Professeur : Bouchra Moujahid
Thème de culture générale : Le désir

CPGE – EC Lycée My Ismail Année scolaire : 2019-2020

Désir et besoin

Désir et besoin : un manque partagé :

Dans le besoin, comme dans le désir, l'idée du manque et de l'absence est présente, d'où la confusion potentielle entre ces deux notions qui sont pourtant distinctes. Laquelle confusion est confortée par le fait qu'un besoin donne généralement naissance à un désir : du besoin qu'est la soif naît le désir de boire, de la faim naît le désir de nourriture...etc. C'est en effet l'idée que l'on retrouve chez Platon dans Le Banquet où il affirme que l'homme ne désire que ce qui lui manque et que ce dont il a besoin : « ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour ».

Distinction entre désir et besoin:

Néanmoins, la notion du besoin se démarque de la notion du désir comme se démarque l'essentiel du contingent et du superflu. Est un besoin ce qui est nécessaire à ma survie et duquel dépend ma vie de sorte que la satisfaction de ce besoin est impérative. Il est défini comme étant : « l'état d'un être par rapport à ce qui lui est nécessaire en vue de n'importe quelle fin, soit interne, soit externe ; soit qu'il ignore, soit qu'il le sache » (Lalande). Le désir se rapporte plutôt à l'âme, tandis que le besoin se rattache au corps et à ce qui est organique. Le besoin est essentiellement un manque physiologique d'un ou de plusieurs éléments nécessaires à la conservation de la vie, alors que le désir est ce sentiment ou prise de conscience de ce manque.

Le psychologue américain Abraham Maslow définit cinq types de besoins fondamentaux de l'homme, qu'il classe par ordre de priorité comme suit : 1-Besoins vitaux ou physiologiques (manger, boire, dormir, respirer...etc) 2-Besoins de sécurité et protection (du corps, de l'emploi, de la santé, de la propriété) 3-Besoin d'amour et d'appartenance (amour, amitié, intimité) 4- Besoin d'estime de soi (confiance, respect des autres, estime personnelle) 5-Besoin de se réaliser (accomplissement personnel). Selon Maslow, la satisfaction des besoins vitaux conditionne le passage aux besoins suivants.

Nous trouvons une autre classification des besoins dans l'économie qui distingue entre besoins primaires ou vitaux et besoins secondaires qui permettent à la vie sociale de la personne d'être plus au moins facile.

Le besoin est une nécessité vitale. Le désir, lui, est un élan s'accompagnant d'une prise de conscience, qui nous porte vers un objet ou une fin connus ou imaginés mais non encore atteints. Spinoza le définit comme étant l'« appétit avec conscience de lui-même ». Selon lui, le désir (cupiditas) englobe tous les efforts et les moyens déployés par l'homme dans le but de persévérer dans son être ou ce qu'il appelle son conatus essendi.

Nous ressentons le besoin qui, comme nous l'avons montré, est de l'ordre du corporel, mais c'est ce mouvement ou élan de l'esprit, qui n'est que le désir, qui va chercher à le combler. Mais il faut souligner que cette action qui consiste à satisfaire ou à combler ce manque met fin au besoin. Il faut retenir donc que le désir dépasse le besoin, avec lequel il partage l'idée de manque, en se présentant comme le moyen de satisfaire ce même besoin. Si le besoin est passif, le désir serait plutôt actif car il conduit vers la réponse au besoin.

Mais à l'opposé des besoins qui sont en nombre limité, les désirs sont illimités. Tandis que la satisfaction du besoin relève du possible, celle du désir peut être irréalisable et impossible (le désir de l'immortalité par exemple). Autre spécificité des désirs est qu'ils changent en permanence, selon les changements qui touchent la vie de l'homme, alors que les besoins vitaux de l'homme sont identiques d'une société à l'autre et d'une époque à l'autre. Ce changement et cette nouveauté rendent l'expérience du désir inouïe, toujours nouvelle et toujours plus riche.

Un besoin nécessite une satisfaction, mais un désir peut être refoulé. Pour Épictète, comme pour la philosophie stoïque, est un besoin ce dont la satisfaction dépend de nous, contrairement au désir dont la réalisation et l'assouvissement ne dépendent pas de nous. La raison en est que le besoin est lié à l'être : l'insatisfaction d'un besoin nuit à la vie physique, mentale ou émotionnelle, alors que le désir est lié à l'avoir d'où la possibilité de lui refuser toute satisfaction. Le besoin est en effet naturel,durable et objectif, à l'opposé du désir qui est culturel, contextuel et subjectif.

