. il ne faut pas aller plus loin: sophocle et l'ensemble de la pensée grecque et occidentale tout au long de son histoire, sont complètement étrangère à une conception théocratique du droit. ce qui n'empêche pas qu'il soit pieu, qu'antigone soit illuminée par la transcendance divine et que la société occidentale, malgré les apparence, soit, elle aussi, religieuse, à sa manière. il y a d'autres visions qui exaltent antigone : elle serait la femme libérée, qui n'obéit qu'à sa conscience, une sorte d'anarchiste: elle est «autonome», au sens étymologique du terme,; elle n'obéit ni aux lois de créon, ni même aux de zeus: elle n'obéit qu'à elle. on peut encore voir d'autre antigone, passablement plates: elle obéit aux règles coutumières, prescrivant l'ensevelissement des morts, et non aux lois écrites. 2) dans une toutes autres interprétations, antigone et créon sont renvoyés dos à dos, c'est hegel, le premier, qui en a fait des contraires égaux, l'un et l''autre sont des héros, également respectables, exprimant un conflit entre deux valeurs équivalentes. dans la plus radicale et la plus simplificatrice, celle qui exprime l'antagonisme essentiel de l'humanité, antigone est la jeunesse, avec son idéal. créon est la maturité, avec son expérience. plus classiquement (et moins pauvrement), on présente autrement l'égalité d'idéal entre les deux héros. antigone défend la valeur de la conscience, le respect de l'individu, les valeurs éternelles, le droit coutumier, archaïque, le sentiment familial, la tradition, la foi et sa piété. elle est un peu irrationnelle, comme le sont l'individu, les valeurs éternelles, la coutume, le passé, le sentiment, la foi et la famille. créon représente les droits légitimes de l'autorité: l'etat, la loi écrite, abstraite et objective, la modernité -ses lumières et ses progrès-, la laïcité : il est un peu légaliste, technocrate, argumentaire et impitoyable- mais quelle autorité ne l'est pas? ce n'est ni un vieux renard ni un loup cruel qui met sa ruse et son pouvoir au service de l'etat; il défend la survie de l'etat, thèbes. 3) antigone et créon peuvent aussi être renvoyés dos à dos, mais en en faisant l'un et l'autre des antihéros, tous deux responsables de la ruines de thèbes: la morale de la tragédie serait que pour être un homme juste, il faut être le contraire de ce qu'ils sont. d'abord parce qu'ils sont tous les deux des fous, qui n'ont aucun sens de la mesure; tous les deux sont des orgueilleux, qui se sont conférés unilatéralement la garde de la loi. dans leur démesure et leur orgueil, chacun est le miroir antagoniste de l'autre. antigone est une anarchiste, qui crée la subversion et oblige le pouvoir à être tyrannique. créon est un tyran qui, par ses excès, crée la subversion, et incite les individus à la révolte et à l'anarchie - un cercle vicieux infernal. charles maurras avait même soutenu que créon violait la loi tout autant qu'antigone et que son édit était anticonstitutionnel, ce qui, dans la bouche de maurras, était bien singulier : « créon a contre lui les dieux et la religion, les lois fondamentales de la polis, les sentiments de la polis vivante[…] qui viole et défie toutes ces lois? c'est créon. c'est lui l'anarchiste. lui seul»2 la loi juste, nous enseignent antigone et tous les grecs, est un équilibre entre le pouvoir et le désordre; équilibre nécessaire, sûrement, on ne sait, en lisant antigone, si c'est données et le débat d'antigone n'est près de s'achever. 1. le texte est en réalité très amer; le coryphée conclut la tragédie par ces vers: « on ne doit estimer heureux mortel avant de voir son dernier jour et qu'il soit alors parvenu au terme de sa vie sans connu de chagrin». 2. ch. maurras, antigone, vierge-mère de l'ordre, genève, cahier des trois anneaux, 1948
Auteur : Droit et littérature : Antigone, l'expression de l'esprit qui résiste à la force tyrannique - - Titre : Said Elhaddad, Url :[https://www.marocagreg.com/doss/monographies/Antigone-droit-litterature-esprit-contre-tyrannie-said-elhaddad.php] publié : 0000-00-00 |