Par: Julie Mélin

«L'intérêt général et permanent du genre humain est que les hommes ne se tuent point les uns les autres; mais il peut se faire que l'intérêt particulier et momentané d'un peuple ou d'une classe soit, dans certains cas, d'excuser et même d'honorer l'homicide» Tocqueville

ANALYSE

Paradoxe du sujet, l'interdit du meurtre apparaît comme une exigence qu'on en commun tous les hommes, pourtant Tocqueville affirme que dans certaines circonstances il est excusé voire glorifié? Dans quel cas? guerre notamment. Il y a donc relativité de la notion de justice.

PROBLEMATIQUE

En quoi le jugement d'une société sur l'homicide est-il révélateur de son éthique et de son droit?

IDEES D'AMORCE

Pascal fr 51«Pourquoi me tuez-vous? Et quoi ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté je serais un assassin, et cela serait injuste de vous tuer de la sorte. Mais puisque vous demeurez de l'autre côté je suis un brave et cela est juste.» Pascal dénonce l'absurdité de la guerre, le hasard du cours d'eau transforme celui qui pourrait être un ami en ennemi.

Miguel de Unanimo: «La guerre est, au sens le plus strict, la sanctification de l'homicide.»

Léonard de Vinci: «Le jour viendra où les personnes comme moi regarderont le meurtre des êtres humains comme ils regardent aujourd'hui le meurtre des animaux.»

  1. La société empêche-t-elle réellement le meurtre?

  1. Le meurtre est toléré et même imposé à l'homme

Sous prétexte d'une déclaration de guerre, dont un seul homme juge les hommes sont condamnés à se battre. La guerre ôte de plus au soldat toute responsabilité personnelle dans le meurtre. Il agit pour et au nom de quelqu'un. Il accepte aussi la possibilité de sa propre mort.

Pascal fr 60: «Plaisante justice qu'une rivière borne! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreurs au-delà.» La raison d'état qui fait «condamner tant d'espagnols à la mort».

Les Choéphores nous plongent dans un univers cruel dans lequel le crime de sang est une question d'honneur. Ainsi Oreste doit poursuivre le cycle infernal des Atrides, qui a vu se succéder les meurtres, donc Oreste sera également un meurtrier.

Le Coryphée assure même à Electre que souhaiter la venue d'un justicier n'a rien d'impie:

Electre v122 «Puis-je en prier les Dieux sans impiété?»

Le Coryphée v123 «aux ennemis, tu peux prier de rendre mal pour mal.»

Dans Les Raisins de la colère, la société californienne semble autoriser l'homicide. Les producteurs d'oranges emploient des gardes armés dans ce but: «Vous voyez un verger avec plein d'oranges […] et un garde avec un fusil qu'à le droit de vous tuer si vous avez le malheur d'en toucher une.» Steinbeck ne précise pas d'où les propriétaires tirent ce droit.

Ces homicides sont donc tolérés par la société et ne s'accompagneront pas d'une procédure judiciaire puisque justifié par le devoir et l'honneur.

  1. Le meurtre admis par la société

Le jugement moral que l'on porte sur l'homicide peut être malaisé à prononcer.

Certains s'auto-persuadent du caractère juste de leur acte.

Le meurtrier de Casy affirme: «qu'il n'a eu que ce qu'il mérite, cet enfant de putain.»

Tom comme Oreste fera justice lui-même. Il a cédé à une impulsion irrésistible quand il a frappé l'assassin de Casy: «J'ai vu rouge et j'ai attrapé le manche de pioche […] j'étais comme fou». Ce meurtre est justifié par sa conscience et reçoit l'approbation de Man: «Tu as fait ce que tu devais faire. J'peux pas y trouver à redire.» Il ne paiera pas légalement pour ce crime, comme pour Oreste, la fuite sera son châtiment.

  1. Le meurtre dont le jugement sera impossibleavec un cas particulier d'homicide: le suicide.

Pour Pascal le suicide est un crime incompréhensible et répréhensible même s'il s'agit d'un choix personnel: «Sa destruction propre, si contraire à Dieu, à la nature et à la raison tout ensemble.»

Pascal s'oppose à la conception des stoïciens pour lesquels le bonheur est dans la vertu, la fermeté d'âme et le rachat de ses fautes peut conduire à l'acte ultime.

Cf. les kamikazes, les martyres

Transition: Pour Pascal, l'interdit du meurtre ne serait ni naturel, ni universel. L'homme est le produit d'une société. Il n'y a somme toute rien d'étonnant à voir les hommes se massacrer entre eux car «le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères. Tout a eu sa place dans les actions vertueuses.»

  1. Quels sont les moyens dont la société dispose être moins meurtrière et belliqueuse?

Quelles sont les différentes forces que l'on pourrait opposer aux actions meurtrières puisqu'il est tout de même de l'intérêt général de l'humanité de les restreindre autant que faire se peut et donc du devoir de la société de les prohiber au lieu de les encourager.

  1. La religion et l'amour de Dieu

Pascal n'admet pas pour autant que le meurtre est une composante inévitable des sociétés humaines. Au contraire, il réprouve l'homicide et pour cela se réfère à une autre justice, celle de Dieu qui n'est qu'amour et amour de la vie. On ne peut autoriser le meurtre, pas même en vue d'un bien: «Faut-il tuer pour empêcher qu'il y ait des méchants?»