Si l'homme est esclave de ses besoins et qu'il doit impérativement les satisfaire vu sa nature matérielle, il a néanmoins la possibilité de choisir librement le moyen de le faire et c'est là que se situe toute la différence entre le besoin qui appelle à la contrainte et à la nécessité, et le désir qui traduit le choix et la liberté de l'homme. Par le désir, l'homme passe de l'impératif immédiat de la conservation de la vie à la projection des fins qui dépassent largement le simple besoin de survie. Si l'homme a des besoins basiques comme les animaux, il est pourtant le seul à avoir des désirs et à être en mesure de désirer. Désirer pour l'homme est une activité intellectuelle qui le transporte vers l'objet de son désir. Dans ce mouvement qui le mène vers l'extériorité, il projette sur cet objet une partie de son intériorité en voulant se l'approprier ou l'assimiler c'est-à-dire en cherchant à l'intégrer et à l'intérioriser. Ce qui est excitant dans l'action du désir c'est qu'elle est à la fois spécifique à celui qui désire et toujours différente, contrairement au besoin que tous les hommes ont et qu'ils satisfont de la même manière. Le désir n'est jamais le même, il s'exprime différemment selon les personnes et les expériences. En outre, le besoin, étant naturel car lié à l'essence corporelle de l'homme, impose d'être satisfait sans que cette satisfaction ne fasse l'objet d'un jugement moral ou d'une quelconque responsabilité. Mais le désir, qui trouve sa source dans la conscience et dans la liberté humaines, et par sa nature culturelle et spirituelle, est soumis au jugement moral. Nous distinguons alors les bons désirs des mauvais désirs. Par ailleurs, l'objet du besoin est déterminé et limité, tandis que l'objet du désir est indéterminé et illimité car il est imaginé et fantasmé d'où la difficulté, parfois, d'exprimer son objet de désir ou de le contenter de façon définitive.

Désir et besoin ne s'impliquent pas forcément :

Mais le désir n'implique pas forcément le besoin, tout comme le besoin ne donne pas forcément lieu au désir. L'homme peut, en effet, ressentir un besoin sans que celui-ci ne soit obligatoirement suivi par un désir (donnons comme exemple l'anorexie qui est un trouble alimentaire qui empêche la personne de désirer la nourriture malgré la faim qu'elle éprouve). De même, l'existence d'un désir n'implique pas toujours celle d'un besoin (c'est le cas de l'amour : on désire quelqu'un sans qu'il y ait nécessairement un besoin qui précède ce sentiment). Et c'est exactement ce qui marque la spécificité de l'être humain et la complexité du désir chez l'homme. Le problème de l'homme est justement d'avoir des désirs sans que ceux-ci ne soient justifiés, motivés et entraînés par des besoins. S'ajoute à cela, le fait pour l'homme de désirer en allant au-delà de ses besoins. L'incapacité de régler ses désirs selon ses besoins trahit la faiblesse de l'homme qui tombe facilement dans des excès qui peuvent même mettre sa vie en danger.

Dans sa Lettre à Ménécée, Épicure qualifie ces désirs qui dépassent les besoins de désirs « non nécessaires », auxquels il faut renoncer car ils constituent une menace pour le bonheur et la quiétude de l'âme. Ces désirs sont difficiles à assouvir et même quand ils le sont, on risque à tout moment de perdre ce qu'on a gagné, ou du moins de se lasser de certains objets de désir et de vouloir en trouver d'autres.

La possibilité de dépasser le besoin et d'aller vers le désir : le secret de la grandeur humaine :

Mais d'un autre côté, toute la spécificité de l'homme et sa grandeur consistent justement dans sa capacité à aller au-delà de ses besoins. L'homme dépasse de loin l'animal, qui ne désire que ce dont il a besoin, en voulant satisfaire des désirs non nécessaires voire superficiels. Toute l'Histoire de la civilisation humaine repose complètement sur cette nature exclusive de l'homme qui est par excellence un être de désir. c'est en désirant, et non seulement en éprouvant des besoins, que l'homme a pu apprendre et évoluer. Il ne s'est heureusement pas contenté de combler ses besoins immédiats et organiques, il en a inventé d'autres et il a œuvré pour satisfaire ses désirs les plus fous en déployant son imagination et en puisant dans l'une de ses qualités essentielles à savoir sa perfectibilité. L'ambition de l'homme et ses désirs interminables sont à l'origine du progrès énorme qu'il a réalisé. Son mode de vie s'est nettement amélioré grâce à sa maîtrise technique et à son désir toujours grandissant de transformer son environnement pour l'adapter à ses besoins, mais surtout à ses désirs. Le désir de la connaissance l'a mené sur le chemin de la science et de la technologie rendant ce qui était jusqu'alors impossible possible. Le désir s'est, finalement, révélé être le vrai moteur de l'action et de la civilisation humaines.

