Par: Bouchra Moujahid

Étude de texte: (Phèdre 142-148) Bien parler: L'ordre.

Introduction:

-Socrate et Phèdre sont toujours à la recherche d'une réponse à la question essentielle qu'ils ont posée, et qui intéresse quiconque veut apprendre à bien parler et à être bon orateur, à savoir: comment définir une bonne ou mauvaise manière de parler et d'écrire?

Dans ce passage, ils relèvent un deuxième critère essentiel à savoir l'ordre, tout en vérifiant encore une fois si ce critère a été respecté dans le discours de Lysias.

Différentes questions se posent: - l'orateur peut-il parler comme bon lui semble ou est-il tenu de respecter un ordre précis qui doit organiser sa parole?

-Le discours de Lysias s'organise-t-il selon un ordre logique clair ou est-il simplement disposé de manière confuse?

-En quoi consiste le procédé de l'art oratoire qui est basé sur un double mouvement d'union et de division?

-Quel est l'intérêt d'introduire, à la fin de ce passage, un inventaire des livres traitant de l'art oratoire et des meilleurs orateurs grecs?

I- L'ordre comme règle primordiale de l'art oratoire:

-Socrate relève une règle basique de l'art oratoire à savoir L'ordre. Tout orateur doit respecter dans son discours un ordre logique précis. Ainsi, il doit évidemment commencer par le commencement et terminer par la fin.

-En réanalysant le discours de Lysias, Socrate fait remarquer à Phèdre que ce dernier a disposé son discours sans aucun respect de l'ordre logique des idées. Ce discours s'ouvre sur une conclusion au lieu de s'ouvrir sur une introduction et puis un développement du sujet.

-Lysias procède donc de manière inversée dans la mesure où il commence par la fin et non par le début. De plus, il passe en silence la phase du début qui permet d'amener le sujet et de le définir.

«cet homme-là, en tout cas, semble bien loin de faire ce à quoi nous nous attendons: il ne part pas du début, mais de la fin. Il entreprend la traversée du discours en nageant sur le dos, à reculons; et il commence par ce que l'amoureux, quand il en aurait déjà fini, dirait au garçon qu'il aime.» Phèdre p143.

-Même à l'intérieur du discours, Socrate remarque que les arguments sont juxtaposés et disposés de manière arbitraire sans qu'il y ait une sorte d'évolution ou de lien solide permettant de passer d'un argument à l'autre. Cela montre clairement un manque ou absence d'ordre au niveau de la pensée de Lysias et une extrême improvisation comme si celui-ci écrivait ou parlait au fur et à mesure qu'il pensait sans se soucier d'organiser sa pensée et de la structurer.

«ne semble-t-il pas avoir jeté pêle-mêle les éléments du discours? Quelle nécessité paraît faire que le second point traité vienne en seconde position plutôt que n'importe quel autre des points traités? Étant donné que moi je n'y connais rien, j'ai eu l'impression que c'est tout bonnement comme ils venaient à l'esprit de celui qui écrivait que ces points étaient énumérés.» Phèdre p143.

-Ce manque d'organisation et d'ordre ou cheminement logique démontre bel et bien que le travail de Lysias est un travail bâclé qui reste en dessous de l'art oratoire qui suppose tout un travail au niveau de la construction du discours qui doit être conçu comme un édifice où chaque élément doit être disposé d'une manière précise pour assurer l'ordre général des autres éléments.

-Socrate compare tout discours bien construit à un être vivant doté de tête, de corps et d'extrémités faits de manière proportionnelle et harmonieuse.

«j'imagine que tout discours doit être constitué à la façon d'un être vivant, qui possède un corps à qui il ne manque ni tête ni pieds, mais qui a un milieu et des extrémités, écrits de façon à convenir entre eux et à l'ensemble.» Phèdre p143.

-Tout discours qui ne respecte donc pas cet ordre et cette proportion, comme le discours de Lysias, ressemblerait à un être monstrueux aux dimensions disproportionnées.