Freud affirme que «les motifs purement rationnels sont encore chez l'homme de peu de poids face aux impulsions passionnelles.»

Existe-t-il alors des vertus positives pour contrer le meurtre?

  1. L'amour, la compassion, la charité

Pour supprimer les homicides, il faudrait donc maîtriser «les vertus éclatantes» qui conduisent à «des fureurs aveugles». Propos de Tocqueville.

Une des solutions serait de promouvoir les vertus qui incitent à voir en l'autre un double de soi-même.

Ainsi Oreste ne fait preuve d'aucune compassion envers sa mère. Les motifs impérieux l'emportent sur la pitié et l'amour filial, mais ce n'est pas sans conséquence pour Oreste. De justicier, il devient l'assassin.

Tout autres sont les rapports entre Man et Tom, ce sont des rapports d'amour, de respect mutuel de protection y compris s'il faut enfreindre la loi. Le fils soutient sa famille au risque de se faire arrêter en franchissant les frontières de l'Oklahoma. De même la mère cache son fils meurtrier.

  1. Les vertus de la parole

Ainsi c'est un procès qui va statuer sur la culpabilité d'Oreste. Lieu symbolique où la parole est entendue. C'est ce procès qui va mettre fin au cycle infernal de la vengeance. L'instance juridique dispose d'une autorité morale autant que les lois religieuses et dans le cadre des Euménides, ce sont les Dieux qui participent à cette transmission. Les Bienveillantes remplacent l'incantation du départ du «meurtre pour meurtre» par celle «d'amour pour amour».

Steinbeck tout en nous décrivant les errements et les injustices d'une société en crise, n'oublie pas d'insister sur les valeurs que l'on y rencontre encore. Au début du roman, la parole réussit à désamorcer la vengeance. A la suite du premier meurtre de Tom, les deux grands-pères, celui du meurtrier et celui de la victime ont failli entamer une querelle qui aurait conduit à une vendetta entre les familles. La raison a prévalu et le père de la victime a reconnu à Tom l'excuse de la légitime défense, la seule véritablement admise par toutes les règles de droit.

Casy insiste aussi sur la vertu de la parole: «faut parler. Des fois un homme prêt à tuer peut se débarrasser de l'idée de tuer par la bouche et ne pas tuer du tout.»

Transition: Malgré ces «belles paroles» et même si la société dans son ensemble réprouve les actions meurtrières et lutte pour l'évitement, il n'en demeure pas moins que l'homicide peut avoir une utilité au regard de la justice.

  1. Le paradoxe de la justice institutionnelle et pénale

  1. Du meurtrier au héros

La lutte contre la tyrannie use souvent de la violence pour se faire entendre. Le meurtre apparaît parfois comme la seule et unique issue pour rétablir la justice. Il permet de supprimer définitivement une autorité illégitime pour certains mais à qui d'autres doivent par leur fonction allégeance. Le meurtre, acte autonome, peut soulager la société.

Dans le roman de Steinbeck, les forces de l'ordre représentent ce pouvoir du fait de leurs armes. A aucun moment leur comportement n'est clairement dénoncé au regard de la justice. Sont-ils en droit d'agir ainsi? Nous l'ignorons, mais qui a fourni les armes? L'état qui les a légitimés à ce poste, et ferme les yeux? On est en droit de se poser la question. La description que Steinbeck en fait apparaît comme un véritable plaidoyer.

Certains doivent et peuvent endosser ce rôle de justicier. Il existerait donc une capacité, chez certains hommes, à supporter le poids d'un tel acte.

Tom versus l'oncle.

Dans les personnages d'Eschyle, Oreste seul va endosser ce rôle ambigu d'agissant. Il tuera sa mère face à face en acceptant les conséquences de l'homicide qu'il connaît par ailleurs. Pourtant Electre, la nourrice et même les Dieux reconnaissent la monstruosité du meurtre d'Agamemnon et la fourberie de Clytemnestre et d'Egisthe. Pourquoi attendre le retour d'Oreste?

  1. Et la peine de mort?

Le cas le plus délicat à aborder est celui de la peine de mort. La justice pénale se base ou s'est basée pendant longtemps sur cette sanction pour châtier le coupable. En terme de réciprocité de souffrances, l'homicide peut apparaître comme la solution la plus efficace. Même si on peut lui reprocher sa radicalité.

Les moyens mis en oeuvre pour cette solution finale, ont pendant longtemps tenus du spectacle, qu'il s'agisse du supplice de la roue, de la lapidation ou de la guillotine. On peut parler de véritable catharsis de cette mise à mort, auquel on pouvait assister au cours de l'Ancien Régime notamment. L'homicide n'apparaît dans ce cas-là que ni plus ni moins comme le moyen de lutter contre lui-même.

C'est là tout le paradoxe du statut des Erinyes.

La légitime défense de Tom lors du premier meurtre relève de ce cas, d'une vie pour une autre. Qui aurait dû mourir qui aurait dû vivre?

OUVERTURE: La justice dans notre société ne se doit-elle pas d'être continuellement exemplaire?



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Auteur : melin julie -   - Titre : cpge-justice dissertation Lintérêt général et permanent du genre humain est que les hommes ne se tuent point...,
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publié le : 2012/10/05 20:54:10

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