Sujet Dissertation : Le Mal

envoyé par : Marouane Hammouch
Consigne : Selon vous , y a-t-il comme le dit V.Jankélévitch un Mystère de la Méchanceté . Introduction : Un certain nombre de penseurs de la seconde moitié du 20 ème siècle ont tenté de problématiser le concept de mal à partir de la douloureuse expérience de la Seconde Guerre mondiale : c'est le cas en Allemagne de Hannh Aredt qui a théorisé la banalité du mal , et en France de Valdmir Jankélévitch qui s'est consacré au mystère de la méchanceté .En utilisant le terme de mystère pour rendre compte de la notion de faute ou mal moral , V. Jankélévitch nous invite à relever plusieurs niveaux dans la pesée de l'origine du mal . En effet , mystère renvoie aussi bien à l'inexplicable , à l'inexpliqué , qu'à ce que seules les initiés sont capables de comprendre . L'origine du mal est-elle pour nous un mystère ? à partir de Macbeth de Shakespeare , la Profession de foi du vicaire savoyard de Rousseau et des Âmes fortes de Giono , on tentera de montrer que si le mal apparait comme un mystère surnaturel , il n'en demeure pas moins un mystère humain provoqué de façon obscure par des passions et des pulsions que certains initiés son capables de percer et maitriser . 1- L'inexplicable de la méchanceté : 1.1 - L'irrationalité du monde Le monde serait soumis à un ensemble de forces qui dépassent l'homme et à une fatalité qui rend impossible toute rationalisation du mal . Ce déterminisme peut prendre la forme d'une fatalité tragique : par exemple , les sorcières de Macbeth sont là pour semer le chaos; ce sont des puissances infernales qui déterminent la marche à suivre . La fatalité anéantit la liberté et le monde humain n'est qu'un monde animal dans lequel il est donc vain de chercher une rationalité , dans les Âmes Fortes , le catéchisme infernal de Thérèse , fortement influencé par Hobbes, pose entre les hommes un état de nature infernal . Selon le postulat nihiliste , la vie humaine serait privée de sens ce qui anéantirait l'ensemble des valeurs posées par l'homme , y compris morales . Dans un monde privé de sens , il n'y a que gratuité , et le mal , comme l'ensemble des phénomènes du monde , est privé de signification et en ce sens inexplicable et irrationnelle . Le caractère absurde du monde est exprimé dans Macbeth ( acte 5 , scène5 ) : je suis repu d'horreurs , l'effroi , familier à mes pensées de meurtre , ne me fait même plus tressaillir . La vie n'est qu'une ombre en marche , un pauvre acteur , qui se pavane et démène son heure durant sur la scène , et puis qu'on n'entend plus . c'est un récit conté par un idiot plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien . 1.2 - l'amour de soi transgressé : Le mal apparait comme une contradiction humaine à plusieurs niveaux : contradiction de l'ordre humain avec l'ordre naturel , mais aussi contradiction de l'homme avec l'ordre humain . Dans la Profession de foi du vicaire savoyard , le vicaire fait l'épreuve du contraste entre l'ordre harmonieux de la nature et le désordre qui règne parmi les hommes : son constat douloureux je vois le mal sur la terre est une forme de brèche dans le raisonnement du vicaire , fondé sur l'admiration de la nature . Dans , Macbeth , le régicide est présenté dans les scènes suivantes comme un phénomène contre nature , et des métamorphoses comme la nuit où il a eu de la fièvre nous indiquent qu'il y a comme un renversement des lois du monde et des lois de terre . Mais le mal est aussi renversement de lois humaines , renversement de l'amour de soi , concept qui désigne chez Rousseau ce qu'on pourrait nommer Aujourd'hui humanisme ou humanité mais Rousseau pose comme un sentiment naturel ( un amour de l'Homme inscrit dans notre nature qui pousse à tout faire conserver l'espèce humaine et sa singularité ) et non comme une acquisition intellectuelle . Dans Macbeth , le point culminant du pathétique , est atteint avec la mort de la femme et du fils de Macduff ( acte 4 ,scène2 ) , nous montre la transgression de l'amour de soi : le massacre des Innocents anéantit tout amour nature de l'espèce . Le portrait que fait Rousseau du méchant dans la profession de foi du vicaire savoyard nous montre un être aliéné obligé de fuir . dans les Âmes Fortes , le récit d'une narratrice évoquant un combat puéril avec sa soeur pour un héritage renvoie à la vanité de tout amour naturel . 