-Pour mieux faire voir à Phèdre l'absence d'une progression dans le discours de Lysias, Socrate cite l'épitaphe de Midas le Phrygien et qui constitue un exemple éloquent de la parole qui est disposée fortuitement et dont les composantes sont indépendantes les unes des autres de sorte qu'elles sont interchangeables.

«qu'il soit complètement indifférent que tel élément se trouve à la première place ou à la dernière, tu en es bien conscient, je suppose» Phèdre p144.

II- Union et division: deux procédés de l'art oratoire:

-Après avoir critiqué le manque d'ordre et de progression logique dans le discours de Lysias qui se présente comme un contre exemple de l'art oratoire, Socrate invite Phèdre à réfléchir à ses deux discours et à les examiner afin de retrouver d'autres procédés de l'art oratoire qu'il serait bénéfique de connaître pour bien parler.

«À mon avis pourtant, il abonde en exemples qu'il y aurait profit à considérer, en tâchant surtout d'éviter de les imiter. Passons plutôt aux autres discours, car, selon moi, ils contenaient quelque chose qu'il convient de prendre en considération quand on souhaite examiner la question de l'éloquence» Phèdre p144.

-Socrate reprend l'essentiel de ses deux discours en schématisant oralement le cheminement de sa pensée. Il montre à Phèdre qu'il a traité le sujet de l'amour de manière méthodique en définissant l'amour comme une folie, puis en distinguant deux espèces de folie: l'une humaine, l'autre divine. Ensuite, il a divisé la folie divine en quatre parties distinctes dont la folie amoureuse. Et c'est à partir de cette analyse de la folie que Socrate a pu composer sa palinodie au dieu de l'amour Éros.

-Cette façon minutieuse et réfléchie de traiter le sujet dont on veut parler ressemble à une démarche scientifique que suit la raison afin de découvrir et démontrer la vérité. En véritable alchimiste, Socrate commence donc par une définition de l'objet de son étude avant de l'étudier et de l'examiner en le divisant en parties et en déterminant le rapport qui lie chacune d'elles à l'autre.

-Socrate a utilisé dans ses deux discours deux procédés primordiaux de l'art oratoire à savoir l'union ou le rassemblement et la division. Le procédé de la division consiste à diviser le sujet dont on parle en parties puis diviser ses parties elles-mêmes jusqu'au plus minimes parties indivisibles. Le procédé de l'union ou le rassemblement opère dans le sens opposé en allant des parties ou composantes minimes et en les assemblant afin d'obtenir des parties plus grandes et ainsi de suite jusqu'à l'obtention d'un corps formant une seule et unique entité.

«Le premier: vers une forme unique, mener, grâce à une vue d'ensemble, les éléments disséminés de tous côtés, pour arriver, par la définition de chaque élément, à faire voir clairement quel est celui sur lequel on veut, dans chaque cas, faire porter l'enseignement.» Phèdre p146.

«elle consiste à pouvoir, à l'inverse, découper par espèces suivant les articulations naturelles, en tâchant de ne casser aucune partie, comme le ferait un mauvais boucher sacrificateur.» Phèdre p147.

-Socrate considère cette capacité d'aller de l'unité à la partie puis de la partie à l'unité comme le procédé le plus précieux de l'art oratoire étant donné qu'elle confère à l'orateur une grande liberté et une grande facilité au niveau de la parole. Il compare celui qui possède cette capacité à un dieu et le nomme dialecticien.

«oui, voilà,Phèdre, de quoi, pour ma part, je suis amoureux: des divisions et des rassemblements qui me permettent de parler et de penser. Si je crois avoir trouvé chez quelqu'un d'autre l'aptitude à porter ses regards vers une unité qui soit aussi, par nature, l'unité naturelle d'une multiplicité, «je marche sur ses pas et je le suis à la trace comme si c'était un dieu».Qui plus est, ceux qui sont capables de faire cela, Dieu sait si j'ai raison ou tort de les appeler ainsi, mais, jusqu'à présent, je les appelle «dialecticiens»».Phèdre pp147-148.

