Master francophonie et littérature comparée
L'espace, symbole de l'enfermement
Préparé par: EL JAMRI Fatima Zahra
Avec l'apparition des mouvements féministes pendant la 2e moitie du XXe siècle, une littérature féminine émerge simultanément pour s'intéresser à la cause féminine ainsi que dépeindre la réalité des femmes opprimées à cette époque songeant à la libération et la révolte contre toute forme d'oppression dans une société de type patriarcal. Anne Hébert s'inscrit dans le même courant avec ses productions romanesque, dont les thèmes puisent de cet univers féminin voué à l'enfermement et la claustration. Dans Le Trésor de la langue française, l'enfermement est défini comme«mettre dans un lieu fermé». Dans son roman, les Enfants du Sabbat, publié en 1975, l'impression de claustration et de confinement atteint son paroxysme, ce roman évoque les tentations diaboliques de Soeur élevée par des parents sorciers et désormais enfermée dans une cellule du couvent, Soeur Julie souffre du «mal des cloîtres»1. Afin d'exprimer sa cause relative à l'enfermement et la révolte contre les règles sévères des institutions religieuses représentées dans le couvent. Anne Hébert dévoile les côtés négatifs de l'emprise cléricale sur la société (la femme) par le biais de l'espace.
«Dans un texte, l'espace se définit […]comme l'ensemble des signes qui produisent un effet de représentation»2 L'espace dans le récit est une donnée concrète de la réalité qui se présente au regard sous trois dimensions; elle fait l'objet d'une transcription d'un système sémiotique à un autre; d'un décodage qui fait passer l'image visuelle à l'état d'image mentale. Notre corpus, les Enfants du Sabbat, présente l'opposition entre le couvent et la cabane.
«La cabane est diaboliquement joyeuse et interdite, le couvent est sérieusement diabolique et plein d'interdiction. Un pied dans le péché lumineux et l'autre dans le salut ténébreux. Le livre entier offre un déséquilibre allégoriquement spectaculaire»3 .Ainsile sujet de réflexion«espace symbole de l'enfermement et la révolte dans les Enfants du Sabbat d'Anne Hébert » peut être étudié à partir des hypothèses suivantes; l'espace est-il une représentation authentique de l'état d'âme du personnage? Dans le roman d'Anne Hébert, l'allégorie serait-elle au service de la cause, autrement dit, l'espace peut-il être une image parlante et symbole d'une réalité marquée par l'enfermement? Est-ce que l'espace pourrait-il être une échappatoire vers un monde onirique pour se révolter contre le pouvoir religieux? Pour vérifier les hypothèses prédéfinies, il est nécessaire de préciser un cadre théorique qui est celui de la rhétorique et celui de la théorie de l'énonciation. Ainsi nous pouvons définir l'énonciation comme l'acte individuel d'utilisation de la langue,
«[…] tout acte d'énonciation est bien un événement unique, supporté par un énonciateur et un destinataire particuliers dans le cadre d'une situation particulière»4 De là l'énonciation est une parole échangée qui demande la présence de deux interlocuteurs dans une situation d'énonciation précise produisant un discours. Benveniste affirme que
«[…] et l'on entre dans un autre univers, celui de la langue comme instrument de communication, dont l'expression est le discours»5 Donc le discours est le produit de la langue par un énonciateur, le terme discours dans les théories de l'énonciation lie l'énoncé à l'acte d'énonciation qui le supporte. L'énonciation sert de cadre explicatif des conditions de la production du discours en relation avec la cause de l'énonciateur et sa réception par un énonciataire.
Selon Aristote «La rhétorique est la faculté de découvrir dans chaque question ce qu'elle renferme de persuasif […] la rhétorique seule doit, ce semble, pour découvrir tout ce qu'il y a de propre sur le sujet donné quel qu'il soit»6 Ainsi, nous pouvons définir la rhétorique antique comme étant l'art méthodique de trouver du persuasif sur tout sujet, des preuves, des arguments qui conviennent dans toute situation ou dans tel cas de figure spécifique, donc la rhétorique est l'art de la parole et la persuasion. Pour Lamy
«Le mot rhétorique […] c'est l'art de dire et de parler […] art de bien parler et persuader»7. Selon cette définition, considère le discours produit comme élément de la persuasion.