1.3 - La Folie du méchant : Le méchant apparait ainsi dans une solitude absolue : il y a une sorte de rupture ontologique et existentielle qui le prive de toutes qualités et communication humaines . Dans Macbeth , cette déshumanisation apparait à plusieurs niveaux : les criminels évoluent dans l'espace du rêve et non de la réalité ( ils appartiennent à un monde qui n'est plus celui des humains) , la déshumanisation va de pair avec une psychopathologie , toute communication est par ailleurs rendue vaine , puisque le discours n'est qu'un discours de ressassement tourné vers le passé sans perspective sur la réalité du présent ou la possibilité de l'avenir . Avec la méchanceté , c'est la plénitude ontologique qui est renversée : le bonheur de l'être est un bonheur illogique car vide par essence . dans les Âmes Fortes , cette néantisation est marquée par le plaisir qu'éprouve Thérèse à être vide : ils voient que rien ne peut me combler . Plus on en met , plus je suis vide . c'est bien leur dire : vous n'êtes rien . Vous avez cru être quelque chose : vous êtes de la pure perte . sa joie d'être du vide et se remplir de vide en fait une exception humaine , un monstre au sens naturaliste du terme . Transition : la méchanceté apparait inexplicable car d'origine surnaturelle ou contre naturelle . Elle est en ce cas un mystère , constituant le caractère illogique d'un homme qui va à l'encontre de ses qualités naturelles . Pourtant ne faut-il pas plutôt voir dans la méchanceté humaine une origine précisément humaine , trop humaine simplement voilée à la conscience ? 2 - L'obscure des pulsions : 2.1 - l'amour propre et l'opacité des mobiles : Dans les premiers discours de Rousseau ( discours sur les sciences et les arts , discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes ) Rousseau a montré que l'amour de soi déviait en amour-propre dès lors que l'homme était dénaturé par la société. l'amour-propre est ainsi la pulsion inconsciente qui fonde toute action : il constitue une forme d'opacité et de discrédit jetés sur le mobile apparent de l'action . dans les Âmes Fortes , le pasteur demandera à madame Numance pourquoi elle donne tant à Thérèse : à qui cherche-t-elle à faire du bien ? à Thérèse ( générosité désintéressée ) ? à elle-même ( générosité intéressée ) ? On est en droit de mettre en doute toute sincérité affichée dans l'action humaine : selon ce point de vue , il n' y aurait pas d'acte désintéressé . Madame Numance l'exprimera elle même au retour de son rendez-vous avec le Reveillard : c'était comme si j'avais mis le pied sur la gorge d'un enfant . Ce que je peux avoir l'âme basse quand il s'agit de donner . Dans sa dimension sociale , c'est sans doute Rousseau qui a le mieux montré la tendance à la domination qui était à l'oeuvre en tout homme dénaturé par la société . Dans la Profession de foi du vicaire savoyard , le malheur du jeune homme vient de la tragédie sociale qui consiste à devoir se comparer sans cesse aux autres et à découvrir qu'on est leur jouet : chacun essaie ainsi d'exercer le pouvoir en traitant l'autre non comme moyen mais comme fin . 