intervention dans le cadre du sÉminaire des cpge

l'argent-dieu


 assalman ibrahim - cpge-errachidia

(je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas d'une dissertation, mais d'une étude du thème qui prend chaque texte à part. c'est pour mieux mimer la représentation qui transforme progressivement, dans chaque œuvre, l'argent en un dieu)



l'argent est au cœur de nos trois œuvres au programme : l'avare de molière, l'argent de zola et philosophie de l'argent de georg simmel. les titres de nos trois romans traduisent chacun un angle d'attaque particulier à la notion d'argent.


dire que l'argent est au coeur de nos trois œuvres, c'est dire qu'autour de lui se tissent différentes intrigues et des raisonnements philosophiques. l'argent, moteur de l'intrigue, se hisse au statut de force agissante (au sens narratologique du mot). il modifie le rapport entre les personnages et le rapport au monde même.

la typographie du titre de l'œuvre de zola en témoigne bien. la majuscule peut être lue en un premier temps comme une mise en exergue de la notion. la question de la personnification se fera plus claire au fil de la lecture du roman.

qui plus est, l'argent a des attributs : il est tantôt matrice, tantôt force du mal, ou alors une puissance inexpugnable .tous ces attributs font par là même qu'il devienne une force supérieure, transformatrice et divine finalement.

source de fascination, notion absolue et vide en elle-même, raison d'être de nos trois œuvres, l'argent arrive à être représenté sous une plume qui le déifie plus qu'elle ne le personnifie.

ceci s'applique à nos trois romans où l'argent passe du statut de force agissante à celui d'une « toute-puissance » (selon simmel)

l'intitulé argent-dieu est un mot composé qui signifie qu'argent et divinité sont deux choses indissociables.

on va voir comment cette indissociabilité se traduit d'abord dans l'œuvre de zola.


i / l'argent-dieu dans le roman de zola


tout d'abord, des expressions comme « tout-puissant » sont récurrentes dans le roman. nous pouvons citer, à titre d'exemple : « toute-puissance de l'or » ; (p 114) « gundermann […] le roi tout-puissant » (p 114) .

on le sait bien, tout-puissant est une autre appellation de dieu.

l'argent dans le roman de zola est aussi étroitement lié à la religion, au spirituel. en effet, la banque universelle est synonyme de banque catholique puisque katholikos en grec signifie universel. la banque universelle avait également son siège rue saint-lazare, chose qui n'est pas sans avoir une connotation religieuse.

le but (prétexte ?) que la banque universelle se forge (conquête des lieux saints par l'argent, installation de la papauté..) confère à la bourse et à la banque universelle « un éblouissement divin » (p 209)

saccard répond même à la comtesse de beauvillier (p 300), suite à sa décision craintive de mettre son capital à la banque universelle par « c'est dieu lui-même qui vous inspire ».

dieu peut-il autoriser un tel mouvement fou à la hausse ?

saccard sait bien ce à quoi penserait la comtesse (papauté..), mais ne s'agit-il pas là du dieu propre à saccard, à savoir mammon, puissance du mal.

mais au fil de la lecture de l'œuvre, la notion d'argent-dieu se fait plus évidente (pages 277-279) : « l'argent, l'argent roi, l'argent dieu, au-dessus du sang, au-dessus des larmes, adoré plus haut que les vains scrupules humains, dans l'infini de sa puissance ! »

une réflexion qui s'impose à caroline après avoir découvert des chapitres peu reluisants sur la vie de saccard. par un effet de gradation ostensible, l'argent se trouve déifié. on peut le qualifier, au risque d'un néoplasme, de notion transcendante « au-dessus (2) plus haut - infini..» il s'oppose même à l'ici-bas « scrupules humains ». ne sommes-nous pas presque devant une transfiguration de la monnaie ?

saccard s'est aussi vendu au dieu mammon. a la page 279, nous entendons caroline dire : « il s'était vendu lui-même » un rapprochement est à établir dans ce sens avec le raphael de peau de chagrin qui s'est vendu au diable pour une vie de luxe.

et pour servir son dieu, saccard « jet[terait]même à la fonte les choses et les êtres pour en tirer de l'argent » (279), une sorte d'offrande qu'il présente à l'argent-dieu. se lit aussi une critique claire de l'esprit capitaliste dont le gain est le premier intérêt.