Dans la rhétorique, «il y a trois espèces d'auditeurs des discours que l'on prononce, tout discours se compose de trois espèces d'auditeurs des discours que l'on prononce, tout discours se compose de trois éléments constitufs: l'orateur qui parle, le sujet dont on parle et l'auditeur à qui l'on parle»8 Ces trois éléments jugent le discours, sa fonction persuasive et le procédé rhétorique employé. Dans le cadre d'un discours rhétorique, l'allégorie est une figure qui instaure un double niveau de lecture allant du concret à l'abstrait. Dans un premier volet, nous tâchons à définir, essentiellement l'allégorie et dans un second volet, nous veillons à soumettre à l'étude des extraits de notre corpus«Les enfants du Sabbat» et vérifier si l'allégorie est au service de la cause d'Anne Hébert. La 1re partie commence par une définition de l'allégorie, et les utilisations de cette figure dans un discours. L'allégorie est une figure de ressemblance
«Deux figures importantes rapprochent des réalités pour faire percevoir une similitude qui passe généralement inaperçu»9 Donc il s'agit d'un rapprochement entre deux termes l'un concret pour désigner un autre abstrait. Le terme d'allégorie «est la transcription d'un mot grec qui correspondait, de par son étymologie, à l'idée de parler autrement»10, c'est une figure qui permet de «parler par images». En effet, l'allégorie représente une idée générale abstraite, sachant que cette représentation n'est liée à aucune contrainte de réalité.
«L'allégoriea des avantages infinies pour une pensée plus profonde, elle peut saisir l'objet réel comme pure pensée sans le perdre comme objet»11 Il s'agit, donc, d'une figure successive puisqu'elle pousse le lecteur à respecter l'itinéraire que prend la pensée cachée dans le terme ou l'image.«L'image, du latin, imago, est une catégorie de signes qu'on a coutume de distinguer des indices et des symboles», ainsi l'image que produit l'allégorie est souvent essentielle. Les traits concrets et précis qui marquent cette image servent à illustrer certains aspects de l'idée. La concrétisation de ces aspects, en permettant au discours d'échapper à une formulation abstraite, les rend sensibles, palpables. Elle remplace une formulation abstraite par une image résultant d'une construction de l'esprit fictive, détachée du réel auquel elle emprunte des traits individuels qui la composent. Après avoir défini l'allégorie, nous passons dans la partie suivante à l'analyse du corpus tentant de repérer et d'interpréter les extraits selon le procédé textuel ci-dessus. Dans Les Enfants du Sabbat, l'espace est présenté comme un espace clos, «ce huis clos» que constitue le décor du couvent, est un lieu impénétrable, coupé du monde, dont la seule évasion possible est celle de l'esprit de Soeur Julie. Cette personne a goûté à l'enfermement de type religieux.
«Ce qui fascine souvent dans une situation d'enfermement, c'est la restriction qu'elle soit spatiale, temporelle ou narrative, il n'est donc pas étonnant que maints auteurs aient choisi le genre bref pour dépeindre ces mondes clos»12 La représentation de l'espace constitue une élucidation de ce concept. Les termes employés dans cet extrait révèlent ce sentiment
«Du côté de la rue, la surface grise et rugueuse de la pierre. Des barreaux aux fenêtres. La lourde porte de bois plein s'ouvre et se referme solennelle et lente […] cette porte peinte en gris est toujours fermé à clef.»13 Il est lucide que les termes employés pour décrire cet espace transmettent une idée abstraite sur la condition des habitants avec cette couleur sombre et cette ambiance morose, «les barreaux», «lourde porte», «gris», prouvent qu'il s'agit d'un lieu dévoué de toute trace vitale. Soeur Julie à son tour souffre de cet univers/couvent aux barricades aux pierres épaisses et impénétrables.
«La vie du couvent se refermait autour de moi, pareille à l'eau morte d'un étang»14 il s'agit d'un endroit qui cloche à cause de l'ennui, or Soeur Julie est obligée de se soumettre à l'ordre et aux instructions aux instructions de la Mère Supérieure des dames du Précieux Sang, «nous sommes enfermées dans un monde de présages et d'augures». Le couvent sobre dans un silence mortel.
«S'exprimer par gestes. Tel est le règlement au réfectoire. Ne pas toucher au silence, le moins possible. Les sourds-muets ont un vocabulaire plus complexe que le nôtre. Espérer atteindre un jour, la non-parole absolue, tendre à cette perfection»15 Le couvent est un réseau d'images carcérales, un lieu cloisonnant que même le droit à la parole est prohibé, un péché, les soeurs doivent subir sans contestation aux ordres de l'institution religieuse, des femmes privées de tout droit à vivre dignement, le couvent déshumanise ces femmes. L'obéissance aux ordres est une règle majeure du règlement et toute transgression cause un châtiment.