2.2 - l'orgueil et le penchant viril L'orgueil est ainsi l'un des premiers mobiles de l'homme guidé inconsciemment par l'amour propre . Cet orgueil consiste en une volonté de dépassement de sa nature et des limites de sa connaissance . Dans la profession de foi du vicaire savoyard , cet orgueil prend la forme d'une philosophie qui analyse , cherche à rendre tout rationnel et par là mène au fanatisme , dans la mesure où elle pousse l'homme à avoir l'orgueil de croire qu'il en sait autant que Dieu , alors que sa raison est bornée . Dans Macbeth , on révélera un réseau lexical féminin et un réseau lexical masculin qui thématisent cet orgueil : c'est Lady Macbeth qui demande aux esprits de la nuit de la désexualiser , c'est la même Lady Macbeth qui blesse l'amour propre de son mari pour le pousser au crime : As-tu peur d'être dans tes actes et ta bravoure le même que dans ton désir ? Voudrais-tu [ ... ] vivre comme un couard à tes propres yeux laissant je n'ose pas escorter je voudrais ? L'orgueil est la démesure du héros de tragédie ayant l'audace de placer sa volonté , son libre arbitre au dessus de sa destinée , noeud qui donnera naissance au conflit tragique . 2.3 - la pulsion sadique et le vampirisme : La pulsion obscure peut prendre la forme d'un véritable penchant sadique . Le sadisme est une recherche du plaisir à travers la souffrance infligée à un tiers , qu'il y consente ou non . Si la notion a été surtout théorisée par Freud dans le domaine sexuel , il n'en reste pas moins qu'elle prend une dimension symbolique dans le réseau social. Dans les Âmes fortes , le sadisme est incarné par Thérèse qui dira : je suis heureuse comme un furet devant le clapier . ça , mes enfants , c'était une découverte ! [...] j'étais heureuse d'être un piège . Le vampirisme est un concept qui appartient aussi à la psychanalyse qui reconnait à travers le syndrome de Renfield , une fascination du sang chez l'enfant , et la possibilité d'une excitation trouvée à lécher une plaie de sang qui se traduit ensuite par un goût malsain pour le sang . Le rapport au sang est un motif structurant de Macbeth , notamment de Lady Macbeth au moment des préparatifs de meurtre : pourquoi n'avez-vous pas laissé à leur place ces poignards ? il faut qu'ils restent là-haut : allez les reporter , et barbouillez de sang les chambellans endormis . [ ...] s'il saigne je dorerai de son sang la figure de ses gens , cat il faut qu'ils semblent coupables On sent ici qu'il n'y a qu'une stratégie mais le goût du contact avec le sang . Transition : le mystère de la méchanceté a ainsi des origines obscures mais qui n'ont rien de surnaturel : si la méchanceté demeure quelque chose qui constitue un défi à la raison , elle trouve cependant une origine dans des passions sombres mais naturelles : le travail de l'inconscient l'opacité d'une éthique fondée secrètement sur l'amour propre et les tendances malsaines n'ont rien de surnaturel . Pour les plus initiés , la méchanceté n'a même rien d'un mystère . 3 - La lucidité des initiés : 3.1 - le mal justifié : Pour les initiés au mal , ou ceux qui sont en train de s'y initier comme Macbeth , la méchanceté trouve son fondement dans le pragmatisme . Le pragmatisme , qui vise l'efficacité , est prêt à employer tous les moyens possibles pour atteindre un but . Dès lors qu'elle est restituée dans une perspective téléologique , la méchanceté semble trouver un sens , et n'être plus un mystère.Dans les Âmes fortes , la recherche de l'efficacité lie pragmatisme et brutalité , dans le champ de la propriété par exemple , comme le montre Thérèse : c'étaient des saintes famillesà pertes de vue . Mais , cheval et voiture ça ne vient pas par l'opération du Saint-Esprit.Mets tes sous couver , ça ne rapporte guère . il te faut cent ans . Défonce le poulailler du voisin : ça , c'est la volaille ! . Dès lors c'est la nuit noire c'est-à-dire dès lors qu'on échappe au regard , la méchanceté trouve un fondement dans la mesure où la visée que se donne le sujet est atteinte . On pourrait nommer le versant politique de ce pragmatisme violent le machiavélisme , à savoir l'exercice d'un pouvoir opaque selon lequel la fin justifierait les moyens , y compris les plus sombres , sans transcendance morale . Dans Macbeth , le machiavélisme est exprimé par le héros dans ses hésitations à tuer le bon roi Duncan : s'il redoute d'accomplir l'ignoble forfait , c'est surtout par peur d'être vu : il sera capable de faire taire ses remords pour accomplir sa volonté . 