si les gens sont des offrandes, c'est qu'il y a bien un temple. la bourse peut être dans ce sens une sorte de temple imposant, que l'auteur qualifie souvent d'ailleurs de « monument » (pages 28,57…)

saccard, par sa démesure, passe d'un créateur de vie, un faiseur de la vie ( p 287 par caroline), donc de l'auteur d'une genèse, à un déclencheur d'apocalypse (p 449): « mais cette fois-ci, derrière cette fumée rousse de l'horizon, dans les lointains troubles de la ville, il y avait comme un grand craquement sourd, la fin prochaine d'un monde ».

mais n'est-ce pas le même argent qui fait que gundermann soit le roi tout-puissant de l'or ?

c'est que saccard n'était pas très catholique, comme le laisserait entendre caroline (p 476) « vous n'aviez avec vous ni la justice [vertu cardinale], ni la logique [tempérance, prudence sont deux autres vertus cardinales], vous ne pouviez pas réussir »

gundermann réussit peut-être parce qu'il est l'incarnation de l'argent par sa froideur et son indifférence. « ses veines charrient de la glace », lisons-nous à la page 477 par saccard.

cette même démesure qui définit saccard et fausse son rapport avec les gens qui lui sont les plus proches, se traduit dans l'œuvre de molière, mais sous les traits d'un avare sordide.


ii / l'argent-dieu dans l'avare de molière


« l'avarice est une idôlatrie », dit saint-paul.


harpagon est asservi, esclave de son argent, incarné par métonymie dans la cassette. ses sorties rythment certes la pièce, mais nous renseignent surtout sur un véritable culte qu'il rend à son argent.

par l'avarice, l'argent devient une incarnation du mal, de l'hybris (comme dans le roman de zola d'ailleurs), il peut même être à l'origine de la perte de ses propres fils, fausser les rapports sociaux, comme dans le roman de zola encore une fois entre caroline et saccard la fin du roman. ainsi, à la page 19, cléante parle de « la tyrannie » de son père. a la page 42 : « comment diable ! » est une interjection qui condamne la pratique usurière du père et verse donc dans le même sens.

frosine l'avait bien vu qui disait en parlant d'harpagon (p 51) qu'« il aime l'argent plus que réputation, qu'honneur et que vertu ». la morale d'harpagon, sa religion même est l'argent. l'argent est aussi « une puissance absolue » pour mariane puisqu'elle se trouve obligée de se marier avec harpagon pour venir en aide à sa mère qu'elle doit soigner (p 78).

ce n'est qu'au célèbre monologue que cette question d'argent-dieu se fera plus nettement sentir (p 99). harpagon se dit d'abord « assassiné » car l'argent est une source d'existence pour lui. donc l'argent pour lui est plus une existence qu'une possession (un être qu'un avoir).

il invoque certes le « ciel », mais il lui remplace vite, comme inconsciemment, son véritable dieu, à savoir l'argent, dans la lamentation suivante : « j'ai perdu mon support ».


deux autres propositions traduisent le rapport démesuré à l'argent, rendu plus évidant par le recours au superlatif : «les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté » ou alors « et voilà un traître, un scélérat qui a violé tous les droits les plus saints », dit l'avare à la page102 .harpagon, en détresse devant le commissaire, rehausse son argent au statut de divinité et beaucoup plus même en le plaçant au-dessus de toute autre chose à l'échelle de la sacralité.

cassette et jardin passeraient alors pour des sanctuaires. leur porter atteinte relèverait d'un sacrilège. harpagon ne dit-il pas aux pages 110 / 120 : « hé! dites-moi donc un peu, tu n'y as point touché ? » / « n'en as-tu rien ôté ? » ?

remarquons finalement qu'une réplique aussi comique que : « il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette » montre :

un rapport étrange entretenu avec l'argent.

le verbe « voir » est utilisé au lieu d' « avoir »

ceci étant, ne sommes-nous pas devant quelqu'un qui veut « [se] donner conseil », en ayant comme « appui » une sorte d'oracle, une divinité dont il attend une réponse ?

on comprend donc bien de quel genre de « support » il s'agit et la raison de la condamnation religieuse de l'avarice (un péché capital).

cet hybris qui caractérise le cas pathologique de l'avarice ne s'éloigne pas d'un iota de la représentation que simmel fait des autres pathologies qui se rapportent à l'argent, et qui tendent à le placer plutôt comme une fin que comme un moyen. simmel exploite le rapprochement entre l'argent et « l'idée de dieu » pour asseoir son analyse des cas pathologiques qui se rapportent à l'usage de l'argent.