« L'obéissance aveugle, les rires innocents, les douces niaiseries, les gros chagrins d'enfant grondé, les piqûres d'épingle quotidienne […] la vie vient mourir ici, en longues lames assourdies, contre les marches de pierres» 16 C'est un endroit morbide qui inspiré l'anéantissement. Le couvent impose des règles strictes que personne n'est capable de désobéir. Soeur Julie dénonce cet univers étriqué, étouffant et cloîtrant, l'obscurantisme et l'oppression par excellence. Sous le poids de cette claustration, soeur Julie se retrouve obligée de s'évader par le rêve dans la cabane de la montagne B…, le lieu de l'enfance.
Selon Gaston Bachelard«la maison onirique est celle du souvenir-songe, perdue dans l'ombre d'un au-delà du passé vrai. Elle est […], la crypte de la maison natale»17 la maison familiale est onirique car des images se concentrent toujours autour des maisons, Soeur Julie remémore la maison de son enfance, il s'agit d'une cabane.
«Toute frontière abolie, voici que je retrouve mon enfance. Aucune résistance. Je m'ajuste à sa chair et à ses os. Je me réchauffe à la source de ma vue perdue»18 Soeur Julie détruit les barrières entre le réel et l'imaginaire, entre le couvent et la cabane pour réduire le couvent prison en cabane en plein air. Donc, la cabane s'oppose au couvent, le lieu de l'enfance libre, incestueuse et orgiaque tant que le couvent est un lieu d'ordre, de jeûnes et de prières.
«Pour peu que l'on ait le courage de regarder à l'intérieur de la cabane attentif à tous les détails, respirant à pleines bouffées le remugle d'écurie chaude et d'algues pourries qui s'échappe du sac de couchage placé au centre de la pièce, on se rend très bien compte qu'il s'agit ici d'un lieu d'origine»19 Ce lieu pourri, est pour Soeur Julie un symbole de la liberté perdue, un lieu que tout est permis, un lieu qui ne tend pas de barrières, une vie naturelle vouée au plaisir et à l'amusement, avec des pratiques de la magie noire. L'image de la cabane synthétise par conséquent les aspirations de Soeur Julie qui tend vers un ailleurs moins bétonné, un endroit d'une simplicité extrême, elle s'évade presque physiquement de la cellule du couvent vers la cabane de la montagne B…La cabane fait d'éléments de rebut, de tôles, de morceaux de planches L'aliénation et la perte d'autonomie pousse soeur Julie à révolter contre cette situation carcérale.
«Epuisées par le jeûne et la pénitence, le voile rabattu sur la figure, toute identité effacée, rendues pareilles aux statues du carême, sous la draperie violette, les religieuses doivent descendre aux enfers»20 Sa nature de sorcière élevée dans une famille de sorciers se révèle sous la forme d'accès de folie, de paroles blasphématoires et de curieuses pensées morbides qui bouleversent la vie des personnages qui l'entourent.
«Votre volonté ne vous appartient plus, le voeu d'obéissance vous dispense de toute décision, de toute initiative»21 Soeur Julie, sous le poids de cet emprisonnement révolte contre les règles du couvent, sujet des crises d'hystéries songeant à un univers sans frontières, la forêt de son enfance, un lieu délibéré de toutes règles et de toute dépendance. Elle est prisonnière des murs du couvet et de son imagination stricte, la solution est de se rappeler de ses souvenirs et sa véritable nature de sorcière.
En guise de conclusion, nous pouvons affirmer, après la vérification des hypothèses citées dans l'introduction, que le discours d'Anne Hébert est mis au service de sa cause, l'enfermement. L'analyse et l'interprétation du discours via l'allégorie, a pu élucider l'enfermement dans le corpus, puisque Anne Hébert avoue sa cause et lui adapte un discours adéquat pour la défendre. Soeur Julie, de la séquestration à la libération, du couvent à la cabane, est la mise en question d'un système de dogmes religieux, des institutions religieuses en livrant un portrait d'un univers replié sur lui-même dans le respect de ses valeurs traditionnelles et des formes figées de la religion. Anne Hébert, en tant que romancière québécoise, s'engageait à défendre les femmes dans une société gouvernée par des systèmes religieux archaïques et des règles sociales sévères qui réduit la femme à un objet, et qui tend à lui priver de tout droit à une vie digne et humaine. BIBLIOGRAPHIE:
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21 Ibid, p 50


Pour citer cet article :
Auteur : eljamri fati -   - Titre : Lespace symbole de enfermement de la femme,
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