3.2 - la nécessité du mal : Plus qu'une justification , le mal peut être nécessaire : si dans un cas la méchanceté , concernait un choix opéré par une libre conscience pour arriver à ses fins , en posant le mal comme nécessaire , on rend compte du caractère obligatoire de la méchanceté . Dans Macbeth , il y a une nécessité de renversement du tyran , donc de guerre . La guerre est dans ce cas un mal nécessaire , fondé en raison , qui justifie le droit d'ingérence : Macduff et Malcolm sont bien conscients de la nécessité du sang pour arrêter le sang . C'est là le paradoxe du mal pour arrêter le mal . Cette formulation peut prendre un aspect personnel celui d'une vengeance qui repose sur la nécessité de la méchanceté pour arrêter la méchanceté . Dans les Âmes fortes , le meurtre du personnage de Firmin est commandité par Thérèse : il constitue une vengeance du mal fait aux Numance , tout autant qu'une vengeance du mal subi par Thérèse . Dans Macbeth , ce qui pousse Macduff à mener compagne contre Macbeth avec Malcolm , c'est tout autant la dimension politique que la vengeance personnelle : l'annonce de l'assassinat de sa femme et de ses enfants à la scène3 de l'acte 4 provoque en lui une douleur , sur laquelle le meurtre de Macbeth agira de manière homéopathique , en utilisant ce qui provoque le mal pour soigner le mal .
3.3 - La méchanceté comme initiation et l'éveil de la conscience : La méchanceté des hommes agit elle-même comme initiation qui permet à la conscience de s'éveiller . En cela réside peut-être le caractère le plus paradoxal du mystère de la méchanceté : c'est la lucidité de la conscience et de l'intelligence que ce mystère permet . Dans la profession de foi du vicaire savoyard , les souffrances du jeune homme ont une vertu initiatrice : avec le mystère de la méchanceté , le jeune homme fait l'expérience du mal physique comme du mal moral et découvre la dépendance néfaste à l'égard du vicaire qui va lui enseigner la vérité et le bien moral qui sont enfouis dans son coeur , mais ont besoin d'être ressuscités . La vision de la méchanceté éveille ainsi en l'homme le goût paradoxal de la bonté . Dans Macbeth , la révélation sera douloureuse , comme Lady Macbeth l'exprime à la scène 2 acte 3 : tout est gâché quand on obtient sans joie ce que l'on désirait . Être ce qu'on détruit serait moins dangereux que par sa destruction vivre un bonheur peureux . L'épreuve de la méchanceté constitue elle-même une initiation : elle agit ici comme repoussoir , par dégoût, mais elle peut conserver sa valeur heuristique tout en agissant par goût . Dans les Âmes Fortes , on peut ainsi dire que c'est grâce à la méchanceté que Thérèse se trouve , ce qui consacre le caractère heuristique de la méchanceté . Conclusion : En partant de l'étymologie du terme mystère , on a pu montrer que les limites d'un prétendu mystère de la méchanceté selon la formule posée de Vladimir Jankélévitch . Certes , la méchanceté constitue un défi à la raison , et semble placer l'homme face à l'irrationalité d'un monde livré à des lois obscures , celle des dieux ,des êtres maléfiques ou des loups . Pourtant , l'origine de la méchanceté est humaine , bien humaine : l'amour propre et l'orgueil à l'oeuvre , l'inconscient , travaillent la moralité de l'homme . Pour les initiés à la méchanceté , la méchanceté trouve rationnellement une justification , voire constitue une nécessité . Elle est enfin ce qui permet d'éveiller la lucidité et de rendre l'homme à l'homme : dans le monde animal , le mystère , le mystère de la méchanceté ne provoque nul éveil de la conscience ; au contraire , en l'homme , il est ce qui pousse à retrouver la vérité de son libre arbitre et de sa volonté .


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Auteur : envoyé par : Marouane Hammouch -   - Titre : dissertation Selon vous y a-t-il comme le dit V.Jankélévitch un quot; Mystère de la Méchanceté quot; .,
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publié le : 2012/10/05 20:54:10

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