Mme de staËl tyrannie des passions


Elmzouri mostafa (Autre) [146 msg envoyés ]
Publié le:2015-09-04 21:35:13 Lu :2157 fois
Rubrique :CPGE  


On m'objectera peut-être qu'en voulant dompter les passions, je cherche à étouffer le principe des plus belles actions des hommes, des découvertes sublimes, des sentiments généreux: quoique je ne sois pas entièrement de cet avis, je conviens qu'il y a quelque chose de grand dans la passion; qu'elle ajoute, pendant qu'elle dure, à l'ascendant de l'homme; qu'il accomplit alors presque tout ce qu'il projette, tant la volonté ferme et suivie est une force active dans l'ordre moral: L'homme alors, emporté par quelque chose de plus puissant que lui, use sa vie, mais s'en sert avec plus d'énergie. Si l'me doit être considérée seulement comme une impulsion, cette impulsion est plus vive quand la passion l'excite. S'il faut aux hommes sans passions l'intérêt d'un grand spectacle, s'ils veulent que les gladiateurs s'entre-détruisent à leurs yeux, tandis qu'ils ne seront que les témoins de ces affreux combats, sans doute il faut enflammer de toutes les manières ces êtres infortunés dont les sentiments impétueux animent ou renversent le thétre du monde : mais quel bien en résultera-t-il pour eux ? quel bonheur général peut-on obtenir par ces encouragements donnés aux passions de l'me ? Tout ce qu'il faut de mouvement à la vie sociale, tout l'élan nécessaire à la vertu existerait sans ce mobile destructeur. Mais, dira-t-on, c'est à diriger les passions et non à les vaincre qu'il faut consacrer ses efforts. Je n'entends pas comment on dirige ce qui n'existe qu'en dominant; il n'y a que deux états pour l'homme : ou il est certain d'être le maître au dedans de lui, et alors il n'a point de passions; ou il sent qu'il règne en lui-même une puissance plus forte que lui, et alors il dépend entièrement d'elle. Tous ces traités avec la passion sont purement imaginaires; elle est, comme les vrais tyrans, sur le trône ou dans les fers.
Je n'ai point imaginé cependant de consacrer cet ouvrage à la destruction de toutes les passions; mais j'ai tché d'offrir un système de vie qui ne fût pas sans quelques douceurs, à l'époque où s'évanouissent les espérances de bonheur positif dans cette vie : ce système ne convient qu'aux caractères naturellement passionnés, et qui ont combattu pour reprendre l'empire; plusieurs de ces jouissances n'appartiennent qu'aux mes jadis ardentes, et la nécessité de ces sacrifices ne peut être sentie que par ceux qui ont été malheureux. En effet, si l'on n'était pas né passionné, qu'aurait-on à craindre, de quel effort aurait-on besoin, que se passerait-il en soi qui pût occuper le moraliste, et l'inquiéter sur la destinée de l'homme ? Pourrait-on aussi me reprocher de n'avoir pas traité séparément les jouissances attachées à l'accomplissement de ses devoirs, et les peines que font éprouver le remords qui suit le tort, ou le crime de les avoir bravées? Ces deux idées premières dans l'existence s'appliquent également à toutes les situations, à tous les caractères; et ce que j'ai voulu montrer seulement, c'est le rapport des passions de l'homme avec les impressions agréables ou douloureuses qu'il ressent au fond de son coeur. En suivant ce plan, je crois de même avoir prouvé qu'il n'est point de bonheur sans la vertu; revenir à ce résultat par toutes les routes est une nouvelle preuve de sa vérité. Dans l'analyse des diverses affections morales de l'homme, il se rencontrera quelquefois des allusions à la révolution de France; nos souvenirs sont tous empreints de ce terrible événement : d'ailleurs j'ai voulu que cette première partie fût utile à la seconde; que l'examen des hommes un à un pût préparer au calcul des effets de leur réunion en masse. J'ai espéré, je le répète, qu'en travaillant à l'indépendance morale de l'homme, on rendrait sa liberté politique plus facile, puisque chaque restriction qu'il faut imposer à cette liberté est toujours commandée par l'effervescence de telle ou telle passion.
Mme de STAËL,De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, Introduction (1796).
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