iii / l argent-dieu dans philosophie de l'argent de simmel


l'argent est pour simmel le moyen absolu en ce qu'il ne présuppose aucune fin prédéfinie, mais auquel toutes les fins convergent. il se détache, dans la série téléologique, par sa particularité, son indifférence, sa liberté même.

nous pouvons lire en effet, (p 72) : « mais l'argent est libre et c'est pourquoi sa valeur renvoie au plus haut intérêt ».

la liberté de l'argent signifie qu'il est vide de sens, qu'il s'agit d'un simple outil. ce vide lui donne un statut transcendantal. on peut lire, en effet, (p 65) : « il plane tout à fait indifféremment au-dessus des objets ». l'argent, par le superadditum qu'il offre, arrive à se forger de la sorte « une essence métaphysique », à acquérir une « valeur universelle » et à témoigner d'une « absence de contenu » manifeste. (p 91).

l'argent, en plus, se dématérialise au fil de la lecture de l'œuvre de simmel sans que l'idée de divinité puisse ostensiblement se trahir à travers les mots de l'auteur.

nous pouvons lire effectivement (p 98) : « l'argent, cette symbolisation d'autres valeurs et vide en soi, est l'ombre pure » ; « l'argent est émancipé » (p 108)

il fallait attendre la section -2- pour voir l'argent se convertir en véritable dieu en remplaçant même « les finalités existentielles » et jusqu'à ce qu'il « prenne leur place et revête leur forme » (p 133). simmel affirme que pendant les temps modernes, l'argent devient le véritable centre de toutes les aspirations humaines. c'est pour cela qu'on assiste à la déchéance d'un ancien ordre, celui des « finalités satisfaisantes » dont la religion est, selon lui, une des plus importantes.

ceci permet à simmel de passer logiquement à affirmer que « l'argent, comme moyen absolu et donc point d'unification d'innombrables séquences dotées d'une finalité, a justement des rapports significatifs avec l'idée de dieu ».

argent est alors quiétude, paix, sécurité parce qu'il est une unification de toutes les valeurs, aussi étrangères et paradoxales soient-elles. l'argent a pour qualité essentielle alors d'être un pouvoir centralisateur. c'est pour cela qu'il se hisse « à une hauteur abstraite qui surplombe la vaste diversité des objets ».

aussi des mots comme « élévation ; toute-puissance ; principe supérieur… » traduisent-ils manifestement cette tendance à déifier la monnaie.

simmel n'hésite pas par ailleurs à rapprocher « l'aptitude particulière des juifs pour les opérations financières » de leur « éducation monothéiste ». argent et dieu paraissent alors inséparables d'un point de vue théorique.

ce sont autant de rapports qui nous renseignent sur la place que l'argent occupe en raison de sa vacuité. et c'est cette vacuité qui lui confère, comme paradoxalement, toute sa richesse.

a la page 134, nous pouvons même parler d'une note de mysticisme, découlant d'une comparaison entre « la quête combative de dieu » et « la béatitude de l'âme en possession de l'argent ». ce qui peut être considéré comme le summum d'une transfiguration de l'argent, élément considéré communément comme prosaïque.

finalement (p 135) simmel évoque « le danger de concurrence » entre monnaie et religion, « le rejet de l'argent en tant que tel » (p 136), et une citation de hans sachs, « l'argent est ici-bas le dieu terrestre », comme pour placer définitivement l'argent sur le socle de la sacralité, et sous le signe de la divinité.


la notion d'argent-dieu s'impose alors dans nos trois œuvres. aussi à cette toute-puissance de l'argent entraînant la déchéance d'un ordre du monde (saccard), le pervertissement des rapports sociaux (harpagon) et l'apparition de pathologies démesurées (avarice, cupidité, cynisme..) se trouvent respectivement substitués « la joie d'être » (p 492 de l'argent), une morale du don (anselme dans l'avare) et un éventuel redressement des pathologies relatives à l'argent (chez simmel).

l'argent n'en sort-il pas indemne finalement ? et ne sommes-nous pas devant une réflexion sur l'homme et le rapport qu'il entretient avec l'argent ?


assalman ibrahim

cpge-errachidia



Pour citer cet article :
Auteur : Assalman Ibrahim -   - Titre : Largent-dieu,
Url :[https://www.marocagreg.com/doss/cpge/argent-dieu-assalman-ibrahim.php]
publié le : 2012/10/05 20:54:10

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