III- Inventaire des procédés de l'art oratoire et des meilleurs orateurs grecs:

-En recherchant d'autres procédés qui permettent à un orateur de bien parler ou de parler avec éloquence, Socrate et Phèdre font appel aux nombreux livres qui traitent de l'art oratoire et font même un inventaire des meilleurs orateurs grecs en insistant sur le procédé que chacun d'eux utilisait et par lequel il était célèbre.

-Le grand nombre de livres qui ont été écrits sur l'art oratoire montrent à quel point il est important pour les hommes de réfléchir sur les moyens qui rendent une parole bonne et qui font d'une personne un bon orateur.

« il y a même une masse de choses à dire, je suppose Socrate, rien qu'avec ce que contiennent les livres qu'on a écrits sur l'art oratoire.» Phèdre p148.

Procédé ou livre d'art oratoire

L'orateur grec qui l'a employé ou l'a écrit

«Le «préambule», qu'on doit prononcer au début du discours»

«en second lieu, vient l'«exposition», puis les «témoignages à l'appui», en troisième, les «indices», en quatrième lieu, les «présomptions». Il y a aussi (…) la «preuve» et le «supplément de preuve»

«en outre, il faut procéder à la «réfutation» et au «supplément de réfutation» dans l'accusation comme dans la défense».

«cet excellent ciseleur de discours qui vient de Byzance»

« magistral Théodore»

«lui le premier a inventé l'«insinuation» et les «éloges indirects», et qui, dit-on, a mis en vers les «blâmes indirects», pour en faciliter la remémoration».

«le magnifique Événos de Paros»

«c'est un savant homme»

«eux qui ont vu que la ressemblance méritait plus d'honneur que le vrai? Par la force de leur discours, ils font paraître petites les grandes choses et grandes les petites, ils donnent à la nouveauté un ton archaïsant et à son contraire un ton nouveau. Et, pour traiter de n'importe quel sujet, ils ont découvert une méthode de concision aussi bien que d'amplification infinie.»

«Tisias et Gorgias»

«lui seul avait trouvé la méthode exigée par l'art oratoire: cet art ne réclame ni la longueur ni la brièveté, mais la juste mesure»

«Prodicos»

Hippias – l'Étranger d'Élis

«ses Sanctuaires oratoires des Muses; de ce qu'il dit sur le «redoublement», le «style sententieux», le «style imagé»».

«son traité Sur la beauté de la langue»

Pôlos

«le Vocabulaire de Licymnios»

Licymnios

«Propriété de la langue»

Protagoras

«pour les discours qui font pleurer, lorsque c'est sur la vieillesse et sur la pauvreté qu'on les traîne, celui qui est passé maître en cet art, c'est, me semble-t-il, le puissant Chalédonien. Homme qui n'eut pas son pareil à la fois pour mettre les foules en fureur, puis pour, à l'inverse, apaiser cette fureur par enchantement, grâce à des incantations, selon son expression. Il excelle aussi bien à la calomnie qu'à la destruction de la calomnie, quel que soit le motif»

Chalédonien

«quant à la toute fin du discours, il semble y avoir accord général, même si les uns l'appellent «récapitulation» et les autres autrement.»

-Ces procédés disent long sur l'immense pouvoir de la parole qui ne se limite pas à dire le monde mais à le créer et à le changer.

«Socrate

quant aux procédés que nous évoquions, mettons-les en pleine lumière pour mieux voir quelle est la puissance de cet art et dans quel cas elle s'exerce.

Phèdre

Cette puissance est immense, Socrate, qui se manifeste surtout lorsque des foules sont rassemblées» Phèdre P151.



Pour citer cet article :
Auteur : moujahid bouchra -   - Titre : Phèdre - Bien parler - critère ordre,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/cpge/cpge-Bien-parler-ordre-phedre-9izp.php]
publié le : 2013/02/18 20:34:13

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