Par leur récurrence et leur nature bestiale, les besoins physiologiques de l'être humain lui ouvrent les yeux sur un aspect important de son être à savoir l'incomplétude. Cette incomplétude et imperfection auxquelles il cherche de remédier vainement. La satisfaction des besoins vitaux, au lieu de le combler, ne fait qu'exacerber la prise de conscience de la vacuité de son existence. Dans La nouvelle Héloïse, Jean-Jacques Rousseau l'affirme clairement : « Malheur à qui n'a plus rien à désirer, il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède ». Les désirs offrent à l'homme le moyen d'échapper à une vie trop misérable, animale et monotone. Ils lui permettent de dépasser le physiologique vers le psychologique et l'imaginaire. Le désir naît et se construit dans l'imaginaire et vise le plaisir : le plaisir, non de la réalisation, mais de l'attente et de l'espérance au point où l'on peut dire que l'homme a le besoin du désir.

Des besoins cachés ou inconscients seraient à l'origine des désirs :

Pourtant, la séparation entre désir et besoin est loin d'être simple ou évidente. On dit que les désirs cachent souvent un besoin même de façon inconsciente. Les désirs les plus superficiels chez l'homme peuvent, ainsi, trouver leur origine dans le besoin de reconnaissance sociale. D'après Hegel, la conscience de soi ne se réalise qu'à travers sa reconnaissance par l'autre (l'autre conscience que le moi cherche à nier, mais dont il dépend malgré lui). On peut même remonter des désirs vers un seul et unique besoin, se présentant comme le « souverain bien », qui est le bonheur. Pascal l'affirme en disant que : « tous les hommes recherchent d'être heureux ; cela est sans exception, quelques différents moyens qu'ils emploient » (Blaise Pascal, Pensées).

En outre, certains désirs, par leur récurrence et leur intensité, ont le même effet des besoins. L'addiction ou la dépendance qui résulte de la satisfaction d'un désir (comme celui de consommer une drogue), montre bel et bien que la cloison qui sépare le désir du besoin n'est pas tout à fait étanche.

Le Marketing ou comment conditionner les désirs humains :

Dans le domaine de l'économie, le marketing s'intéresse à l'analyse des besoins des consommateurs et choisit les moyens les plus efficaces afin d'influencer leur comportement. Contrairement à ce qu'on dit, le marketing ne crée pas le besoin (le besoin existe déjà), mais il consiste à adapter l'offre commerciale de l'entreprise aux désirs des consommateurs. En connaissant les désirs des consommateurs, on leur prépare le produit ou l'objet du désir qui va combler leur désir et ce par le biais d'un achat. Il s'agit de connaître cinq types de désirs chez un client potentiel : 1- le désir exprimé ou dit par le client. 2- le désir réel qu'il veut vraiment. 3- le désir latent auquel il ne pense pas encore. 4- le désir rêvé qu'il rêve de combler mais il ne le peut au moment présent. 5- le désir profond qui l'anime secrètement.

L'économie ne fait qu'alimenter la confusion entre besoins et désirs en profitant de l'infinité des désirs humains. Elle se donne pour but d'assouvir tous les désirs de l'homme. Des désirs que l'homme a déjà et d'autres qu'elle crée et attise afin de tirer le maximum de profit. C'est ainsi que, selon la loi du gain, les désirs de l'homme sont rentabilisés.

Pour se libérer de l'emprise de l'économie dominante et pour ne pas être une proie facile entre les mains de cet impératif de la consommation, une prise de conscience de cet amalgame entre besoins et désirs s'avère nécessaire. En distinguant les vrais besoins des désirs superficiels et éphémères, l'homme sera en mesure de choisir de manière tout à fait libre et consciente d'assouvir un désir sachant qu'il n'est pas un besoin ou de lui renoncer.

La supériorité de l'homme par rapport aux animaux se concrétise par sa capacité de choisir de ne pas combler ses besoins et de ne pas contenter ses désirs. C'est l'idée que l'on retrouve chez Paul Ricoeur qui affirme : « si je ne suis pas maître du manque, je peux le repousser comme raison d'agir » et c'est « dans cette épreuve que l'homme peut montrer son humanité (…) il peut choisir entre sa faim et autre chose ».



Pour citer cet article :
Auteur : moujahid bouchra -   - Titre : CPGE - EC Désir et besoin,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/cpge/cpge-generalites-desir-besoin-unzt.php]
publié le : 2020/01/03 13:07:56

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